Les 7 et 8 novembre derniers, à Porte de Versailles à Paris, se tenait la première édition de Vidéo City, le « festival des youtubeurs ». Environ 150 vidéastes étaient réuni•e•s pour ce rassemblement In Real Life avec leurs abonné•e•s. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils et elles ont répondu présent•e•s — plus de 25 000 entrées — et que l’événement a rapidement laissé place à la liesse collective et aux mouvements de foule !
J’y étais, noyée au milieu de cette marée adolescente, coincée entre parents blasés et collégien•ne•s un peu trop enthousiastes. Cette faune contrastée semblait se polariser autour de deux extrêmes, allant du mépris à l’admiration la plus totale.
Cette fracture s’est très clairement dessinée lorsque j’ai eu l’occasion d’aller saluer brièvement ma chère collègue et vidéaste (de talent) Marion Seclin. L’approcher quelques secondes a immédiatement donné lieu à un interrogatoire en règle de la part du public. Tout commence par une mère de famille, d’environ la quarantaine :
— Elle est connue cette jeune fille, non ? Qui est-ce ? — C’est Marion Seclin, elle est auteure et comédienne, elle fait des vidéos sur Internet ! — Oh vous savez moi, ces gens, comme ceux de la téléréalité, ne m’intéressent pas du tout.
Cet échange a immédiatement été interrompu par un groupe d’adolescentes, selfie stick à la main :
— Tu connais Mady ? — Euuuh oui… — Comment tu as fait ? — Je travaille avec elle, chez madmoiZelle ! — Ah… Mais t’es une youtubeuse ? — Non. — Et pourquoi ?
L’arrivée au loin de Cyprien en séance de dédicaces a généré un mouvement de foule important, qui a interrompu cet échange improbable. Accrochées à leurs appareils de vlog, ces ados semblaient elles aussi vouloir se lancer sur YouTube.
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Marion Seclin au We Do BD, © Miquette
À l’issue de cet événement atypique, la presse a inondé le web d’articles débordant de condescendance. « Ces ados qui font le buzz », « les YouTubers sont-ils drôles en vrai ? », « l‘usine à fric », « le business trouble des youtubeurs »… s’étonnant de leur succès, de leurs revenus, les médias « classiques » stigmatisent au passage toute la création Web française. Méprisés par les parents, raillés par la presse, adulés et copiés par les ados… comment expliquer au grand public qu’être vidéaste (notamment sur YouTube) est un vrai métier, avec ses codes, ses contraintes et ses enjeux ?
« Youtubeur », un mot-valise un peu fourre-tout
Lorsque les médias parlent de « YouTuber », ils désignent les individus qui postent des vidéos sur la plateforme YouTube et arrivent à fédérer une audience suffisante pour en tirer des revenus. Les médias citent souvent les noms les plus connus du grand public comme Cyprien, Norman, EnjoyPhoenix ou encore Squeezie. En réalité, la création sur le Web est bien plus vaste que ça, et le terme « youtubeur » est finalement un mot-valise englobant des créations très hétérogènes !
Certains sont auteurs, comédiens et dépendent de sociétés de production appartenant à de grands groupes audiovisuels, comme Studio Bagel (Canal +) ou encore Golden Moustache (M6). D’autres sont totalement indépendants, et gèrent eux-même tout le processus de création.
Si les statuts sont différents, les contenus aussi sont éclectiques : quand Bonjour Tristesse (ci-dessus) fait ses chroniques explosives sur l’actualité, Cyrus North nous parle de philo, Solange Te Parle propose une expérience proche de l’art contemporain, Jenesuispasjolie partage ses week-ends en famille, et l’Instant (F)utile vous apprend à faire un smoky eyes express. À part le fait d’être sur une même plateforme, ces programmes n’ont pas grand-chose en commun.
Il est donc compliqué d’utiliser le terme « youtubeurs » pour englober tous ces producteurs de contenus. D’ailleurs les « youtubeurs » eux-même ne se revendiquent pas tous comme tel, et nombreux préfèrent plutôt le terme de « vidéaste » ou « créateur de vidéos » !
