Wet Ass Pussy, trois petits mots qui suffisent à embraser un été. Le 7 août 2020, Cardi B a mis en ligne le clip de WAP, son duo avec Megan Thee Stallion, une chanson 100% caliente qui parle de cul, de chatte, de cyprine, de bite, de laisses, de menottes, bref : DE SEXE.
Et il se trouve que WAP est une excellente ode à la liberté sexuelle féminine, malgré ce qu’en disent quelques esprits étriqués !
WAP, le tube de Cardi B et Megan Thee Stallion
Tenues de créateurs, esthétique survitaminée qui n’est pas sans rappeler les œuvres du photographe David LaChapelle, fessiers rebondis et caméos de stars (dont celui, controversé, de Kylie Jenner) : le clip de WAP est une très grosse prod dans laquelle Cardi B et Megan Thee Stallion s’amusent comme des folles en parlant de cul.
Les rappeuses ne sont ni dans l’allégorie, ni dans la métaphore : les paroles de WAP sont aussi limpides que l’eau dans laquelle les deux femmes barbotent en évoquant leur cyprine abondante. Extrait.
Yeah, you fuckin’ with some wet-ass pussy Bring a bucket and a mop for this wet-ass pussy Give me everything you got for this wet-ass pussy
(Ouais, tu baises une chatte qui mouille grave Amène un seau et une serpillère pour cette chatte qui mouille grave Donne-moi tout ce que tu as pour cette chatte qui mouille grave)
Cette ode aux gros chibres, aux vulves trempées et au cunnilingus a engrangé 67 millions de vues en quatre jours, et devrait continuer sur cette belle lancée. La preuve qu’elle titille quelque chose d’aussi sensible qu’un clitoris.
WAP, un exemple d’empowerment et de libération sexuelle
Rarement aura-t-on vu paroles aussi explicites dans un tube grand public écrit et interprété par des femmes. Si les hommes ont l’habitude de vanter les mérites de leur pénis (forcément massif, performant et plus dur qu’une griffe d’adamantium), il est moins commun de voir des meufs chanter les louanges de leur vagin aussi efficace que lubrifié.
Cardi B et Megan Thee Stallion donnent-elles le « mauvais exemple » ?
Comme toujours lorsque les femmes prennent en main les rênes de leur sexualité, beaucoup sont prompts à les accuser d’être « un mauvais exemple » pour la jeunesse. Comme ce père de famille, qui s’inquiète de l’influence que Cardi B et Megan Thee Stallion pourraient avoir sur sa fille :
J’ai une fille et je vais devoir la garder sur la bonne voie, parce qu’elle grandit dans une génération où non seulement la musique est flinguée, mais tout est flingué. Donc je dois la garder à sa place.
Il y a beaucoup de morceaux de ce type qui sortent, celui-ci est passé dans ma timeline et je me suis dit : « voilà un exemple parfait de ce qui cloche dans la tête de ces femmes ».
Aurore Malet-Karas, docteure en neurosciences et sexologue, décrypte pour madmoiZelle :
On ne demande pas aux mecs d’être un exemple. C’est tout à fait normal pour eux de faire ce types de vidéos, avec des femmes qui se comportent un peu comme Cardi B et Megan Thee Stallion dans WAP, mais qui sont en infériorité par rapport au rappeur, qui sont parfois tenues en laisse…
Ici, on a deux femmes qui montrent qu’elles peuvent être désirées mais surtout désirantes. La question du désir féminin reste un tabou, toutes ses manifestations sont rabaissées, donc moi je trouve ça bien de montrer des femmes qui assument d’aimer le sexe.
En effet, si on peut voir des reproches adressés aux rappeurs apparaissant dans des clips très explicites, les critiques se porteront plutôt sur leur prétendue « vulgarité
» et leur non-respect pour les femmes. Personne ne leur reprochera de « donner une mauvaise image des hommes », d’être un mauvais modèle pour les petits garçons.
Les hommes ne sont pas réduits à leur genre ; ils sont des personnes. Mais en 2020, une femme a toujours devoir d’exemplarité, comme si elle ne pouvait pas suivre sa propre voie sans s’inquiéter d’inspirer correctement, de représenter « comme il faut » le genre féminin, de faire grandir la cause des femmes.
Aurore Malet-Karas poursuit :
Historiquement, le patriarcat s’est codifié en scindant les femmes en deux camps : la femme bien (la mère) et la prostituée. Cette dissociation, qui date de la Rome antique, persiste dans nos sociétés : une femme sexuellement libérée ne sera pas vue comme digne de respect.
C’est pourquoi je trouve qu’il est toujours intéressant de voir des figures féminines qui sont libres, qui sont des exemples de réussite, et qui assument leur sexualité en se plaçant dans une position de pouvoir. Car malheureusement, pour les femmes, sexualité n’est pas encore synonyme de pouvoir.
