Il n’est pas possible d’interdire l’avortement aux Etats Unis, depuis l’arrêt Roe vs. Wade de 1973. En revanche, on peut y poser des conditions restrictives.
Concrètement, outre l’interdiction d’avorter au-delà de 20 semaines, le projet de loi déposé par les Républicains texans pose des conditions strictes aux cliniques susceptibles de pratiquer un avortement.
Ainsi, si cette réglementation devait entrer en vigueur, la plupart des cliniques pratiquant l’avortement au Texas devraient cesser de le faire : sur 42 cliniques actuellement en activité au Texas, seules 5 seraient toujours en mesure de pratiquer la procédure.
La loi n’interdit donc pas le recours à l’avortement avant la 20ème semaine, mais elle entrave considérablement la possibilité pour les femmes d’y avoir recours.
Une flibuste marathon
La flibuste parlementaire est une technique qui consiste à retarder le vote d’une loi par tous les moyens possibles, tant que le règlement des Assemblées est respecté. L’opposition parlementaire a notamment recours à la flibuste quand elle se trouve vigoureusement opposée à un projet législatif, mais en incapacité de le faire échouer par le vote.
En France, la flibuste consiste généralement à déposer un nombre considérable d’amendements : le règlement prévoit que chaque amendement doit être examiné. La gauche avait par exemple déposé plus de 130 000 amendements à la loi de privatisation de Gaz de France. À raison de 5-10 minutes environ par amendement, faites le calcul.
Au Sénat américain, la flibuste consiste pour un sénateur, à prendre la parole et à la garder le plus longtemps possible. Le règlement prévoit qu’un sénateur (ou plusieurs sénateurs) peut s’exprimer à la tribune du Sénat, aussi longtemps qu’il le souhaite.
Le seul moyen de stopper le flibustier est un vote aux trois cinquièmes de la chambre (soit généralement 60 sénateurs sur 100) décidant la clôture de la séance. Le but de la flibuste est donc de forcer un vote aux trois cinquièmes plutôt qu’à majorité absolue : c’est une majorité plus difficile à obtenir, si la loi en question est controversée, la flibuste peut permettre de faire échouer le vote, ce que l’opposition ne peut réussir à faire dans une configuration de vote classique.
C’est ce que la Sénatrice Wendy Davis a essayé de faire la nuit dernière : pour contrer la majorité républicaine décidée à restreindre l’accès à l’avortement au Texas, elle a occupé la tribune pendant 13h.
Le projet de loi devait être présenté mardi à 11h, la session parlementaire extraordinaire appelée par le Gouverneur Rick Perry prenait fin le même jour, à minuit.
Pour faire échec à ce projet de loi appelé « Senate Bill 5 » (SB5), les démocrates allaient avoir recours à la flibuste pour empêcher le vote avant minuit.
Les règles sont strictes : une fois à la tribune, la Sénatrice n’a pas le droit de s’assoir, pas le droit de s’appuyer sur le pupitre, elle doit rester debout (sa chaise a été retirée), elle n’a droit à aucune pause. Elle doit continuer son discours sans s’éloigner du sujet, car au 3ème rappel au règlement, elle devra s’assoir. Treize heures de discours sans manger ni aller aux toilettes, c’est long.
Les manifestations de soutien pulullent sur Twitter, le hashtag #StandWithWendy accompagne le marathon héroïque de la Sénatrice.
Message posté sur le compte Twitter officiel de Barack Obama
Le vote a lieu
À une demi-heure de la clôture, un troisième rappel au règlement interrompt le discours-fleuve de la Sénatrice aux baskets roses. Des sénateurs démocrates essaient de prendre le relais, mais sans succès. Le vote a finalement lieu, dans la confusion générale.
Mais le vote a lieu après minuit : l’opposition manifeste, car ce vote est illégal, il est intervenu après la clôture de la session parlementaire. Le projet de loi est caduque et il faudra recommencer l’intégralité du processus législatif pour être approuvé.
Sur le
liveblog de Texas Tribune, deux captures d’écrans révèlent une tentative de manipulation de l’heure. C’est une pratique assez répandue : en France on retarde volontiers l’horloge de l’Assemblée lorsque le budget n’est pas voté le 31 décembre à minuit, mais avoir recours à cette manoeuvre pour faire passer un projet de loi aussi sensible, c’est un coup politique risqué.
Deux captures d’écrans prises sur le site du Sénat à 9 minutes d’intervalle : la date du vote a été avancée au 25 juin, alors que le vote a initialement été enregistré le 26 juin, à 00:03.
C’est un peu gros pour que ça passe. D’autant plus que sur les réseaux sociaux, l’événement est suivi en direct. Les chaînes de télé ont rendu l’antenne, l’info est délivrée brute via des livestream ou relayée sur Twitter.
« Apparemment ils n’ont pas peur de revenir 40 ans en arrière, donc que sont quelques minutes en plus ou en moins pour voter ? » / « Apparemment les fuseaux horaires, tout comme l’évolution et les droits des femmes, ne sont vraiment compris par le GOP. »
Le vote est annulé
Le droit prévaut : le vote, intervenu après minuit, est invalidé. Le projet de loi est rejeté, il devra être présenté lors d’une prochaine session parlementaire.
1h48 (10h48 en France) – standing ovation dans le hall du Sénat, à l’arrivée de la Sénatrice Wendy Davis. Elle remercie toutes celles et ceux qui ont participé à ce caucus, toutes les interventions qui ont marqué cette nuit, sous les applaudissements nourris de la foule qui occupe toujours le hall (à 23″30 pour avoir une idée de l’ambiance) :
De 1 200 followers mardi matin, le compte twitter de la Sénatrice est passé à plus de 57 000 followers à l’issue de cette session.
« Grâce aux voix puissantes de milliers de Texans, le SB5 a été enterré. Une victoire incroyable pour les femmes texanes et tous ceux qui les aiment. »
Oui enfin c’est aussi surtout grâce à votre héroïque marathon à la tribune, Madame Davis. Et pour ça, franchement : bravo, et merci.
Les Commentaires
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