Pour Antoine Daniel, contacté par nos soins, cette distinction est très importante :
« Être « youtubeur », pour moi, c’est répondre à des codes sociaux tacites. Je trouve ça tellement dommage de se trouver sur Internet et de se formater, alors que tellement de choses sont possibles ! Tout, à vrai dire. Et le fait d’être sur YouTube ou pas ne change rien au fait que j’aurais créé des vidéos dans tous les cas. Probablement avec un public bien moins large et avec beaucoup moins de moyens, mais je l’aurais fait dans tous les cas.
Le terme « youtubeur» est vraiment un des plus gros coups de génie de communication qu’il m’ait été donné de voir. Avoir inventé ce néologisme à partir du nom d’une multinationale, néologisme que ses utilisateurs (aussi bien ceux qui postent les vidéos et ceux qui les regardent) sont ravis d’utiliser dans le langage courant… Les gens sont ravis de se considérer comme faisant « partie » de cette entreprise !
Je trouve ça assez fou, c’est comme si un mec de France 3 se disait « France Troiseur ». […] « Youtubeur » a une connotation vraiment business pour moi, alors qu’un vidéaste, c’est tout simplement quelqu’un qui aime faire des vidéos. »
Ina Mihalache, de la chaîne Solange Te Parle, quant à elle, s’intéresse assez peu à cette dichotomie :
« Non, la distinction n’est pas très importante. « Artiste youtubeuse » me plaît bien. « Vidéaste », ça fait bien pour les gens qui méprisent YouTube. »
Quoi qu’il en soit, qu’ils se considèrent comme « youtubeur » ou vidéaste, ils ont pour point commun de gagner leur vie et d’accéder à une certaine notoriété grâce à cette plateforme. Et ça ne s’est pas fait du jour au lendemain…
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Des compétences nécessaires
« Youtubeur » est une profession pas aussi « accessible » qu’elle n’y paraît.
Les moyens de production semblent à la portée de tous : une chambre et une caméra. Et pourtant, « youtubeur » est devenu une profession, et pas aussi « accessible » qu’elle n’y paraît ! Quoi qu’en disent les médias « traditionnels », ce ne sont pas de simples starlettes éphémères, mais de véritables créateurs de contenus originaux.
Couteaux suisses multimédia, ces pionniers du web sont totalement polyvalents : à la fois producteurs, auteurs, interprètes, cadreurs, monteurs, media planners, community managers… La plupart gèrent toute la chaîne de production, de la conception à la mise en ligne en passant par la promotion de leurs propres contenus. Un côté touche-à-tout qui nécessite de nombreuses compétences techniques, une connaissance et une compréhension du Web, sans oublier une charge de travail colossale.
Il ne suffit pas de se planter devant sa caméra et de raconter des blagues pour être célèbre. Prenons par exemple le cas des « youtubeuses beautés », les créatrices les plus vivement critiquées. Les tutoriels et autres reviews beauté représentent un réel exercice. Il faut savoir parler devant une caméra, se mettre en scène, avoir assez de charisme pour fédérer une communauté, tout en restant « la bonne copine », suffisamment accessible pour créer un lien avec les internautes, et donner un sentiment de proximité pour que le public s’identifie.
Des centaines de milliers de chaînes existent sur YouTube, mais toutes n’arrivent pas à réunir une audience aussi importante. Tou•te•s les professionnel•le•s du Web vous le diront : fédérer une communauté est loin d’être facile !
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Une hiérarchisation permanente des médias
Lorsque Natoo est invitée sur le plateau de On n’est pas couché en octobre dernier, la condescendance et l’incompréhension de Laurent Ruquier et de ses chroniqueurs est effarante.
On note rapidement que l’animateur considère Internet comme « un moyen de se faire connaître », et non comme un média à part entière. Il déclare que « l’étape suivante c’est la télé, la scène et peut-être le cinéma un jour ! ».
