Dans le courant des années 80, Chad Rowan, un jeune Hawaïen, s’installe au Japon pour devenir sumotori. Il ne connaît pas grand-chose ni de ce pays ni de ce sport, mais il n’a qu’une seule ambition, devenir yokozuna (champion suprême), le grade le plus élevé dans la hiérarchie du sumo.
Jamais un étranger n’est parvenu à obtenir ce titre, qui récompense autant les victoires que le comportement du sumotori, notamment sa dignité. Chad, devenu Akebono, va devenir le premier étranger sacré yokozuna, après un parcours aussi impressionnant qu’atypique.
Jérome Hamon et Marc Van Straceele nous invitent, avec Yokozuna, dans les coulisses de ce sport méconnu en France, le sumo. Si on en a parfois une vision un peu folklorique, le sumo est au contraire un sport complexe, et très représentatif de la culture japonaise dans son ensemble, surtout par les valeurs qu’il véhicule.
Librement inspiré de la vie d’Akebono/Chad Rowan, ce manga français tout en noir et blanc, au dessin fin et plein de légèreté, envoie valser toutes nos idées reçues sur le sujet. Richement documenté, le titre nous initie en douceur à ce sport, ses règles et ses enjeux, à travers le regard naïf de Chad.
Au fur et à mesure qu’il gravit les échelons, le récit gagne en densité, et on croise la route d’autres personnages qui ont marqué le sumo pendant cette période.
Jérôme Hamon, scénariste de Yokozuna, en interview
Yokozuna est un titre aussi surprenant que passionnant. J’ai eu la chance de rencontrer Jérôme Hamon, le scénariste, à l’occasion de la Japan Expo, et de lui poser quelques questions.
Peux-tu te présenter, nous raconter ton parcours ?
Jérome Hamon, scénariste de Yokozuna. J’ai eu un parcours un peu atypique. J’ai fait une école de commerce, je suis parti aux États-Unis faire un Master en finance, j’ai travaillé là-bas deux ans comme analyste financier et après… j’ai commencé à me diriger vers la bande dessinée.
Comment résumerais-tu Yokozuna ?
C’est l’histoire d’un jeune adolescent hawaïen qui part au Japon avec un rêve : devenir champion de sumo. Il ne connaît absolument rien au sumo, rien à la culture japonaise. Il arrive juste avec son courage, son espoir, et ses illusions.
Comment vous êtes-vous rencontrés, avec le dessinateur ?
On s’est rencontrés à Angoulême. J’avais commencé à présenter des projets, qui intéressaient globalement les gens, mais au niveau du dessin il y avait des petits trucs qui n’allaient pas. Et en ce qui concerne Marc, on aimait beaucoup son trait, mais c’est au niveau des histoire qu’on lui disait qu’il y avait des petits trucs qui n’allaient pas.
On s’est dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire ensemble. En discutant, on a sympathisé, et on s’est aperçus qu’on avait tous les deux une véritable passion pour l’Asie ; de là est née l’envie de travailler ensemble sur le sujet.
Qu’est ce qui t’a particulièrement intéressé dans l’histoire de cet homme, et plus généralement dans le monde du sumo ?
Avec Marc, on voulait donc faire un album sur l’Asie. On s’est demandé de quoi on allait pouvoir parler, il y a beaucoup de choses qui ont déjà été traitées. En se renseignant un peu, l’idée du sumo m’est venue à l’esprit. Je me suis demandé pourquoi rien n’avait été fait là-dessus. Ça représente tellement la société japonaise, qu’il nous a paru évident que c’était un sujet intéressant.
De là, j’ai commencé à me documenter sur le sumo, j’ai dépassé mes a priori sur ce sport, pour découvrir concrètement ce que c’était, et en devenir réellement passionné. C’est vraiment dingue.
Pour moi le sumo était un moyen de parler du Japon, de la culture japonaise, de l’état d’esprit japonais, du shintoïsme. C’était une petite porte d’entrée pour découvrir la culture japonaise et la faire partager aux gens.
Et en ce qui concerne le personnage de Chad, quand j’ai commencé à me renseigner sur le milieu du sumo, je me suis dit « Quelle légitimité est-ce que j’ai, moi, Français, pour raconter une histoire sur le sumo, sur un sport japonais ? ». Mon propos n’aurait pas été viable, je n’aurais pas été crédible.
Je ne peux absolument pas me mettre dans la peau d’un sumo japonais. Par contre, d’un étranger qui arrive au Japon, ça oui. Je peux avoir cet œil un peu naïf d’un jeune de 18 ans qui arrive, ne connaît rien, et qui découvre.
Après il y a plusieurs sumos qui ont tenté leur chance au Japon, j’aurai pu en effet en prendre d’autres. Mais la vie de Chad m’a beaucoup marqué, je me suis attaché à lui. Il y a eu beaucoup de résonances avec ce que j’avais pu vivre.
Comme, évidemment, tous les sumos étrangers qui vont tenter leur chance au Japon, il y a le fait de partir dans un pays inconnu, qui était carrément ce que j’avais vécu quand je suis parti aux États-Unis. Tenter sa chance, avoir un rêve. C’est un peu ce que j’ai vécu là-bas, et ce que je vis en tant que scénariste, en me lançant dans ce premier projet de bande dessinée.
