Qu’est-ce que le cinéma queer ? Certains le décrivent comme un genre, un mouvement. Mais si c’était plus que ça ?
Pour Yann Gonzalez, réalisateur français connu pour ses films queer, c’est donner vie à des personnages libres, sans tabou, dans des histoires follement romanesques. Le cinéma queer, c’est un cinéma qui parle à toutes les parties de soi.
Yann Gonzalez, la figure de proue du cinéma queer français
Je suis l’envoyée spéciale de madmoiZelle au festival du cinéma américain de Deauville, pour lequel Yann Gonzalez est jury de la compétition.
J’attends avec impatience que notre interview commence ; en effet, son cinéma si singulier me fascine.
Il a signé un peu moins d’une dizaine de courts-métrages et deux longs-métrages, et pourtant, il s’impose déjà comme une icône du cinéma français.
Un Couteau dans le cœur, son dernier film en date, avait fait sensation en compétition officielle du Festival de Cannes en 2018.
La poésie et le thriller se mêlent et habitent le fond comme la forme des films du réalisateur, et son esthétique baroque le démarque des cinéastes contemporains.
Yann Gonzalez, ou de l’importance de ne pas faire d’une identité sexuelle le sujet d’un film
Quand Yann Gonzalez fait son apparition à la table du bar Le Soleil où je l’attends pour notre entretien face à la mer, je lui annonce que notre entrevue portera sur le cinéma queer.
Il me répond alors un « Génial ! » enjoué.
Alix Martineau : Vous êtes une figure importante du cinéma queer français, vous avez notamment gagné la Queer Palm en 2017, à Cannes. Vous mettez en scène des personnages LGBT, mais ils ne se revendiquent d’aucune cause et ne se placent dans aucune catégorie. Vous racontez simplement leurs histoires d’amours plurielles, avec beaucoup de poésie. Est-ce pour vous une forme de nouveau militantisme, cette façon de raconter les histoires ?
Yann Gonzalez : Non. Je crois qu’on est à une époque où on ne se pose plus la question, et où le fait d’être queer n’est plus un sujet en soi. J’ai vraiment grandi à une époque où les films LGBT parlaient énormément de coming out, et vraiment le coming out était le sujet du film. On a dépassé ce stade-là aujourd’hui.
Je ne prône pas une invisibilité, au contraire, je prône une espèce de visibilité fière mais pas forcément revendicative. Je côtoie dans ma vie beaucoup de gens queer, la plupart de mes amis sont queer, donc je raconte des histoires inspirées par les gens qui m’entourent, les amis, les amants… Et je le fais de manière très naturelle. Je ne me pose pas la question de savoir si un personnage est queer, où va son désir.
Pour moi, quand on crée un personnage de cinéma, il est pansexuel ! Ses désirs sont poreux, multiples, riches, troubles. Et c’est ça qui m’intéresse dans un personnage de cinéma ! Mais encore une fois, ce n’est pas un sujet en soi. Ce qui m’intéresse, c’est comment ce trouble va se manifester, et de créer une histoire à partir de ce trouble peut-être.
J’aime le romanesque, et je tisse du romanesque avec des personnages queer. Ou non, d’ailleurs ! Le personnage principal de mon prochain film est une femme très hétérosexuelle, qui n’aime a priori que les hommes. Je m’autorise ça aussi. C’est presque de la transgression pour moi, d’avoir une héroïne hétérosexuelle, tout à coup ! Ou alors je me conforme… Mais il y a toujours des petites choses qui viennent perturber la norme.
Où pensez-vous qu’on en est du cinéma français queer aujourd’hui ? Qui d’autre a passé ce stade de la revendication avec vous ?
Des gens de ma génération le font, je pense évidemment à Bertrand Mandico (Les Garçons sauvages, ndlr), on nous associe souvent et c’est vrai ! Pour le coup, c’est un garçon hétérosexuel qui fabrique des films éminemment queer, libres sexuellement, sur les questions d’identité.
Mais aussi dans la génération plus jeune, et notamment au CNC en commission courts-métrages, où j’ai siégé pendant un an, j’ai vu plein de projets, lu plein de scénarios qui avaient cette liberté-là, cette liberté queer. Mais pareil, sans que ça soit un sujet. Et ils créaient des histoires merveilleuses, fantastiques, fantasmagoriques à partir de personnages queer. On est sur la bonne voie, j’ai l’impression ! En tous cas, j’ai beaucoup d’espoir et je suis très très curieux de voir ce que ces jeunes cinéastes de 20, 25, 30 ans vont fabriquer dans les années qui viennent. Je pense que c’est une génération encore plus libre que la nôtre.
Je suis curieux de voir ce qu’ils vont fabriquer à partir de cette liberté nouvelle acquise grâce aux ancêtres. Il faut quand même le dire aussi, on doit beaucoup aux cinéastes qui nous ont précédés, aux militants qui nous précédés aussi, et qui ont permis que cette liberté-là aujourd’hui, soit possible.
On est en ce moment au Festival du cinéma américain de Deauville, pensez-vous qu’on a des leçons à apprendre ou des inspirations à recevoir des Américains en matière de cinéma queer ?
Oui ! C’est le cinéma qui m’a marqué quand j’étais ado et qui m’a montré la voie, quelque part. Je pense notamment aux premiers films de Gregg Araki : The Doom Generation qui été à Deauville et Nowhere, que j’ai vu des dizaines de fois quand j’étais ado. C’était vraiment un film fondateur pour moi en termes de liberté sexuelle, de glamour, de personnages ultra libres. Ce sont des films qui m’ont énormément marqué. Après, en films plus troubles, je pense évidemment à Cruising de William Friedkin. J’en oublie sûrement.
Et côté français, quelles sont vos inspirations ? Quels films pourrait-on conseiller à quelqu’un qui veut s’initier au cinéma queer ?
Pour moi, un des plus grands films français queer de tous les temps c’est Un Chant d’amour de Jean Genet, un court-métrage de vingt-cinq minutes.
C’est une histoire d’amour entre deux prisonniers, un film silencieux, sans dialogues. Je crois que la musique a été ajoutée plus tard. C’est un film ultra cru, et romantique, et poétique. C’est un modèle de mise en scène, presque un tract poétique, et sexuel, et amoureux, et sensuel.
C’est magnifique d’érotisme et de beauté. Comme c’est un film court, c’est peut-être pas mal pour commencer. Pour moi, c’est vraiment le grand classique et le premier jalon du cinéma queer en France. C’est un film qui date de 1950, par sans doute l’un des plus grands écrivains français de tous les temps.
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