Leipzig est une ville alternative : elle est peuplée de hippies, de bobos, d’artistes, de contestataires, d’ouvriers, d’étudiants, d’étrangers. Il y a de tout et c’est sûrement ce qui rend cette cité si intéressante et si vivante. La programmation culturelle et associative y est riche et parfois surprenante !
C’est de ce côté inattendu que je voulais parler, car le week-end de la Pentecôte, il se passe à Leipzig, et ce depuis plus de vingt ans, un truc tout à fait extraordinaire. De quoi je parle ? De la Wave-Gotik-Treffen, WGT pour les intimes, qui n’est rien d’autre que le plus grand festival gothique-steampunk et compagnie (je ne connais pas assez bien toutes les tendances pour prendre le risque de les écorcher ici) du monde entier, avec entre 18 000 et 20 000 participant•e•s chaque année.
La scène gothique (et toutes ses mouvances) existe depuis longtemps à Leipzig, et la volonté de créer un tel festival remonte aux années 1980. Mais ça n’a pas été possible, parce qu’à cette époque, la ville se trouvait dans la RDA. S’il subsiste aujourd’hui une sorte de nostalgie de cette époque révolue, c’est qu’on oublie facilement certains détails, comme le fait que la RDA disposait de services secrets redoutables répondant au doux nom de Staatsicherheit ou Stasi.
La Stasi avait pour but de surveiller et contrôler la population et particulièrement d’étouffer toute velléité de contestation du système. Proportionnellement, elle fut a été l’un des services secrets les plus performants avec le plus fort ratio agent/habitants. D’ailleurs pour celles et ceux qui ont vu le film La Vie des autres, il n’a pas pu être tourné dans les locaux de la Stasi parce qu’il avait été jugé trop irréaliste… en effet, aucun agent n’aurait agi aussi humainement. Ça pose l’ambiance, non ?
Bref, il a fallu attendre 1992 pour que la première WGT ait lieu et qu’elle devienne par la suite un événement incontournable.
« Wave-Gotik-Treffen (Abr.: WGT) (en allemand das Treffen signifie « la rencontre » ou « réunion ») est un festival annuel et mondial de la musique et des arts liés à la vague culturelle sombre, vague appelée communément « dark » ou darkwave. Ce festival se déroule au moins sur 4 jours et 5 nuits à Leipzig en Allemagne. Il donne plus de 200 concerts et manifestations, soit plus de 150 groupes et artistes de divers horizons participent à cet événement culturel mondial (rock gothique, EBM, bruitisme, darkwave, neofolk, néoclassique, médiévale, expérimentale, gothic metal, deathrock et punk ne sont que des exemples). Parallèlement le festival propose plusieurs salons et manifestations culturelles, ainsi que des marchés médiévaux et gothiques.
Le WGT se déroule dans toute la ville de Leipzig et ses environs. À cette rencontre mondiale, les salles de spectacles, les entrepôts industriels, les parcs d’expositions, certaines églises ou cryptes, les châteaux, parcs et jardins sont dédiés aux manifestations du Wave Gotik Treffen. Ce festival est probablement le plus important événement du mouvement gothique et des musiques ou genres s’y référant : cybergoth, néoclassique, dark électro et la musique industrielle. »
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Un week-end sacrément cool
Le week-end de la Pentecôte, la ville se transforme. Elle est envahie de gens portant les tenues les plus folles, allant des gothiques époque victorienne en redingotes et robes à cerceaux qui ne passent pas les portes aux cyberpunks aux tenues déchirées et aux piercings multiples. La plupart acceptent de se faire prendre en photo si on le demande et alors qu’on associe le gothique au macabre, l’ambiance est tout à fait légère et agréable !
Certes, mais des gens déguisés, ce n’est pas un peu léger comme argument ?
Ce qu’il faut savoir, c’est que la ville entière participe au festival. Il y a d’abord des concerts (plus de 200), sur des scènes parfois fermées et parfois non (comme on le voit dans la liste des artistes présents en 2014), mais aussi des conférences, des expos photo, des concerts dans les églises, des visites à thème dans les cimetières… Les galeries exposent des artistes en rapport avec cette culture et les musées organisent des expositions spéciales.
Le musée de la Stasi par exemple ouvre une aile de son bâtiment habituellement fermée et présente une exposition dédiée à la surveillance de la scène gothique et alternative. Le premier jour, un grand pique-nique est organisé et les participant•e•s costumé•e•s se mêlent aux curieux dans une ambiance enjouée. Si ça ne suffit pas, il y a également des lectures, des dédicaces d’ouvrages, des brunchs, des soirées, de la poésie, des créateurs de mode…
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Qui participe à la Wave-Gotik-Treffen ?
