On peut supposer qu’il y a un grand péril à mettre en scène certains sujets – péril, dans le sens où le sujet même pousse à la complaisance. C’est une question d’intégrité avant tout : un film peut être émouvant et avoir un succès immense et puer la complaisance. Les films mettant en scène des attardés mentaux ont souvent du succès – mérité ou non – parce qu’ils sont touchants ; mais rares sont ceux qui savent doser la tendance « phénomène de foire ».
La première raison pour laquelle Yo, También échappe à la complaisance est pour sa qualité documentaire. C’est une fiction, mais sans cesse parasitée par des éclats de réel : le protagoniste est un trisomique autonome, diplômé d’université, qui commence au début du film son premier emploi. L’acteur principal, Pablo Pineda, est « le premier étudiant trisomique en Europe à recevoir un diplôme universitaire » (voir sa page Wikipedia), ex-employé de la Junta de Andalucia, et donne des conférences. Yo, También est une histoire d’amour ponctuelle mais le caractère présenté est constamment nourri du rapport entre le personnage et l’acteur : un rapport de ressemblance, sans aucun doute.
La deuxième raison est plus proprement espagnole. Si chaque cinéma a des caractéristiques propres et, en un sens, stéréotypées, celles du cinéma espagnol sont : humour franc et cru, présentation quasi-obsessionnelle (ou naturelle, au choix) de la sexualité. Sacrée audace, ici, que de présenter le désir d’un trisomique pour une fille comme vous et moi. Qui eût cru qu’un film pouvait avoir une telle aisance à jouer avec le sujet ? On est très loin du gentil baiser de Rain Man ou de la relation complètement évincée entre Sam et la mère de la petite Dakota Fanning (Sam, je suis Sam).
Yo, También rit de ce désir et, d’abord, de son incongruité assumée. Ainsi s’évapore dans la première moitié du film tout regard complaisant ou sirupeux sur la trisomie. Avant de tomber plus sérieusement amoureux, Daniel veut tirer un coup avec sa collègue et amie Laura, esa sucia. Le propos est drôle, libre et présenté avec vigueur. Un film qui permet qu’on s’esclaffe quand son personnage trisomique s’entend dire grosso modo « arrête de jouer les débiles » a clairement un pouvoir et un humour jamais vus.
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Bien sûr, il y a de mauvais moments, qui ne résistent pas à se saisir de la puissance émotive – celle du propos même. Mais ces moments-là sont vraiment excusables. La deuxième moitié du film (essentiellement le développement de l’amour de Daniel et la découverte des blessures du personnage féminin) s’installe plus nettement dans cette tendance facilement émotionnelle. Mais le film reste intelligent et délicat – il a un trisomique, un vrai, à protéger (ce qui explique par exemple la facilité de l’ellipse de la scène cruciale à Madrid).
Une des autres raisons pour lesquelles Yo, También est un bon film est la suivante : son titre n’annonce pas ce genre de propos unilatéral qu’ont souvent les films de ce type. Il s’agit moins de dire « moi aussi je suis normal, comme vous » que de renverser l’équation, grâce au personnage de Laura. L’idée est que ses propres blessures la rendent, ella también, inadaptée.
Dans une séance de questions/réponses après la projection à laquelle j’ai assistée, Alvaro Pastor, un des réalisateurs, expliquait leur familiarité avec le sujet par le fait que la sœur d’Antonio Naharro est trisomique (et une des actrices du film) et leur idée que « todos somos retrasados » (nous sommes tous attardés). L’idée principale du film étant, en somme, de montrer comment cette amitié fonctionne parce qu’il existe un lien entre Laura et David, permis grâce à l’éducation de ce dernier et à la faiblesse émotionnelle de Laura. Une idée à laquelle je crois profondément, et je suis contente qu’un film ait eut les couilles de le dire, et de rapprocher des blessures normales (à l’inverse de subnormales) d’une incapacité essentielle. Et que ce soit un film si drôle.
Le film, sorti en France pendant l’été (mois de juillet) a été présenté dans nombre de prestigieux festivals, parmi lesquels Sundance début 2010. En 2009, les deux acteurs principaux ont reçu la Concha de Plata du Festival de San Sebastian.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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