Quand Lola s’est assise à côté de moi, j’ai poussé un sifflement.
« T’as l’air d’une pute.
– Ta gueule. »
Cette fille me tape sur les nerfs. Mais je commence à comprendre pourquoi Alexandre est fou d’elle depuis qu’il l’a rencontrée : difficile de ne pas reconnaître qu’elle dégage quelque chose. Un truc assez indéfini, flou, une aura bizarrement envoûtante. Terriblement insolente, aussi. Traduction expresse de sa façon actuelle d’appuyer son coude sur le rebord de la fenêtre et sa joue contre son poing fermé : je me fais chier en ta présence, tu n’es rien d’autre qu’une subalterne et je ne vois pas pourquoi je me fatiguerais à prendre ton existence en compte. Tout ça sans avoir l’air d’y toucher. Elle est forte.
Je la déteste.
« Tu démarres ou tu essaies de m’exploser la gueule à force de regards mauvais ? », elle lâche.
J’appuie sur l’embrayage, je passe en première avant d’accélérer et on roule. Je l’observe du coin de l’œil et elle le sait. Elle se la joue, elle compose son personnage, travaille à en maintenir chaque petite particule bien en place. Je ne pense pas que ce soit un jeu, ça ne l’amuse pas le moins du monde. Quoi qu’elle puisse en dire aux gens qu’elle estime compter. C’est une question de survie. Dénuée de ses artifices, elle mourrait, sans doute. Étonnant comme malgré la puissance fourbe et sauvage qu’elle dégage, son talon d’Achille est exposé. Ou alors je suis la seule à m’en rendre compte ? Les gens ne sont pas aussi observateurs qu’ils aimeraient le faire croire.
Je m’appelle Camille et je déteste Lola. Une haine viscérale, jalousie féroce. Sa place aurait du revenir à n’importe quelle fille plutôt qu’à elle. Moi, de préférence.
Je m’appelle Camille mais les gens m’appellent Cam, je déteste Lola et elle me le rend bien. Tout n’est pourtant qu’apparence et je fais très bien semblant de l’admirer. Je déteste Lola et pourtant je me sers d’elle, c’est une façon d’arriver à l’intérieur. D’avoir mes entrées dans le Jeu. J’imagine que je ne suis pas la seule à avoir pensé l’approcher pour toucher Alexandre, mais je suis la seule à avoir osé. Parce que cette fille est une garce. Et au premier abord, impossible de comprendre pourquoi c’est elle qu’Alexandre a choisie.
Sans y penser je tourne à gauche, je regarde à peine dans le rétroviseur, j’ai d’autres chats à fouetter et si le connard qui klaxonne derrière n’est pas content, il peut bien se fourrer son volant là où je pense, merde.
« Tu es vulgaire. », c’est Lola qui constate.
« T’as vu ta touche ? », je réplique, agacée.
Je déteste aussi l’idée de lui servir de chauffeur. Mais je ferme ma gueule et je freine, un peu brutalement parce que le sursaut de Lola m’amuse. Chacun ses petites victoires, puisque si j’en fais trop, je sens qu’elle peut m’éjecter à tout moment. J’éteins le moteur et je me tourne vers Lola. Je préfèrerais m’auto-scalper plutôt que dire ce que je vais dire.
« Qu’est-ce qui est prévu ce soir ? »
Lola appuie sur l’autoradio et, avec le sourire le plus sardonique que je lui aie jamais vu, elle répond, alors que Radiohead hurle dans mes baffles :
« On va jouer au train électrique. »
Et je n’ai pas le temps d’en demander plus que sa portière s’ouvre et que Clovis l’aide à se glisser hors de la voiture. Ai-je signalé que ma portière à moi reste close ? Sans émettre le moindre son, je m’extirpe à mon tour de l’habitacle avant de les suivre à l’intérieur.
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
C'est pour ça que je ne me permettrai pas de dire si Lili a oui ou non un style propre. De toute façon même "avoir du style" aujourd'hui, au sens où beaucoup de monde l'entend, c'est à dire "être original", ce n'est jamais vraiment avoir son style à soi. Tout a déjà était fait, il est ultra difficile de pouvoir se renouveler entièrement.
Voilà, c'est tout ce que je pensais. Je n'essaie pas du tout de défendre Lili, ni de la faire plonger. C'est juste ce que votre débat m'inspirait.