C’est peut-être ça le plus beau : tout le monde y participe. Il y a bien sûr ceux qui ont des pass et qui viennent exprès pour ça. D’ailleurs, puisqu’on en parle : les participant•e•s ont tous les âges ! Ils viennent en famille, avec leurs enfants, en couple ou entre potes. Ils sont chômeurs, étudiants, professeurs ou plombiers. Ils sont souvent impressionnants, mais sont surtout là pour en profiter et être eux-mêmes dans un esprit de tolérance. Mais il y a aussi tous les autres, les curieux, les habitants de la ville, les voyageurs de passage, etc.
Certaines activités sont gratuites, d’autres payantes. Avoir un pass garantit ton entrée, mais ne pas en avoir n’empêche pas de participer. On peut par exemple assister à un concert de musique médiévale sacrée dans l’Église St Thomas, celle où officiait Jean-Sébastien Bach de son temps, en compagnie de personnes vêtues de longues robes ornées de camées et de veste en velours à queue-de-pie et jabot de dentelles… ou trouver le smoking de ses rêves à une présentation de collection de mode.
La Wave-Gotik-Treffen et moi
En ce qui me concerne, je partais de très très loin : visuellement j’aimais bien le steampunk, le baroque et le gothique, ado j’ai écouté Nightwish et j’aimais bien Tim Burton. Clairement, si je n’avais pas été à Leipzig, je ne saurais toujours pas que le festival existe. Mais voilà, au mois de mai dernier, soit un mois après mon arrivée, mes collègues parlaient souvent du programme de la « Wéguété » (c’est approximativement comme ça que ça se prononce).
Il m’a fallu deux jours pour oser demander qu’on me mette à la page, tellement tout le monde avait l’air au courant. Une fois dûment informée, j’ai cherché le plus possible de programmations intéressantes (et si possible gratuites : j’étais stagiaire) pour voir à quoi ça ressemblait. Il faut dire que les photos des années passées m’avaient sacrément motivée.
J’ai surtout assisté à la WGT en tant que spectatrice. Je me suis beaucoup promenée, j’ai admiré les gens — la plupart ont des tenues vraiment travaillées. Je suis tombée amoureuse du plus beau couple du monde, j’ai croisé une fille topless dans un cimetière, été à un concert de musique sacrée et vu une exposition de peinture qui m’a interpellée (je ne suis pourtant pas très peinture).
Je n’ai pas été dans les concerts de musique gothique à proprement parler, même si j’en ai entendu (parce qu’une scène a beau être fermée, ça tape un peu), ni dans les bars (toute seule j’ai pas osé). Je ne peux donc pas trop parler de cet aspect-là, mais je sais que la programmation musicale est très appréciée par les amateurs de ces genres.
Ce qui m’a vraiment marquée, c’est l’atmosphère bon enfant, un peu surnaturelle de la WGT et la variété de tendances qui se cachent sous le mot gothique. Les gens sont détendus et discutent volontiers. J’ai même eu très envie de me convertir au style gothique baroque, mais la perspective de porter de lourdes robes en velours par 30°C dehors m’a vite refroidie ! Le fait de ne pas être dans le style ne dérange pas, tant qu’on traite son prochain avec respect, que celui-ci ait des cornes sur la tête ou soit habillé en lycra fluo.
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Même lorsque l’on n’est pas gothique et que l’on n’y connaît rien, la WGT reste un événement impressionnant. D’abord, parce qu’il propose un programme riche et tout à fait inattendu, mais aussi parce qu’il met un bon coup de pied aux fesses de nombreux clichés et donne une jolie leçon de tolérance et d’ouverture d’esprit.
La WGT permet de découvrir une nouvelle facette de la ville, de la culture allemande et internationale, et visuellement, il faut bien le dire, c’est assez sensationnel. Personnellement, j’ai hâte d’être à la prochaine Pentecôte et je réfléchis activement à comment faire pour découvrir plus de choses cette année !
Pour aller plus loin :
- Le site de la Wave-Gotik-Treffen, qui aura lieu du 22 au 25 mai 2015 !
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On a hâte de vous lire !
Les Commentaires
Je crois que je devrais me faire une wishlist des festiv ou j'aimerais aller ^^"