Elles ont beau toutes être horrifiées face à la recrudescence des actes antisémites en France depuis le 7 octobre, ces trois lectrices n’ont pas toutes fait le choix de se rendre dimanche 12 novembre à la marche contre l’antisémitisme. Elles nous expliquent pourquoi.
« Cela a été un choix très difficile pour moi », souffle Léa*. D’origine juive, cette trentenaire parisienne n’a pas battu le pavé dimanche 12 novembre.
Ce jour-là, à l’appel des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, une grande marche transpartisane était organisée à Paris pour dire non à l’antisémitisme. Des centaines d’autres mobilisations – 110, pour être exact – ont été recensées hors de la capitale pour soutenir la communauté juive, victime de violences et de menaces depuis les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier. En l’espace de trois semaines, plus de 1 500 actes antisémites ont été recensés en France, a révélé cette semaine le ministère de l’Intérieur.
Ce climat anxiogène pour toute une communauté, Léa le ressent bien. Issue d’une « famille juive très nombreuse », elle « redoute énormément la montée de l’antisémitisme comme la montée de la xénophobie en général ». Il lui a pourtant été impossible ce dimanche de défiler auprès des 105 000 personnes présentes dans les rues de Paris.
La présence insupportable du RN parmi les manifestant·es
Elle justifie son choix par la présence « presque co-organisante de Marine Le Pen et Gérald Darmanin » dans les rangs. Impossible pour elle de défiler parmi ceux qui « incarnent l’antisémitisme et la xénophobie » et qui tentent aujourd’hui de se racheter une image à des fins électoralistes :
« Pour moi, ça n’est pas comme manifester avec des personnes qui, dans le cortège, risqueraient de dire des choses avec lesquelles je ne serais pas en accord. Là, il s’agit carrément d’une présence politique, incarnée et forte, qui a pris la tête du cortège. »
De son côté, Juliette a participé à la marche dimanche, par conviction personnelle.
« C’est un combat qui m’anime depuis toujours et d’autant plus depuis que je suis maman de deux enfants dont le père est de confession juive. Il est important, à mes yeux, qu’ils puissent vivre, plus tard, leurs convictions de la manière la plus apaisée possible et que cela soit, plus largement, possible pour toutes les personnes, peu importe leur confession et leurs croyances en France. Cela fait partie des valeurs fondamentales de la République et il est fondamental, parfois, de le signifier. »
La jeune femme affirme ne pas avoir été dupe de « la récupération politique » et de « l’hypocrisie » de l’extrême-droite. « Mais cela ne m’a pas découragée. »
« Ce n’est pas du tout mon bord politique et, de mon point de vue, leur présence relève plus de la manipulation électorale que d’une réelle préoccupation autour des enjeux de cette marche. J’ose au moins espérer que leur présence aura un impact positif auprès de leur électorat sur la question de l’antisémitisme. »
Nora*, elle, a renoncé à afficher son soutien à la communauté juive dimanche lorsqu’elle a appris la présence d’élus Rassemblement national et Reconquête ! parmi les manifestants.
« J’avais peur des personnes que je pourrais croiser et la présence du RN faisait que je ne me sentais pas en sécurité. »
En tant que personne racisée, elle explique que ce parti d’extrême-droite lui « fait sincèrement peur ».
Pour elle aussi, ne pas pouvoir marcher contre l’antisémitisme a été un choix compliqué.
« Être une alliée ‘typée arabe’ viscéralement contre l’antisémitisme et me voir privée de cette manifestation m’a fait me sentir coupable, comme si j’entretenais cette idée reçue que les Arabes sont anti-juïfs. »
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Refuser de choisir un camp
La culpabilité est aussi un sentiment familier pour Léa, exacerbé par sa famille.
« Je suis totalement partagée entre mes positions politiques à gauche, qui m’amènent à m’élever contre toutes les xénophobies, contre les oppressions quelles qu’elles soient et la nécessité aujourd’hui, vu les tensions actuelles, de devoir choisir un camp, un combat et un seul au détriment des autres. Comme si ces combats n’étaient pas une lutte commune. »
Elle regrette notamment la « pression familiale » qu’elle ressent depuis bientôt un mois. « Ma famille connaît mes positions politiques et soupçonne que je me désolidarise de la cause juive et du combat contre l’antisémitisme. On me demande d’être engagée vis-à-vis d’un seul camp », déplore-t-elle.
Elle se dit en revanche « très touchée par les initiatives (trop peu médiatisées) de certain·e·s manifestant·e·s ou groupes politiques qui ont décidé de manifester contre l’antisémitisme mais en se distinguant clairement du RN et de personnalités politiques pour le moins ambivalentes comme Darmanin ».
Qu’elles aient ou non défilé dimanche, nos trois lectrices sont d’accord sur un point : il est aujourd’hui important de faire preuve de solidarité envers toutes les communautés discriminées, qu’elles soient juives ou musulmanes. Car toutes sont la cible de violences et de menaces, encore exacerbées par le conflit qui se déroule aujourd’hui à Gaza.
« Dans l’idéal, il aurait été préférable d’organiser une grande manifestation anti-raciste, plus universelle afin de rassembler plus largement même si, il me semble que la question de la lutte contre l’antisémitisme est assez à part car terriblement ancrée dans les mentalités françaises, parfois à travers de plaisanteries qui paraissent tout à fait anodines, mais qui sont lourdes de sens », estime Juliette.
« J’aimerais un jour qu’on puisse envisager un rassemblement pour lutter contre l’antisemitisme et l’islamophobie et contre toutes les formes de xénophobie mais ce jour n’est pas arrivé », constate tristement Léa.
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Nora, elle, juge que « rassembler largement peut se faire, mais il faut s’assurer qu’aucune discrimination ne soit ‘invisibilisée’ avec la participation de différents collectifs. J’adorerais voir une convergence des luttes, y inclure même les discriminations faites contre les personnes queers et handicapées ».
La jeune femme, qui a participé le 4 novembre dernier à une manifestation pour le cessez-le-feu en Palestine, juge d’ailleurs très « réconfortante » la présence de manifestant.es de tous horizons.
« Voir des personnes pas ‘arabes’ m’a fait un bien fou et ça m’a fait prendre conscience qu’il était important de me déplacer dans la rue pour des causes qui ne me touchent pas directement. La voix des allié·es donne une force ! J’ai envie de rendre la pareille à des luttes qui ne me concernent pas directement, mais qui me tiennent à cœur. »
* Les prénoms ont été modifiés.
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Les Commentaires
Effectivement la présence du RN est très surprenante surtout quand on revoit de JM Lepen.
Car, oui ils sont là pour de la récupération politique mais s'ils ont pu vraiment défilé tranquillement c'est que leur présence a été acceptée et qu'ils ont des votes. C'est assez choquant.
Et d'un autre côté, des militants RN ont attaqué une conférence sur la Palestine: https://www.humanite.fr/politique/e...un-militant-dextreme-droite-devant-la-justice