Internet est un média à part entière
Pourrait-on arrêter de hiérarchiser les médias ? Internet n’est ni une mode, ni un lot de consolation, Internet est d’ores et déjà un média à part entière, quoi qu’en dise la bande à Ruquier. Le Web ne va pas s’arrêter demain : des artistes et des auteurs créent tous les jours des contenus uniquement dédiés à ce support. Il est navrant de voir que Léa Salamé parle de « gamins » et de « folie sur Internet »…
Casey Neistat, réalisateur à succès pour la télé qui connaît aujourd’hui un vrai succès sur YouTube, l’explique très bien dans cette vidéo où il déclare « Internet IS mainstream ».
Lorsqu’il aborde le nombre de vues, Laurent Ruquier affirme que « ces chiffres dont on nous abreuve ne veulent rien dire ! ». Lui et son équipe nous démontrent clairement qu’en tant que professionnels de la télévision, ils n’ont pas pris conscience des mutations auxquelles doit faire face l’audiovisuel… sans oublier une certaine hypocrisie face à la mesure d’audience des télés basée sur des panels de spectateurs ! Daniel Schneidermann, le patron d’Arrêt sur Images qui a installé ses quartiers sur le web après avoir été déprogrammé par le service public, va même jusqu’à parler de « la panique de la vieille télé » sur Rue89.
YouTube déstabilise la télévision
YouTube n’est pas un simple mécanisme de distribution : c’est une terre d’abondance et de création capable d’ébranler la télévision (c’est d’ailleurs déjà le cas aux États-Unis). Grâce à une baisse des coûts des équipements numériques, la production et la diffusion de contenus sont devenues accessibles à tous. Les user generated content (c’est-à-dire les contenus créés par les utilisateurs eux-mêmes) sont de plus en plus qualitatifs et font maintenant concurrence aux grandes industries médiatiques.
Ce nouveau modèle remet en question l’une des caractéristiques essentielles de la télévision : le fait d’être créée par des professionnel•le•s — le sociologue Jean-Louis Missika l’explique très bien dans son ouvrage La fin de la télévision.
Ce qui, jusqu’à maintenant, séparait le professionnel de l’amateur n’était pas l’objet de la production en lui-même, mais sa capacité à être diffusé. Il y a quelques années, il était bien évidemment possible de créer des images, mais les diffuser en-dehors du cadre familial ou amical était relativement complexe. La diffusion était un secteur réservé aux pros, donnant immédiatement un gage de crédibilité à toute image diffusée par une chaîne télévisée.
Aujourd’hui, l’appellation « Vu à la télé » ne signifie plus grand-chose puisque l’acte de diffusion a perdu de sa valeur. Désormais, il est possible de partager n’importe quelle vidéo, ce qui dépossède les chaînes de leur monopole sur la diffusion de masse. Un amateur brillant peut détrôner une société de production s’il parvient à fédérer une communauté suffisante !
Le blogueur Korben a d’ailleurs posté en début de semaine un billet relayé par de nombreux youtubeurs, les incitant à se passer de ces « anciens médias » qui les méprisent tant :
« Alors pourquoi continuer à jouer à ce jeu ? Pourquoi aller à la télé ? Pourquoi répondre à toutes ces questions débiles posées par des has-been ?
Vous êtes actuellement les reines et les rois du net et vous n’avez jamais eu besoin des anciens médias, pour exister. Alors par pitié, arrêtez de jouer leur jeu et de répéter ces vieux schémas. Continuez à leur piquer des budgets et des audiences, continuez à soulever les foules, continuez à nous faire marrer… »
Boris Razon, directeur des Nouvelles Écritures et du Transmédia chez France Télévisions, l’a d’ailleurs bien compris, et déclare en interview que nous sommes passés « d’une audience de masse à une audience de communauté ». Plutôt que de rire face au nombre de « likes » de Natoo, Monsieur Ruquier ferait bien de s’inquiéter… Car ces « pouces levés » traduisent tout simplement l’audience qu’est capable de fédérer la jeune vidéaste. Audience qui attire les annonceurs, et qui déplace peu à peu les budgets publicitaires…
Depuis 2013, le marché de la publicité sur Internet a dépassé celui de la télévision (42,8 milliards pour le web, contre 40,1 pour la télé). On assiste à un glissement progressif des budgets publicitaires, qui, s’ils font sourire niaisement Laurent Ruquier, font trembler les directeurs de chaîne télé.