Petite histoire des rappeuses qui parlent de sexe
Cardi B et Meghan Thee Stallion ne sont bien évidemment pas les premières rappeuses à parler explicitement de cul. Pour madmoiZelle, Neefa, journaliste rap chez OKLM, retrace un bref historique de la libération sexuelle féminine dans le hip-hop américain :
J’écoute du rap depuis toujours, et j’ai 30 ans, donc à mes yeux, la rétrospective commence dès les années 1980, qui marquent l’arrivée de ce qu’on appelle les pionnières du rap — Salt-N-Pepa, MC Lyte, Roxanne Shanté…
Elles ne parlent pas forcément de sexe, en tout cas pas explicitement ; elles évoquent surtout les relations amoureuses. Car leur premier défi, c’était déjà d’être des femmes rappeuses qui peuvent faire aussi bien que les hommes ; d’ailleurs elles avaient souvent un look plutôt masculin.
Les plus « sulfureuses » de cette période, avec beaucoup de guillemets, sont les trois meufs de Salt-N-Pepa, notamment via leur morceau Let’s Talk About Sex, très provoc pour l’époque.
À la fin des années 1990 se produit un grand cataclysme. Le même mois de la même année, en novembre 1996, Lil Kim et Foxy Brown sortent chacune un album. Je parle de cataclysme car elles s’inscrivent en totale rupture avec les pionnières du rap : elles sont en tenues légères, la timidité n’est plus de mise et le sexe n’est plus seulement suggéré.
Lil Kim est LE prototype de la rappeuse sexy, qui aime choquer. Mais au final, elle a moins de mal à convaincre le public que les maisons de disques. Même si certains voudraient ne voir en elle qu’un faire-valoir qui a décidé de se mettre en avant, son talent met tout le monde (ou presque) d’accord.
https://twitter.com/brooklynrwhite/status/1291743129687797761
Lil Kim accroupie, des années 1990 au clip de WAP
Et dans les années 2000 débarque encore une nouveauté. Missy Elliott brouille les pistes : elle parle librement de sexe, ne se force plus à singer les hommes, incarne une identité non-genrée, à l’orientation sexuelle incertaine, ce qui la rend aussi originale que déstabilisante. C’est une étape supplémentaire, une opportunité d’être ce qu’on veut sans rentrer dans une case.
À mes yeux, Lil Kim et Missy Elliott sont clairement les « mamans » des rappeuses actuelles.
Au-delà de l’influence indéniable de Lil Kim, Neefa remarque dans le clip de WAP de nombreux clins d’œils et références à la culture afro-américaine ; autant de révélateurs, selon elle, du « plaisir fou » que prend Cardi B à incarner ses idoles.
L’esthétique est très années 1990 : on retrouve des coiffures iconiques (la chaîne de cheveux de Cardi B est inspirée d’une apparition publique de Left Eye, du groupe TLC, en 2000), des icônes de la période (le sein dénudé avec le téton masqué peut faire référence à Janet Jackson, Madonna, et bien sûr Lil Kim)…
Je vois également, dans le look, dans l’attitude de Cardi B et Meghan déambulant parmi les couloirs de ce grand manoir, une référence à un film très important pour la communauté afro-américaine : Black American Princess, B.A.P.S. pour les intimes. J’ai l’impression d’en revoir les héroïnes, version 2020.
Dernière référence un peu plus niche mais qui compte pour moi : l’une des guest stars du clip, la chanteuse Normani, porte une tenue faisant écho à un photoshoot inoubliable de Naomi Campbell. Normani-Naomi, deux femmes noires aux silhouettes similaires… ça marche !
Impossible de ne pas évoquer, ne serait-ce que rapidement, le caméo de Kylie Jenner, tellement controversé qu’une pétition demandant son retrait a déjà récolté 67 000 signatures, alors que Cardi B a défendu sa présence dans le clip. Un avis que Neefa rejoint :
On colle à Kylie Jenner un procès d’illégitimité, on estime qu’elle n’est pas assez affiliée à la culture rap et/ou qu’elle n’est pas une femme assez libérée pour être dans le clip de WAP. Je ne suis pas d’accord.
Pour le premier point : Kylie Jenner a 23 ans, elle fait partie d’une génération qui a grandi avec le rap comme culture mainstream, elle écoute beaucoup de hip-hop, elle a fait un enfant avec Travis Scott, l’un des plus grands rappeurs du moment… c’est son univers.
Pour le second : quoiqu’on en pense, Kylie reste une jeune femme cheffe d’entreprise, qui semble plutôt libre.
