Les dernières averses parisiennes m’inspirent-elles, ou ai-je simplement des lubies ? En tout cas, les nuages m’angoissent en ce moment. Pour ma défense, les giboulées de mars qui tombent en mai amènent à se poser des questions : est-ce que ça ne fait pas plus d’une heure qu’il pleut ? La fin du monde est-elle proche ? Vais-je mourir noyée en rentrant du boulot ce soir ?
Ne me jugez pas si je compte 39 jours et 40 nuits sur le calendrier à la fin d’une journée très humide. D’une, je viens d’un pays où une heure de pluie pousse les gens à se barricader chez eux. Et de deux, le bon vieux mythe du Déluge est un thème tellement récurrent dans diverses cultures qu’il est difficile de ne pas se sentir un peu conditionné-e…
L’histoire de Noé et de son arche improbable n’est pas le seul exemple de châtiment divin totalement arbitraire !
Zeus et la goutte d’eau qui fait déborder le vase
Ce brave Zeus était un petit rigolo, on le sait, mais son sens de l’humour avait des limites. En général, quand il y avait une histoire de déluge quelque part dans la mythologie grecque, c’était de sa faute. Quel caractère de cochon.
On a en effet retrouvé plusieurs textes antiques évoquant l’histoire du déluge. Ovide, le premier, aux alentours du 1er siècle avant J.-C., met en forme un récit complet dans ses Métamorphoses ; il raconte les origines de ce running gag qu’est l’humanité engloutie, sauf quelques irréductibles élus. Et devinez qui s’est amusé à nous mettre le bec dans l’eau ?
« J’ai le droit parce que je brille. »
Ça faisait quelques « races » que Zeus ruminait son Déluge. L’humanité passait son temps à l’exaspérer : la race d’or était pleine d’incapables qui ne fichaient pas grand-chose sur une Terre en mode Paradis perdu, et finissaient par crever sans véritables raisons. Un peu comme ces plantes qui vous claquent entre les doigts alors que vous pensiez les avoir arrosées correctement.
Puis les dieux ont retenté le coup avec la race d’argent, en les faisant travailler pour voir si ça les rendait plus dynamiques. Mais ça les a rendus trop dynamiques, et les hommes de la race d’argent ont commis le péché de démesure en se prenant pour des Dieux… Alors Zeus a tapé dans la fourmilière et a fait de la place pour sa troisième tentative : la race de bronze. C’est là qu’il a commencé à en avoir vraiment par-dessus sa divine tête.
La race de bronze, ou humanité 3.0, se débrouillait plutôt bien toute seule. Les Hommes faisaient leurs petites affaires entre eux, s’embrouillaient, s’entretuaient, se faisaient la guerre, se tiraient la langue à outrance… Bref, ils étaient en forme et perpétuellement occupés. Trop, peut-être. Ils étaient tellement focalisés sur eux-mêmes qu’ils ne s’occupaient plus des Dieux, ce que ces derniers vivaient comme un abandon. Vraiment vulgaires, ces nouveaux humains. Des dépravés, des impies.
Cette fois, Zeus s’est dit que ça allait commencer à être mauvais pour son image s’il vidait les lieux sans préavis. Une preuve de la déchéance de l’humanité était nécessaire pour l’éradiquer en toute légitimité. Un tour sur Terre s’imposait.
C’est donc tout à fait par hasard qu’il se rend déguisé en vagabond chez Lycaon, un tyran un peu barbare qui a ceci de particulier qu’il fait pipi sur les Dieux. Zeus ne doit pas être si bien déguisé que ça, parce qu’en fait tout le monde le reconnaît, et qu’autrement je ne suis pas certaine que Lycaon l’aurait invité à venir dîner. Et comme l’ambiance était à la provocation, Lycaon fait l’con : il fait tuer un prisonnier et le fait servir (cuit, on n’est pas des sauvages) comme repas à Zeus.
Pourquoi ? L’histoire avance que Lycaon voulait vérifier que son invité était vraiment un Dieu, car seul un Dieu pourrait remarquer qu’il mangeait de l’humain pour dîner. Nous, on aurait dit « mmh, il est bon ce lapin » comme des gros prolos, tu vois.
Zeus qui s’est fait des cheveux blancs sur la décadence de l’humanité.
Évidemment, Zeus comprend que ce n’est pas du lapin. Après s’être frotté les mains de satisfaction, il se lance dans son accès de colère divine. Il désintègre tout ce qui l’approche, transforme Lycaon en une sorte de loup (cf. le lycaon, hé oui !) et retourne sur l’Olympe en claquant la porte. Ah on lui fait manger du cadavre ? Bande d’impudents !
La suite, vous la connaissez dans les grandes lignes : Zeus poke Poséidon pour un effet son et lumière du meilleur goût, celui-ci fait bien son boulot et lance un raz-de-marée géant suivi d’une pluie diluvienne durant neuf jours et neufs nuits, et tout le monde se noie sauf les crabes, les poissons, et deux chouchous, Deucalion et Pyrrha, qui survivent non pas en construisant une arche absurde, mais en crevant de faim pendant plus d’une semaine sur une barque.
Mais ça, c’est une autre histoire, qui se déroule pendant que Zeus écoute les conseils de son thérapeute, et s’initie au yoga.