Le marché de la publicité sur Internet a dépassé celui de la télévision
S’il est facile de mépriser les créateurs du Web sur un plateau télévisé, la réalité et les problématiques qui s’articulent derrière sont bien plus complexes. Internet donne lieu à de nouvelles formes d’expression qui, comme le cinéma à ses débuts, est en train d’explorer sa propre grammaire et ses modèles économiques.
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Le fantasme YouTube money
Étant donné que faire des vidéos sur YouTube est devenu un métier, l’argent fait forcément partie de l’équation. C’est d’ailleurs un sujet qui semble passionner aussi bien les médias, constamment obnubilés par cette thématique, que le public, qui n’hésite pas à laisser des commentaires en masse à ce sujet.
Les youtubeurs gagnent de l’argent ; effectivement, ce sujet ne devrait pas être tabou. Ces créateurs de contenus vous instruisent ou vous divertissent gratuitement, et ce en l’échange de quelques publicités. C’est un modèle économique comme un autre.
Une grande partie des médias (radio, chaînes télévisées), et même la presse en ligne qui se permet de s’offusquer de ce « business », reposent sur le même modèle économique ! L’article que vous êtes en train de lire est lui-même financé par la publicité : vous ne payez rien, mais un habillage publicitaire s’affiche. À l’heure du tout-gratuit sur le Web, il est nécessaire de trouver des modèles économiques pour subsister.
À titre personnel, je suis beaucoup moins agacée lorsque je vois une vidéo sponsorisée de Norman (qui négocie ses partenariats pour obtenir un salaire) que lorsque j’assiste à la condescendance de Léa Salamé, Yann Moix ou Laurent Ruquier, grassement payés avec nos impôts puisqu’ils passent sur le service public…
Après tout, les annonceurs payent des dizaines de milliers d’euros pour afficher un encart publicitaire en fonction de l’heure, de la cible, de l’audience à la télévision, et ça ne semble choquer personne. Pourquoi est-ce que c’est si problématique lorsque ce même modèle s’applique à Internet ?
Comme l’explique de manière très claire le Le Rire Jaune dans la vidéo ci-dessus (qui est très intéressante, n’hésitez pas à la regarder !), pour la majorité des « youtubeurs » l’argent versé par la plateforme ne permet pas d’avoir un niveau de vie incroyable. Il déclare d’ailleurs gagner plus ou moins un SMIC, alors qu’il cumule tout de même plus de 2 millions d’abonné•e•s et 10 millions de vues par mois !
Pour gagner un peu plus, certains « youtubeurs » signent avec des annonceurs des partenariats (ce qu’on appelle aussi native advertising). C’est-à-dire que des marques vont payer pour qu’un produit apparaisse dans une vidéo, que le « youtubeur » parle du produit ou créé du contenu en rapport avec la marque. Et ce contenu publicitaire peut tout à fait être agréable à regarder (le court-métrage Mission 404 par Studio Bagel pour Orangina est un bon exemple). Si un vidéaste peut proposer gratuitement un contenu de qualité à sa communauté et gagner un salaire par la même occasion, après tout, quel est le problème ?
https://www.youtube.com/watch?v=fOrr2RbB0-0
Il est possible que, parfois, la qualité des contenus en pâtisse, et que certains partenariats puissent être pesants. Mais si diffuser très ponctuellement des vidéos de qualité moyenne permet au « youtubeur » d’avoir des revenus stables pour toute l’année, et diffuser le reste du temps des vidéos passionnantes, pourquoi pas ! Si un vidéaste multiplie les partenariats médiocres, n’affiche pas clairement que sa vidéo est sponsorisée (ce qui est illégal comme l’explique Buzzfeed), fait du placement de produit caché ou encore perd clairement en qualité, c’est qu’il est peut-être tout simplement temps de se désabonner.
