Esther est partie à la rencontre des Sénégalaises durant trois semaines. Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, qui s’égrainent au fil des jours sur madmoiZelle.
Pour retrouver le sommaire de tous les articles publiés et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil à l’article de présentation : madmoiZelle en reportage au Sénégal !
- Précédemment : Utiliser le théâtre comme outil d’éducation populaire, le pari de la troupe du Noumec au Sénégal
Embarquement de 15h à 19h pour un départ à 20h. C’est ce qui est écrit sur mon billet pour Ziguinchor, au départ de Dakar.
Voilà approximativement le trajet que je vais faire. Arrivée prévue autour de 10h le lendemain — soit près de 15h de voyage.
Ce n’est pas un embarquement en avion, mais en bateau. Il faut dire tout le monde m’a déconseillé de prendre la route : il faut traverser les postes de frontière gambiens et, apparemment, y laisser un nombre conséquent de billets.
Par bateau, je n’ai « que » 6 ou 7 contrôles de passeport à franchir qui ont l’avantage de ne pas occasionner de surcoûts. J’ai décidé de venir à 17h30 au port pour avoir largement le temps d’embarquer, et me poser à bord avant le départ.
Vous avez peut-être remarqué que j’ai une sorte de fascination pour la mer et que je vous parle de voyage à la voile dès que l’occasion se présente… Cette fois-ci ce n’est pas un voilier mais un gros navire qui m’emmène en Casamance et je suis très impatiente de découvrir ce que le voyage me réserve.
Here we go !
Embarquer sur l’Aline Sittoé Diatta
Le bateau s’appelle Aline Sittoé Diatta, en hommage à celle qui est une figure de la résistance face aux colons dans la région de Ziguinchor.
Elle est surnommée « la Jeanne d’Arc d’Afrique », car ce serait suite à des révélations du même type que celles de la Dauphine d’Orléans qu’elle aurait décidé de se muer en héroïne de la désobéissance civile, entrainant son peuple avec elle.
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Au point qu’elle aurait été nommée Reine de Casamance selon les panneaux qui honorent sa mémoire sur le bateau !
Ceux-ci racontent aussi que sa stature devenant menaçante pour l’administration coloniale, elle fut arrêtée et mourut en détention quelques mois plus tard. Les sources ne sont pas concordantes concernant son âge, mais il semble qu’elle n’avait alors même pas 30 ans.
Je m’installe dans une cabine de huit places et à défaut de la Casamance, ma couchette devient mon royaume pour la nuit.
Spacieux à souhait.
Départ pour Ziguinchor
Au moment où on lève l’ancre, il fait déjà très sombre. Moi qui espérais voir le coucher de soleil sur la mer, c’est raté. En même temps il suffisait que je calcule l’heure du coucher de soleil hein.
Bo-bye Dakar, on se voit dans une semaine !
Pour compenser, il y a les étoiles. Je lève la tête et je m’aperçois que ça faisait un moment que je n’avais pas vu le ciel comme ça. En même temps, à part les lumières du pont inférieur, il n’y a pas grand chose pour gâcher la vue.
J’observe l’eau, habituellement la vision de l’océan m’apaise quasi-instantanément. Mais là, il me paraît surtout sombre, les étoiles ne s’y reflètent pas.
Je ne sais pas si je suis la seule, mais les voyages pour moi sont comme une bulle suspendue dans le temps. Ce sont quelques heures où je ne dois rien à personne, quelques heures que je peux prendre pour me poser et penser à moi.
Aline Sittoé Diatta, « le navire des rencontres »
En l’occurrence, je vais vite comprendre que sur ce bateau, ce n’est pas souvent comme ça que ça se passe. À peine ai-je sorti mon carnet pour écrire qu’un homme s’assoit à côté de moi, sur le pont supérieur. Et il a manifestement l’air de vouloir entamer la conversation.
Je referme mon carnet, il me demande si je fais des recherches. Il m’a entendue au téléphone un peu avant le départ, parler contraception et avortement avec une femme que j’ai prévu d’interviewer.
Je lui explique la raison de ma présence ici, il me raconte la sienne. Il est prêtre et professeur en sciences de l’éducation. Il connaît ma région d’origine et pour cause : il a fait ses études à Limoges où il a encore plein d’amis.
C’est certain que je ne rencontre pas tous les jours des sénégalais qui connaissent le Poitou-Charente, déjà que les français ont parfois du mal à le situer. Il m’offre un verre en me présentant à un ami à lui, français qui vit au Sénégal depuis 29 ans, et qu’il avait aussi rencontré à bord il y a quelques mois.
Je refuse le whisky ou tout autre cocktail car j’ignore encore comment je vais supporter le trajet : ce sera un jus d’ananas !
