Sur un plateau de cinéma, dans un silence presque religieux, deux femmes regardent attentivement l’écran devant elles. Elles assistent au tournage d’une scène de sexe dans la série Split, réalisée par Iris Brey, diffusée sur la plateforme France TV Slash dès ce vendredi 24 novembre.
Une série qui a nécessité pour ses actrices principales Alma Jodorowsky et Jehnny Beth, l’accompagnement d’une coordinatrice d’intimité. Pratique née il y a une quinzaine d’années dans le monde anglo-saxon – qui s’est démocratisée sur les tournages de films et séries après l’affaire Weinstein et l’éclosion du mouvement #MeToo il y a six ans – elle permet le bon déroulement du tournage de scènes de sexe pour les comédiens, des premières répétitions à leur exécution sur le plateau.
Un métier décrypté par Edith Chapin dans le documentaire éclairant Sex is Comedy, qui nous plonge dans les coulisses du tournage de la série Split. Premier au monde à revenir sur cette pratique, ce film, lui aussi disponible dès ce vendredi 24 novembre sur France TV Slash, fait un tour d’horizon de cette profession propre au cinéma.
La France ne compte que deux coordinatrices d’intimité
Un métier essentiel sur les plateaux de tournages hollywoodiens, mais qui semble encore méconnu en France. « Pour réaliser ce documentaire, j’avais peu d’informations, et peu de ressources disponibles. Car pour le cinéma français, ce métier n’existe pas », rapporte Edith Chapin.
Et pour cause, elles ne sont que deux à le pratiquer en France : Monia Aït El Hadj, ex-juriste, qui s’est formée en ligne, et Paloma Garcia Martens, ancienne costumière sur les tournages, qui, elle, s’est formée en Angleterre et aux États-Unis. « Si le métier n’existe pas encore en France, c’est d’abord parce qu’il n’y a aucune formation pour », se désole cette dernière. À titre de comparaison, ils sont entre 60 et 80 coordinateurs d’intimité, rien qu’aux États-Unis. Par ailleurs, l’accord conclu à l’issue de la grève des acteurs à Hollywood contre les grands studios inclut leur présence obligatoire pour le tournage des scènes de sexe.
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En quoi consiste réellement ce métier ? « Beaucoup, beaucoup de communication », résume Paloma Garcia Martens, qui a officié pour la série Split. Dans le documentaire, on aperçoit que, outre la chorégraphie de scènes d’amour, les discussions entre toute personne concernée par le tournage de ces scènes sont nombreuses : « Je dois avoir six ou sept heures de rush en tout, qui capte la préparation d’une scène qui ne dure que quelques minutes », rapporte la réalisatrice Edith Chapin.
Cela commence par des premiers échanges entre comédiens, techniciens et réalisateurs : « Les actrices font part de leurs limites, tandis que de mon côté, je leur explique la scène et sa direction artistique, décrit Paloma Garcia Martens. On décide ensemble de ce qui peut être fait ou non, de comment le faire. Ne serait-ce que pour, par exemple, préserver leur intimité, et faire en sorte que leur nudité ne soit pas vue par tout le plateau ». Une étape décisive pour limiter les abus : « Être totalement transparent avec les comédiens peut tout changer. Ce qui était un ‘non’ au départ, peut en fait s’avérer être un ‘oui’ si toutes les informations sont données ». Viennent ensuite la chorégraphie créée au mouvement près. Puis plusieurs heures de répétitions. D’abord en petit comité, ensuite devant les caméras, parfois face à un plateau quasi-vide, selon les désirs des comédiens.
Une « urgence » pour les actrices
Des étapes minutieuses pour les actrices, qui parfois subissent des désagréments. À l’image d’Ana Girardot, qui, dans le documentaire, relate avoir terminé une journée de tournage en pleurs, après être restée plusieurs heures seins nus pour effectuer une scène. Ou encore Ariane Labed, qui, durant la captation d’une scène de sexe, a dû faire face à un partenaire de jeu en érection. Une situation qui a été tournée en dérision par certains de ses collègues. Pour elle, la coordination d’intimité sur les plateaux est « une urgence ».
« Il y aurait moins d’incidents sur les tournages, nous assure l’actrice. On ne se pose pas la question de l’accompagnement de cascadeurs pour les scènes de violences. Pour les producteurs et réalisateurs c’est logique. Pourquoi ne pas aussi le faire de manière automatique pour les scènes d’intimité ? » Selon elle, leur présence est indispensable sur les plateaux, ne serait-ce que pour faire respecter l’accord des actrices avec le scénario initial, ainsi qu’avec les scènes ajoutées en cours de tournage.
Avec plusieurs autres comédiennes, Ariane Labed a donc cofondé l’Association des acteurs·ices (ADA), afin de lutter contre les violences sexistes et sexuelles sur les plateaux. L’une de leurs revendications premières ? Réclamer des coordinatrices d’intimité sur chaque tournage.
Une censure selon le cinéma français
Mais cette « urgence » est loin d’en être une pour le cinéma français, qui montre une forme de résistance. Pour les producteurs, ce poste technique serait un coût supplémentaire, tant sur la main d’œuvre que sur le matériel : pour la série Split, Paloma Garcia Martens a elle-même fabriqué des coques de protection, ou « sous-vêtements d’intimité », afin d’éviter que les sexes des actrices ne se touchent. Ce qui n’existe quasi pas ailleurs : « Quand elles en ont le temps, les habilleuses mettent en place un système D, récupérant des chutes de vêtements pour créer des protections. Quand elles n’ont pas le temps, elles mettent seulement du scotch sur les sexes des comédiens », déclare-t-elle.
Pour de nombreux réalisateurs, avoir recours à une coordinatrice d’intimité serait, au mieux, du puritanisme importé des États-Unis, au pire, de la censure. « Il y a cette idée que l’art et la création passent avant tout, même le consentement, assène la réalisatrice Edith Chapin. Certains pensent que ce serait un frein à la création. Les acteurs et actrices seraient à disposition des cinéastes pour chaque scène, sans pouvoir donner leur avis. Ceci même si leur santé mentale en pâtit, et même s’ils risquent des violences sexistes sexuelles ».
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Une réticence qui touche de nombreux cinéastes, peu importe leur genre. Comme le mentionne Télérama, des réalisatrices telles que Danielle Arbid ou encore Mia Hansen-Løve se sont farouchement opposées à cette pratique, cette dernière la comparant à « une sorte de police de la vertu » dans les colonnes du Guardian.
Et pour cause, Paloma Garcia Martens a bien plus travaillé sur des tournages à l’étranger que français. Tandis qu’Ariane Labed a toujours eu recours à une coordinatrice à l’étranger… mais jamais en France. Pour son premier film en tant que réalisatrice, elle a fait appel à une coordinatrice dès l’écriture du scénario.
Si le métier reste encore confidentiel, voire rejeté, peut-être que le salut pour que la coordination d’intimité soit plus répandue sur les tournages français viendra – encore une fois – des États-Unis. Les plateformes de streaming imposant des coordinatrices d’intimité sur les tournages, et produisant de plus en plus de fictions en France. En attendant, que la pratique se démocratise, Sex is Comedy permet de jeter un pavé dans la mare, et de comprendre que oui, ce métier est indispensable dans le cinéma.
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