Les youtubeurs gagnant bien leur vie restent une minorité
Pour éviter d’être dépendants des annonceurs, certains comme Usul ou encore Thomas Hercouët tentent de nouveaux modèles économiques et font appel au financement participatif grâce à la plateforme Tipeee. Des internautes soutiennent des vidéastes en échange de contreparties (nom au générique, épisodes en avant-première), ce qui leur permet de se dégager un revenu tout en étant libres de créer le contenu qu’ils souhaitent.
Bien qu’ils monopolisent l’espace médiatique, les « youtubeurs » gagnant extrêmement bien leur vie restent une minorité. Et pourtant, ils sont nombreux à s’être lancés dans cette aventure, ce métier prenant aux exigences singulières.
Derrière les clics, de réelles contraintes
Lorsque que j’ai publié mon article EnjoyPhoenix et son succès, pourquoi tant de haine, les critiques récurrentes dans les commentaires disaient « ce n’est pas un vrai boulot, elle n’a pas de patron… Elle ne doit pas se lever tous les matins pour aller bosser ». À mon sens, si, c’est un métier.
Peut-être que la jeune EnjoyPhoenix est sa propre patronne, mais à 20 ans, elle a deux millions de client•e•s à contenter ! Vous trouvez que c’est compliqué de comprendre ce qu’attend de vous votre boss ? Imaginez lire toutes les remarques d’une masse hétérogène de plusieurs millions de personnes. Entre les « je t’adore tu es la meilleure ♥ » et les « c de la merde », comment savoir où se positionner au milieu de cette cacophonie ? Contenter sa communauté, tout en restant fidèle à soi-même… une véritable problématique pour les youtubeurs.
Solange Te Parle témoigne :
« J’ai une grande sensation d’indépendance. Parce que quelque part, je ne dois mon relatif succès qu’à moi-même. Mais le public est à la fois patron (producteur) et client (consommateur) parce qu’il investit son temps avec moi. Et qu’il manifeste ses attentes, ses insatisfactions… il a beaucoup de pouvoir sur mon humeur et ma production. »
Si ces créatifs gagnent en partie leur vie et s’ils ont accès à une certaine réussite sociale, c’est tout simplement grâce à leur communauté. Ainsi, si les gens décident demain d’arrêter de regarder leurs vidéos, les youtubeurs perdront tout simplement leur emploi.
Si les créatifs gagnent leur vie, c’est grâce à leur communauté
Par conscience professionnelle mais aussi par nécessité de satisfaire sa communauté, certains « youtubeurs » sont particulièrement à l’écoute du public, et demandent des conseils directement aux internautes. Ils posent des questions sur le fond ou la forme de leurs émissions : « J’ai changé de décor, dites-moi si ça vous plaît dans les commentaires ! ». Le public a un certain pouvoir et peut influer plus ou moins sur le contenu.
Là encore, différentes approches de la relation au public peuvent s’opposer.
La youtubeuse beauté Je ne suis pas Jolie a choisi d’écouter ses abonné•e•s et s’est particulièrement remise en question l’été dernier, lorsque sa communauté lui a fait le reproche d’avoir perdu l’authenticité de ses débuts et d’être devenue « trop parfaite ». Voulant constamment améliorer la qualité de ses vidéos et proposer un contenu plus professionnel, elle avait fini par perdre ce qui plaisait tant à ses fans : son côté girl next door. Elle a donc décidé de revenir à un contenu plus simple pour satisfaire son public.
https://www.youtube.com/watch?v=L5_7nM77EYs
De l’autre côté, Antoine Daniel a décidé de prendre des risques en publiant moins souvent, et surtout en faisait évoluer son émission What The Cut, comme il en avait envie, quitte à en déplaire à certain•e•s de ses abonné•e•s.