Donc je trouve que c’est légitime de l’avoir invitée à participer. Et puis, au pire, ça fait parler du clip, donc c’est une bonne idée !
Cardi B et Meghan Thee Stallion, deux femmes, deux modèles
Aurore Malet-Karas est moins calée que Neefa niveau culture rap, mais ça ne l’empêche pas de tisser une analyse pertinente des symboles présents dans le clip et les paroles de WAP :
On a des femmes qui sont dans un jeu de toute-puissance. Elles jouent sur des codes traditionnellement masculins ; entre les animaux rares et les métaux précieux, les symboles renvoient aux rois, aux pharaons, aux dieux. Et elles se réapproprient ces éléments sans se masculiniser, au contraire : leur féminité est exacerbée.
Il y a beaucoup de fric dans ce clip, ce qui est à mes yeux une pente un peu glissante car sexe + argent, ça peut renvoyer à l’idée de la prostituée dans la dichotomie patriarcale dont je parlais plus haut. Mais ça fait aussi partie, plus largement, de la culture hip-hop ; et puis ce sont les femmes, ici, qui ont l’argent, pas le client ou le proxénète d’une hypothétique travailleuse du sexe.
On pourrait reprocher à Cardi et Meghan de reprendre des codes de sexualité masculine, des visuels « porno chic » issus du patriarcat. Mais bon, c’est le monde dans lequel on vit, ça n’empêche pas le message de passer.
Et puis elles en jouent, de ces codes. Elles parlent de mouiller beaucoup, ce qui est très tabou dans nos cultures occidentales ; ici elles le revendiquent comme quelque chose de positif. La sexualité, à leurs yeux, n’est pas sale.
En réclamant des pénis bien gros et bien durs (« besoin d’un mec qui tape fort dans le fond […] pas besoin d’une couleuvre j’ai besoin d’un cobra royal »), Cardi B et Megan Thee Stallion renvoient à l’angoisse masculine de ne pas être performant. C’est presque castrateur : la femme, puissante, assume ce qu’elle désire, ce dont elle a besoin pour jouir. Elle est exigeante au sujet de son plaisir, c’est rare et intimidant !
Et puis moi, ce qui m’a beaucoup plu, c’est l’humour. Il y a énormément d’autodérision dans ce clip ; d’une part, ça dédramatise la sexualité, et d’autre part, pour rire de soi-même, il faut avoir une bonne dose de confiance en soi. Voir ces deux femmes se marrer ensemble, ça fait plaisir.
Neefa voit en ce duo féminin un symbole fort qui justifie largement le succès du clip.
J’ai l’impression que WAP fait quasiment l’unanimité, même chez les hommes. Et ça s’explique de plusieurs façons :
- Cardi B cultive une grande proximité avec son public, beaucoup de femmes s’identifient à son franc-parler, son humour mais aussi son impudeur
- Ça fait un petit moment qu’elle n’a pas sorti de gros son, elle est très attendue
- Megan, de son côté, est un symbole pour beaucoup de femmes noires à la peau foncée, qui ont un physique certes voluptueux mais souvent dévalorisé, animalisé…
- Le morceau est plus explicite que ce à quoi on s’attendait ; j’imaginais de la provoc et de belles punchlines, mais elles m’ont surprise en poussant les curseurs au max
- Le clip est un bijou d’esthétique et de références
Peut-être qu’il y a ne serait-ce que deux ou trois ans, la formule n’aurait pas aussi bien fonctionné. Mais il s’est passé tant de choses pour les femmes, pour le féminisme, qu’en 2020, les étoiles semblent alignées pour faire de WAP un hit.
Aux États-Unis, c’est à peu près acquis que ce genre de clip a le droit de cité. Les ponts entre la pop classique et le rap ont flouté les injonctions et permis une plus grande liberté. Quand Miley Cyrus twerke, ça « légitime » en quelque sorte les rappeuses qui le font, même si elles ne seront pas traitées de la même façon par les médias.
C’est comme une sorte de féminisme qui transcende les genres musicaux : l’objectif reste de s’affranchir, par divers moyens.
Mais bien sûr, il faut qu’il y ait du talent. Le sexe ne peut pas être le seul argument. Cardi B, ça ne marche pas juste parce qu’elle est souvent nue et qu’elle fait de la provoc : elle a des compétences indéniables !
Voilà tout ce qui se cache derrière ce que certains voient comme des choix artistiques creux ne visant qu’à choquer : toute une histoire des femmes dans le rap, de la sexualité féminine, de la sororité et même, oui, du féminisme.
Cardi B et Megan Thee Stallion savent déjà qu’on peut être féministe même en string léopard ; elles ne font que le prouver à nouveau avec cette ode à leurs wet ass pussies.
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