La mort d’Ymir, ce petit débordement sanglant
Partons du côté des scandinaves pour une histoire un peu moins longue, et surtout plus originale. Ne serait-ce que parce que, pour une fois, le déluge n’éradique pas l’humanité, mais permet à cette dernière de fleurir et de s’épanouir au milieu des arbres et des oiseaux. Les Scandinaves étaient beaucoup plus bucoliques que les Grecs.
Coucou.
C’est même un élément-clé du mythe de création, qui commence avec Ymir.
Il est, dans la mythologie nordique, le premier être vivant et le créateur des Jötnar, une race de géants bien antérieure aux humains. Ymir n’était peut-être pas très sympathique, ou alors Odin ne supportait pas qu’on lui pique la vedette. Toujours est-il que ce dernier, accompagné de deux potes Dieux, profite un beau jour d’une sieste d’Ymir pour se jeter sur lui et le tuer en le balançant dans le Gunnungagap, un gouffre gigantesque qui sépare les mondes.
Je ne sais pas si l’image mentale que votre cervelet va vous proposer vous sera très agréable, mais voilà : Ymir, déjà sanguinolent, s’écrase, et c’est son sang qui provoque un déluge monumental détruisant dans la foulée tous les Jötnar. Sauf un certain Bergerlmir et sa femme.
Les Nordiques ne déconnaient pas avec le déluge.
Mais pour une fois, tout est bien qui finit bien, car de ce meurtre démesuré Odin créa la vie. Avec ses frères, il se servit des restes d’Ymir pour préparer un joli terrain : sa peau pour faire la terre, les dents pour faire les pierres, les os pour les montagnes, les cheveux pour la végétation… de son crâne, il fit le ciel, et avec son cerveau il forma les nuages.
C’est si beau que ça me donne envie d’aller me rouler dans les poils, enfin, dans l’herbe.
Le Popol Vuh maya : on efface tout et on recommence
Non, le Popol Vuh n’était pas un petit nom gentil désignant l’appendice génital. Il s’agit d’un des rares documents de la civilisation maya, dont l’importance réside notamment dans le fait qu’il relate sa mythologie. Ça force le respect.
Le Popol Vuh apparaît comme une sorte de Bible dont les textes remontent à la période précolombienne. Il raconte la Cosmogonie maya, c’est-à-dire les mythes des origines du monde. Et ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est de voir à quel point les Dieux mayas étaient des gens un peu nuls.
Dieu maya en pleine création.
Du néant originel, les Dieux décidèrent, un beau jour, de créer le monde. Ils s’étaient levés comme d’habitude, et alors qu’ils essayaient de se décoller les paupières devant la machine à café Univers Design Corp., ils se sont dit « Tiens ! Et si on lançait un projet de création du monde ? ». Sans pression.
Malheureusement, les Dieux n’étaient pas des employés très qualifiés. À ce moment-là, c’était difficile de trouver de la main-d’oeuvre, alors on prenait les designers qu’on pouvait. Du coup, après s’être pris la tête un bon moment sur les dimensions des montagnes et des océans, et les calques couleurs mal organisés de la faune et de la flore… Ils lancèrent la V.1 du prototype humain.
Manque de bol, ils avaient façonnés les premiers hommes avec de la glaise pas sèche. Cette bande de nuls dut se résigner à regarder leurs créations fondre lamentablement au soleil.
Mais ils n’allaient pas se laisser abattre. Cette fois-ci, les Dieux étudièrent bien leur sujet. Ils débattirent pendant longtemps de l’efficacité des matériau qu’ils avaient sous la main, organisèrent des conférence sur la pierre et proposèrent d’avancer l’invention du ciment. Finalement, ils se mirent d’accord sur le bois.
Ils montèrent fièrement leurs figurines, les mirent en place, constatèrent avec plaisir que le bois, ça ne fondait pas, et s’installèrent pour admirer leurs créations s’épanouir.
Sauf qu’ils avaient oublié de mettre quelque chose dans le bois (quels clampins, je vous jure). Les humains V.2 se montrèrent très vite décevants : ils étaient bêtes, paresseux et vaniteux, et refusaient de suivre les ordres de leurs divins marionnettistes. C’en fut trop pour nos pauvres Dieux, qui avaient passé tant de nuits blanches sur ce projet. À court d’idées, ils leur balancèrent le Déluge que vous attendiez tant, en oubliant que le bois, ça flotte.
Bravo le veau.
Cela dit, la mythologie est bien faite, et les humains moururent tous dans d’atroces souffrances.
Enfin, lorsque tout fut bien sec, la Terre comme les larmes de dépit des Dieux mayas, ceux-ci passèrent un dernier coup de balai avant de fermer boutique. Quand soudain, ils remarquèrent que, dans les algues et les quelques morceaux de bois qu’ils avaient ramassé, il restait des graines de maïs… Ils se dirent que c’était résistant, ce truc. Et s’amusèrent une dernière fois à façonner des poupées avec du maïs.
Si aujourd’hui, la civilisation Maya n’est plus, c’est parce qu’ils ont tous chauffé au soleil et sont devenus des pop-corn. Si si, je vous jure.
Quelques sources :
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