« Les créateurs ont parfois un peu trop tendance à se formater de peur de perdre leur public, d’avoir moins de vues. Ce qui est tout à fait dommage, et un peu idiot, même ! Il faut s’affranchir des barrières (qui n’existent même pas !) qu’implique le fait d’être « youtubeur », on est dans un nouveau média, il est temps de briser toutes les règles ! C’est pas méga excitant, ça ? […]
Être son « propre patron » est une position rêvée. C’est une chance de fou, il faut aussi savoir s’affranchir des pressions d’une certaine (petite, mais bruyante) partie du public qui peut se comporter parfois comme des petits rois. Toujours garder en tête qu’ils ne représentent en rien le gros du public, qui est globalement tout à fait bienveillant. »
« Il faut être partout, tout le temps »
Le rythme de publication des vidéos semble aussi être une question récurrente de la profession. Si Antoine Daniel a décidé de s’en affranchir une fois son public conquis, de nombreux vidéastes fixent des rendez-vous hebdomadaires, voire quotidiens pour fidéliser leurs abonné•e•s. Cette cadence peut être parfois difficile à tenir, et Solange Te Parle l’identifie d’ailleurs comme l’une des plus grosses contraintes de son métier :
« Le devoir de régularité. Il faut publier souvent et de manière soutenue pour creuser son trou et s’assurer la fidélité du public. Mais ne pas publier n’importe quoi non plus… Peu, voire jamais de répit, on y pense jour et nuit. La pression de l’occupation du terrain : il faut être partout tout le temps, donner des preuves d’existence au jour le jour, au risque de passer dans l’oubli. Être sur Twitter, Instagram, etc. »
Tiraillée par ce dilemme permanent entre quantité et qualité, l’auteure nous livre sur sa chaîne secondaire SolangeXtra les difficultés, contraintes et doutes inhérents à cette nouvelle profession.
Enfin, il est important de souligner que s’exposer sur Internet, c’est aussi un pari risqué. Lorsqu’on est en position de spectateur, l’exposition semble facile. On a envie d’avoir du poids, d’avoir une liberté d’expression, d’être écouté•e, d’avoir une tribune. En ayant cette position de privilégié due à leur visibilité, les « youtubeurs » doivent apprendre à encaisser les critiques et à intégrer qu’ils n’auront peu ou pas le droit à l’erreur. On a pu le voir avec le scandale du masque à la cannelle d’EnjoyPhoenix : la moindre faille sera pointée du doigt, et le tollé médiatique ainsi que sur les réseaux sociaux peut s’avérer violent.
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S’exposer, c’est donner une part de soi aux autres : son anonymat. En lançant son premier tuto coiffure filmé avec une webcam dans sa chambre à 15 ans, EnjoyPhoenix n’aurait jamais imaginé faire la Une des magazines people cinq ans plus tard… Beaucoup de vidéastes étaient déstabilisé•e•s face à l’hystérie provoquée à Vidéo City. Être reconnu•e dans la rue, générer des réactions totalement démesurées peut éventuellement faire rêver certaines personnes, mais aussi être une expérience qui secoue.
Ce n’est pas un « buzz », mais un nouveau métier
Qu’on parle de « créateur de vidéos pour Internet » ou de « youtubeur », une chose est sûre : un nouveau métier est en train de naître et il va falloir s’y faire. Ce n’est pas un « buzz d’adolescents », mais un nouveau média, un outil d’expression puissant et révolutionnaire ! Peut-être que dans quelques années, les lycéen•ne•s feront des voeux post-bac pour entrer en BTS Internet option youtubeur. Mais pour l’instant, les « artisans du Web » tâtonnent, s’expriment et débroussaillent le chemin pour les générations à venir.
Merci à eux et à elles, finalement.
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Les Commentaires
Sérieusement, c'est vraiment dégueulasse... Pareil pour certaines émissions avec Enjoyphoenix... et certainement encore beaucoup d'autres.
Rhalala, merci pour ce très bon article en tout cas, et pour les autres articles du même sujet sur Enjoyphoenix