J’ai regardé Jade s’éloigner fièrement, ses talons ont claqué sur le sol de béton nu et bordel ce qu’elle était attirante.
Ne me faites pas penser ce que je n’ai pas pensé : j’ai dit attirante et c’est tout. Curieusement, quand je l’ai rencontrée, je me suis dit que j’avais enfin mis la main sur une fille complètement superficielle et que ça faciliterait grandement la satisfaction de mes besoins : en voilà au moins une qui ne regarderait que son nombril et que je pourrais sauter sans problèmes ultérieurs type sentiments et ambiance super-glue.
Figurez-vous que je me suis largement planté : une fille est bien pire lorsqu’elle ne fait que se mater dans le miroir que quand elle est à vos pieds où au moins elle satisfait chacun de vos désirs. Ce que je ne parviens toujours pas à comprendre, c’est pourquoi, quand je l’ai larguée là trois jours plus tard, elle s’est accrochée et a refusé de me lâcher. Sans doute un autre de ses caprices.
Ce que je ne comprends toujours pas non plus, c’est pourquoi j’ai cru bon de l’intégrer au Jeu. Le regard qu’elle vient de me lancer avant de tourner les talons m’a donné des frissons et m’a fait regretter sérieusement mon geste. Elle contre moi. Moi contre elle. Pour la première fois.
Je rumine, face au miroir de ma salle de bain : pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Quel besoin débile j’avais d’amener une fille avec un égo encore plus surdimensionné que le mien et contre qui j’allais forcément perdre ce soir, par voie de conséquence ?
J’entreprends de débarrasser mon visage des résidus de mousse à raser en le passant sous l’eau. Je me suis coupé, comme un imbécile. Je ne me coupe jamais. Le résultat de mon lancé de dés me hante. C’est quand on manque de la perdre qu’on réalise l’importance de la vie. Je soupire et sors de la salle de bain.
Illustration Rukya
Je m’appelle Clovis, je suis un gosse de riche. J’enfile en ce moment même l’équivalent de quatre mois de salaire de tes parents et je sais que ce costume finira sûrement bousillé avant la fin de la soirée. C’est la première fois que je le mets. Les gens vous le diront : je suis un égoïste et je suis bien le dernier qui irait les contredire ; je ne pense qu’à moi et je le vaux bien. Rien ne compte tant que mon plaisir: je vis pour sauter ta petite sœur, baiser ton chien et me bousiller la santé. Le reste n’est que littérature et je déteste lire.
J’attrape une L&M que j’allume avant de faire claquer mon Dupont : je vais être en retard. Et il faut que je démarre ma GT500 et que la musique s’allume, trop forte, pour que l’image de Lola surgisse sur mes rétines.
« C’est pour la petite bourgeoisie qui boit du champagne… » ronronne la radio.
J’essaie d’évacuer la suite du fantasme en accélérant : moi et Lola enlacés, dansant trop fort, trop près. Lola descendant le long de mes reins. Lola sur moi. Lola sous moi. Je passe la main sur mes yeux : cette fille m’obsède et rien que d’y penser je me sens durcir. Si je ne l’épingle pas rapidement, je vais devenir dingue. Reste un problème, à la limite : Alexandre. Et Kydd qui, d’après ce que j’ai compris cet après-midi, me laissera pas toucher à la garce de son chéri. Même s’il la déteste.
« I’m not crazy, I’m just fond of you… »
La gare se profile devant moi et je la dépasse allègrement. C’est plus loin que ça se passe. Sans mettre mon cligno, je tourne à gauche et le gars derrière fait hurler son klaxon : de toute façon ce beauf était à minimum cent mètres, comme s’il avait risqué quoi que ce soit derrière sa petite ceinture bien attachée. Je freine brutalement et je regrette qu’il n’y ait eu personne à écraser sur le parking. Je descends le miroir de courtoisie derrière le pare-soleil du siège passager pour un check-up de dernière minute. Cheveux en vrac, yeux très très bleus, air de fils de bonne famille, tout semble y être et je m’extrais de l’habitacle, tout en souplesse.
« I’m just recording a track for all the bitches out there, shaking their asses like they just don’t care. »
Je verrouille et abandonne la voiture sans plus de cérémonie. Les rails de chemin de fer se prolongent depuis la gare en contrebas. Je jette un œil au cadran de ma montre et je dévale le talus jusqu’aux rails, que je longe, m’éloignant du parking. Au bout de trois-quatre minutes, ça tourne et je me retrouve à un croisement.
« T’es en retard »
Je me tourne vers Lise avec un sourire pour toute réponse et décoche un clin d’œil à Jade qui, les bras croisés, me regarde, l’air farouche et du défi au fond des yeux. Je sens le regard de Lola peser sur mes épaules et rien que ça c’est bon. Pas question de perdre devant tout le monde.
« Deux trains vont se croiser ici dans exactement huit minutes. »
J’ai compris. Sans broncher, je fais quatre pas, me positionnant exactement entre deux rails. Du coin de l’œil, je vois Jade en faire autant avec les deux autres.
« Le premier qui s’écarte a perdu. » a tranché la voix de Lise et j’ai senti un frisson parcourir mes épaules.
Les Commentaires
ça me fait penser à la scène de "Jeux d'enfants", il me tarde de savoir ce qui va se passer, donc je file lire le chapitre "Olivia"!
(Comment te dire que j'ai hâte d'arriver au chapitre Alexandre!)