Réveil en plein océan
Je finis par me retirer poliment en prétextant le sommeil : j’ai un article à écrire. Mais c’est vrai que je ne veux pas m’endormir trop tard, j’ai mis mon réveil à 5h30 pour assister au lever du soleil.
Lorsqu’il sonne, je suis persuadée de l’avoir réglé trop tôt car il fait encore nuit noire. Il y a des tapis installés devant la porte qui mène au pont. À cette heure-ci beaucoup de gens y sont agenouillés pour prier.
En sortant j’aperçois du coin de l’œil mes rencontres de la veille mais je décide de filer sur le pont supérieur pour profiter du spectacle, si spectacle il y a, en toute quiétude. J’apprendrai plus tard qu’ils ont descendu la bouteille de Jacks Daniel du bar dans la nuit !
Au loin, on voit finalement poindre une lueur bleue. Il y a un beau croissant de lune aussi. Petit à petit la lueur devient plus claire, les personnes sur le pont sont plus nombreuses.
Assister à un naufrage impuissante
Et alors que ça s’éclaircit, j’ai l’impression d’apercevoir au loin un truc qui ne ressemble pas à une bouée, dans l’eau. Je plisse les yeux. Un corps bondi, deux bras s’agitent.
Je ne rêve pas, il y a des gens à la mer ?
La pensée m’effleure qu’ils se baignent, mais lorsqu’on s’approche j’aperçois sous eux une pirogue retournée et on est bien trop loin du rivage pour que ce soit le cas de toutes façons.
Je fais partie de ceux qui s’affolent. C’est moitié-moitié, beaucoup de gens semblent paralysés. Alors que je descends sur le pont inférieur pour chercher de l’aide je constate que d’autres personnes ont prévenu la sécurité. Deux hommes arrivent, mais le bateau s’est éloigné à toute vitesse et on ne voit déjà plus les trois naufragés.
C’est alors qu’on croise la route d’une autre pirogue de pêcheurs – elles partent généralement en mer aux aurores pour plusieurs jours. À grands cris, à grands gestes, tout le monde leur pointe la direction des hommes à la mer, et il semble qu’ils aient compris le problème puisqu’ils se dirigent vers eux.
Je suis hébétée, un peu paniquée de ne pas savoir comment m’assurer que ces trois hommes vont recevoir du secours. Je pose la question autour de moi pour m’assurer que j’ai bien compris : oui, me rassure-t-on, les pêcheurs sont partis les chercher.
Voir des dauphins accompagner le bateau
Je m’accoude à la balustrade. Je ne suis pas la seule à être secouée. Je fais la connaissance d’une fille « en vacances avec son pote qui travaille à Dakar ». À côté d’elle, se un tient un homme que j’avais aperçu avant même d’embarquer.
Quand soudain : des dauphins. Un dauphin en fait, qui nous fait grâce de plusieurs bonds hors de l’eau. C’est ce que j’appelle un ascenseur émotionnel (même si je sais ce que vous allez me dire, les dauphins sont des violeurs, et je vous réponds que ça reste impressionnant à voir).
Oui j’ai fait un gif de son dernier bond rien que pour vous.
L’homme aperçu au port se nomme Tonio. J’engage la discussion : il est venu former des sénégalais et sénégalaises à une forme spécifique de spectacle : la conférence gesticulée (un mélange entre sérieux d’une conférence et aspect ludique du théâtre). Le but est que ses élèves écrivent les leurs, pour faire vivre la citoyenneté dans leurs communautés.
Il est étonné que je connaisse le concept, je prends son numéro car j’adorerais venir assister à une journée de formation pour en faire un reportage (que tu peux lire juste ici !).
Débarquement à Ziguinchor, fin d’une aventure
Avec toutes ces émotions on ne s’est même pas aperçu·es que le soleil était désormais bien au dessus de l’horizon. On arrive à l’escale de Carabane.
Alors qu’on s’engouffre sur le fleuve pour repartir vers Ziguinchor je fais la connaissance d’Awadioufy, jeune dakaroise qui vient « régler quelques papiers » et faire un stage de deux semaines à Ziguinchor.
Le fleuve Casamance est paisible.
Impossible de dire au revoir à toutes les personnes rencontrées sur le bateau au moment de descendre, il y a foule et on m’attend pour s’enfoncer dans les paysages casamançais faits de verdure et de marais.
Mais j’ai gardé les contacts de chacun d’entre eux, et j’en reverrai plusieurs quelques jours plus tard.
Il semble que ce bateau soit LE lieu des rencontres. Il faut dire qu’avec en gros 15 heures de voyage, il y a le temps de faire connaissance. Tout le monde a une, voire des, histoires à raconter sur ses voyages à bord.
Petite victoire pour moi : je n’ai pas été malade. Je peux même vous dire aujourd’hui que je n’ai eu le mal de mer ni à l’aller, où ça ne secoue pas vraiment, ni au retour où c’est une autre autre paire de manche !
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