Surréaliste, incroyable, énorme… Difficile de trouver le bon adjectif pour décrire ce à quoi on a pu assister, mercredi 6 janvier à Washington.
Alors que le Congrès se réunissait à l’intérieur du Capitole afin de valider le résultat de l’élection présidentielle remportée par Joe Biden, les supporters de Trump ont fait irruption dans le bâtiment. Pendant quatre heures, ils se sont baladés dans les couloirs, allant de bureau en bureau, n’oubliant pas d’immortaliser le moment à coups de selfies… avec la police.
Des images ahurissantes qui donnent l’impression que ces hommes et ses femmes se sont octroyé le droit d’agir de la sorte en raison de leur couleur de peau : les intrus étaient majoritairement blancs.
En effet, il semble que la situation aurait été bien différente si les protagonistes étaient issus d’une minorité aux Etats-Unis, comme les militants Black Lives Matter, par exemple.
Une allégorie du white power
Comment la situation a pu dégénérer ainsi ? Au-delà d’avoir été motivée par le commandant en chef, la foule s’est attribuée le droit de pénétrer dans le Capitole sans rencontrer véritablement d’obstacle de la police à l’extérieur ou à l’intérieur du bâtiment.
Sur les différentes images à l’intérieur, on peut voir les manifestants errer dans les couloirs le sourire aux lèvres et prendre place sur le perchoir avant de quitter les lieux.
Très vite, les internautes ont pointé du doigt la nonchalance des trumpistes en évoquant le white privilege, le privilège blanc. Celui-ci est un statut préférentiel dont toute personne blanche bénéficierait tout au long de sa vie, comme l’explique l’activiste @queersocialism.
Or, selon Dolorès Bakèla, journaliste indépendante qui a travaillé sur cette élection présidentielle, il s’agit plutôt de white power :
« On ne peut plus appeler ça du white privilege. Ce dont il est question ici, c’est une démonstration de force viriliste, masculiniste, suprémaciste blanche, raciste et trumpiste dont le seul objectif était un déni de démocratie. On peut parler de white power. »
Alors que la notion est rejetée par certains, cet événement illustre clairement comment elle se traduit dans la réalité. D’après la journaliste, c’est l’idée que « le pouvoir blanc majoritaire puisse continuer de tuer, d’idéologiser sa supériorité avec les moyens nécessaires pour maintenir sa suprématie. C’est également une supériorité numérique qui s’appuie sur la violence et la force. »
En d’autres termes, de la perception de l’identité et la culture blanche découle un sentiment de domination du monde. Ainsi, lorsqu’un changement, même minime, s’opère politiquement ou socialement, la réaction est démesurée car il faut maintenir ses privilèges.
De l’importance de nommer les événements
Des mots qui font échos au déroulé des faits. Car en raison d’une élection « truquée » évoquée par Donald Trump plus tôt dans la journée, des hommes blancs ont pénétré par la force dans le sacro-saint de la démocratie américaine sans inquiétude, et surtout avec une garantie d’impunité du sytème judiciaire mais aussi des médias.
« Coup de force », « manifestations », « envahissement »… À l’évidence, les journalistes ont eu des difficultés à trouver le terme adéquat pour qualifier l’intrusion
dans le capitole des supporters de Donald Trump, qui relève purement et simplement du terrorisme.
Une situation que l’actrice Viola Davis dénonce dans un tweet :
D’habitude si prompts à évoquer le terme d’attentat en cas d’attaque, les médias ont fait preuve d’une vigilance inédite dans leur titraille malgré le triste bilan des violences.
Selon l’AFP, il s’élève à quatre morts et 52 interpellations dont 26 dans l’enceinte du Capitole. Des chiffres très faible au regard de l’impact de l’assaut. Par ailleurs, un engin explosive a ainsi été neutralisé à proximité du siège du parti républicain, pendant qu’un autre était désamorcé dans un bâtiment du Capitole selon CNN.
Une société à deux vitesses
Que se serait-il passé si des hommes et des femmes non blanches avaient agi de la même façon ? C’est une question que s’est posé l’acteur Chris Evans.
https://twitter.com/ChrisEvans/status/1346927215720734722
Difficile de ne pas faire le parallèle avec le mouvement Black Lives Matter (BLM). À la suite de l’assassinat de George Floyd par des policiers aux États-Unis, la communauté noire s’était mobilisée à travers le pays pour dénoncer le racisme et les violences policières dont elle est victime.
Alors que les marches de cet été étaient majoritairement pacifiques, le dispositif de sécurité était important, notamment devant le Capitole.
https://twitter.com/_DaniBeck/status/1346913272591654912
Autre différence : les revendications n’étaient pas les mêmes. En l’occurence, les militants du mouvement BLM réclamaient la fin de l’impunité de la police pour le meurtre d’hommes noirs, quand les manifestants présents devant le Capitole ce mercredi 6 janvier réclamaient l’annulation d’un scrutin qui s’est déroulé dans un pays démocratique. Dolorès Bakèla souligne justement :
« Il y a deux poids, deux mesures. Jamais un manifestant noir soutenant le mouvement antiraciste aux États-Unis n’aurait pu prendre le train en direction de Washington pour ensuite prétendre rentrer dans le Capitole. C’est impossible ».
En fonction de la couleur de peau et des revendications des militants, il y a un usage différencié de la force.
Une réalité dénoncée par Amnesty International. Dans un rapport publié au mois d’août 2020, l’ONG a recensé « une augmentation des violences policières perpétrées contre des manifestants (…) pendant le mouvement de contestation en mai et en juin ».
Ernest Coverson, responsable de la campagne Halte à la violence armée d’Amnesty International États-Unis, a déclaré :
« L’usage injustifié et parfois excessif de la force dont se sont rendus responsables des policiers contre des manifestants met en évidence le racisme et l’impunité structurels que justement ces hommes et ces femmes entendaient dénoncer en descendant dans la rue. »
À la lumière des faits, la différence de traitements entre les deux événements – les manifestations Black Lives Matter et l’assaut du Capitole – ne fait plus aucun doute, creusant davantage la fracture dans une société déjà bien divisée.
L’arrivée du nouveau président Joe Biden et de son administration changera peut-être la donne, qui sait…
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Les Commentaires
Depuis longtemps , je ne m'étais pas sentie aussi fière d'être citoyenne du Monde .