Quand j’avais quinze ans, je pensais que les mangas « pour filles », c’était nul, et que j’étais carrément révolutionnaire et admirable puisque je lisais Naruto (woaw, tellement spéciale !).
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Et puis j’ai découvert le groupe de l’an 24, dont font partie les trois grandes dames dont je vais vous faire la pub !
Je ne me suis jamais mariée et n’ai rien fait du tout à part des bandes dessinées.
Moto Hagio, une inspiration dans la vie.
L’an 24, kézako ?
Au début du XXème siècle, les mangas « pour filles » étaient dessinés par des hommes (le grand Tezuka lui-même a dessiné Princesse Saphir), et les intrigues n’étaient pas vraiment diversifiées. On avait principalement des récits super romanesques à base de beaux mariages et d’enfants trouvés, et des histoires de danseurs étoiles (faut croire que le ballet avait du succès).
Moto Hagio a parlé de la discrimination qu’elle a rencontrée en se lançant dans l’industrie du manga : on disait par exemple que les femmes n’étaient pas capables de dessiner autre chose que les personnages…
Avec le groupe de l’an 24, une nouvelle génération de dessinatrices, nées pour la plupart autour de l’an 24 de l’ère Showa, c’est-à-dire 1949, se lance à l’assaut des magazines. Elles révolutionnent les thèmes abordés par le shōjo et inventent le shōnen-ai (sans la misogynie rampante et le viol banalisé, youpi !).
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Parmi elles, je vais vous parler de trois grandes dames : Moto Hagio, Keiko Takemiya et Yasuko Aoike.
Moto Hagio et le yaoi post-apocalyptique (mais pas seulement)
Moto Hagio commence à être vraiment connue chez nous, puisque certaines de ses œuvres ont été traduites en français — Le Coeur de Thomas, et des histoires courtes, notamment. Ses œuvres abordent souvent la science-fiction, les traumatismes de l’enfance, l’homosexualité et la complexité du genre.
Il y en a pour tous les goûts : sa première série, Poe no Ichizoku, est un récit gothique sur les vampires, Le Cœur de Thomas est une atroce histoire d’amour impossible dans un pensionnat en Allemagne, à l’atmosphère très européenne, très Les désarrois de l’élève Törless. Ah, et pour la science-fiction ? On a Marginal, une série qui parle d’un monde post-apocalyptique où toutes les femmes ont disparu de la surface de la Terre… à l’exception d’une seule, la Mère, qui donne naissance à tous les hommes du monde.
On a aussi, publiée en France, Nous sommes onze !, une histoire courte mettant en scène des gosses devant réussir un examen pour entrer à l’université spatiale. Mon coup de coeur va à Un dieu cruel me domine (Zankoku Ga Kami na Shihai Suru), non traduit en français, une série-fleuve au potentiel lacrymal colossal qui traite de la façon dont la vie peut, voire doit continuer après un abus sexuel. Humaniste et exigeante, cette saga ne cède jamais à la facilité.
Pour finir, notons que le graphisme de Hagio (qui est toujours en activité), se renouvelle et se modernise ! La preuve :
À gauche, Nous étions onze, au début de sa carrière ; à droite une oeuvre bien plus récente.
Keiko Takemiya, qui aborde avec justesse des thèmes délicats
Keiko Takemiya et Moto Hagio ont partagé le même appartement, et cette dernière l’a observée avec amusement se passionner pour les films européens sur l’homosexualité masculine. Keiko Takemiya est moins prolifique qu’Hagio, alors je vais me concentrer sur son oeuvre-phare, Kaze to Ki no Uta, au potentiel lacrymal assez élevé.
Elle aborde plein de thèmes qui ont beaucoup étonné à l’époque de la publication, même si rien n’étais vraiment explicite : racisme, drogue, inceste… toujours d’une façon habile et humaniste. La saga a eu droit à sa version anime, que je n’ai pas vue.
Le vintage dans ta face !
Kaze to Ki no Uta se déroule en France, à la fin du XIXème siècle, dans un pensionnat (encore !). Ça raconte l’histoire de Serge Batouille (ah, ce nom…), fils d’un aristocrate et d’une gitane, qui nous parle de ses souvenirs de Gilbert Cocteau, un étudiant insupportable du pensionnat qu’il a fréquenté.
Gilbert est un fauteur de troubles : il ne travaille pas, est souvent odieux et, shocking!, couche avec les deux tiers de l’établissement. Mais en réalité, c’est surtout un garçon démoli par les abus sexuels que lui fait subir le directeur, son oncle, depuis des années… Serge tombe amoureux de lui et commence à essayer de le sortir de sa vie infernale.
Des pages et des pages de dilemmes affreusement dramatiques, des problèmes, des aventures… Que demander de plus?
Yasuko Aoike ou le yaoi version comédie
Bon, c’est là que vous vous dites : « Il n’y aurait pas un truc marrant dans ces classiques ? J’ai pas envie de lire dix-sept tomes de larmes et d’abus sexuels ! ». Pas de panique, Yasuko Aoike et sa série Eroica Yori Ai o Komete sont là !
Regardez-moi cette magnificence :
Comment ça, « de grands pifs » ? Ce sont des nez DE CARACTÈRE, oui mesdââââmes.
La série est une comédie qui parodie les films de James Bond ! Elle met en scène Dorian Red Gloria, Comte de Gloria, une sorte d’Arsène Lupin pas forcément très adroit qui parcourt le monde à la recherche d’objets rares à voler, et le Major Klaus Heinz von dem Eberbach (essayez de le dire en une seule respiration), officiel de l’OTAN, qui croise sa route de façon plus ou moins fortuite lors de toutes ses missions… généralement pour les foutre en l’air.
Klaus n’aime rien à part les tanks, les canons et les cigarettes. De son côté, Dorian aime les objets d’art et, euh… Klaus ! Ces deux héros sont accompagnés par toute une brochette de subordonnés pas très doués.
Un classique du manga au scénario crédible et travaillé. (« Tu… tu… tu as volé le Pape ?! »)
Et voilà pour la présentation de quelques grandes dames du manga ! Le groupe de l’an 24 est rempli de génies, et je suis moi-même loin d’en avoir fait le tour, alors n’hésitez pas à explorer le Web… en attendant plus de publications françaises ! Et si vous parlez anglais, je vous conseille cette chouette interview de Moto Hagio.
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