Chad a eu un événement marquant dans sa vie. Il se blesse, et on lui dit qu’il n’a plus que deux ou trois ans de sumo à faire au maximum. C’est un drame pour lui à ce moment-là. Et sa réaction, son état d’esprit, sont vraiment forts.
Il le dit lui même : « Me blesser a peut-être été la meilleure chose qui soit arrivée dans ma vie, ça m’a permis d’ouvrir les yeux ». Je me suis vraiment attaché à lui, j’ai vécu aussi un accident grave, et je comprends ce personnage. J’ai envie de faire partager ses rêves, sa vie, aux autres.
Et puis une des grosses particularités de Chad, par rapport aux autres Hawaïens, aux autres étrangers, c’est qu’il va parvenir à réaliser son rêve. Il va devenir le 64ème yokozuna de l’histoire du sumo, et le premier yokozuna étranger.
Ça n’est pas neutre par rapport aux réactions que les gens vont avoir eu par rapport à lui. En fait c’est un détail qui révèle beaucoup sur l’attitude de Chad, une attitude très noble. Il embrasse complètement la culture japonaise. C’est vraiment ce passage-là qui m’a marqué, qui m’a ému.
À tel point que pour les Jeux Olympiques de Nagoya, c’est Chad, sous son nom de sumo Akebono, qui représente le Japon, qui ouvre les Jeux Olympiques par un dohyoo-iri, une cérémonie de sumotori. C’est incroyable d’avoir un étranger qui représente un pays. Évidemment à cette époque-là il a été naturalisé japonais, mais quand même !
Ce sont des détails, mais ça n’est pas neutre. Ça montre bien que son attitude est différentes des autres sumos étrangers.
Et le fait qu’il y arrive me permet de mettre en perspective ce que signifie le succès pour lui. Parce que contrairement à d’autres qui vont arriver au pied de la montagne, ou quasiment au sommet, mais qui ne vont jamais l’atteindre, lui va le faire. Et ce que ça signifie est vraiment important.
Tous ces éléments ont fait qu’il était le protagoniste évident de mon histoire.
Le plus important, ce n’est pas l’histoire d’un champion en herbe. Ça n’est pas ça que j’ai voulu raconter. On sait qu’il va devenir yokozuna, donc ça n’est pas ça qui est intéressant.
Ce qui est intéressant n’est pas de savoir s’il va ou pas y arriver, c’est le cheminement. Savoir comment il va y parvenir, ce que ça va signifier pour lui. Et mettre ça en parallèle avec d’autres sumos qui vont devenir également yokozuna, deux Japonais qui rentrent dans le circuit professionnel en même temps que lui.
Takahanada et Wakahanada sont deux sportifs issus d’une grande lignée de champions, et que tout le monde attend comme les deux sumos du siècle. Il y a une rivalité qui va s’installer entre ces trois personnages, qui va permettre de mettre en perspective, dans le deuxième tome, ce que signifie le succès pour chacun de ces hommes.
Comment s’est passé ton travail de documentation sur ce titre ?
Marc Pannec a écrit une biographie de Chad, Gaijin Yokozuna (Le yokozuna étranger), qui est un livre fabuleux. Ça a été ma base de documentation. J’ai eu les grandes lignes de la vie de Chad, et ensuite j’ai complété ça en regardant tout ce qui avait été écrit sur lui, au Japon et à Hawaï. Comment les gens avaient vu ça.
Et puis, sur le milieu du sumo, il y a une autobiographie de Kirishima, un grand sumo japonais, qui est aussi un document incroyable, magnifique, criant de vérité sur le milieu du sumo. Quelqu’un qui raconte sa vision des choses. Ça m’a vraiment permis de découvrir ce milieu-là.
Yokozuna est une histoire « librement inspirée » de la vie du vrai Chad Rowan, pas une biographie formelle. Est-ce justement compliqué de se détacher du vrai Chad pour écrire ton histoire ?
Oui, c’est toujours compliqué de se détacher de la réalité. Parce qu’on a envie d’y coller vraiment, en se disant que si on part trop loin, on déforme la réalité. C’est délicat.
Mais on a vraiment voulu faire partager au lecteur les émotions de Chad, lui faire vivre son aventure. Du coup on ne pouvait pas rester dans le factuel. On ne pouvait pas raconter « il descend de son avion, il va à la confrérie »… On aurait pu le faire en deux cases, mais on n’aurait rien montré.
On aurait dit ce qui se passait, mais on n’aurait pas laissé au lecteur la possibilité de s’approprier cette aventure. Ça, c’était important pour nous, et ça nous a permis de nous détacher de la réalité.
La réalité factuelle aurait eu tendance à nous faire aller d’un point A à un point C en passant par B, et juste ça. Et le fait de vraiment s’intéresser à tout ce qui est plus contemplatif nous a permis de prendre du recul par rapport à la réalité pour montrer ce Japon qui nous intéresse, et partager certains aspects de sa culture.
Sur les grandes lignes, je suis resté assez fidèle à la vie de Chad, par contre pour pouvoir partager ce qu’il vit avec le lecteur, on s’est complètement réapproprié ce qu’il a vécu.
Marc a eu une grande responsabilité là-dedans, c’est souvent lui qui a attiré mon attention sur le fait qu’on ne pouvait pas passer à côté de certains moments contemplatifs. On a beaucoup aéré le récit ensemble.
Un grand merci à Jérôme Hamon, mais aussi à Emmanuelle pour l’organisation de cette interview !
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