Nous avons visité les deux capitales de la Bolivie. La Paz est la capitale administrative, et la capitale la plus haute du monde : culminant à 3 660 mètres, elle est construite dans une cuvette. L’exode rural a fait que la ville s’est étendue, et a grimpé hors de la cuvette jusqu’à former une nouvelle ville, El Alto, en banlieue ouest de La Paz. C’est la ville la plus haute du monde, à 4000 mètres d’altitude au sommet de l’Altiplano bolivien, avec un million d’habitants dont plus d’un quart n’ont pas l’eau courante.
À lire aussi : Mon voyage en Bolivie, entre beauté et pauvreté 1/2
On y accède par des lignes de téléphériques, construites en 2014 par une entreprise autrichienne, qui relient La Paz à El Alto, pour la modique somme de 3 bolivianos (un euro équivalant à 8,2 bolivianos) — l’idée étant que les populations les plus pauvres d’El Alto puissent descendre à La Paz.
Cette dernière est une ville escarpée, et doit être visitée en déambulant lentement au rythme de la journée ; les rues en pente et l’altitude diminuent considérablement le souffle. C’est une ville animée, aux rues bondées de piéton•ne•s marchant lentement vers les lieux de vie.
Des dames en costume vendaient d’excellents fruits produits dans la région tropicale de Santa Cruz. Des artistes de rue fabriquaient de jolis tableaux avec de la peinture en bombe, un chiffon et un bâton taillé en pointe. Les commerçants, regroupés par activité, démarchaient les badauds à l’entrée de leur boutique. Des artisans itinérants vendaient leurs œuvres à même le sol.
Plaza Murillo, La Paz.
Le marché aux sorcières longeait deux rues, et on pouvait y trouver de la feuille de coca (extrêmement efficace contre le mal d’altitude, je vous l’assure), des amulettes porte-bonheur en pierre, ou encore des fœtus de lamas qui, enterrés sous les fondations d’une maison, éviteraient que celle-ci ne s’écroule…
La plaza Murillo regroupe le palais présidentiel ainsi que le Congrès, elle est donc le symbole des pouvoirs législatif et exécutif. On y trouve également la très jolie cathédrale, et quand nous y étions il y avait même un splendide sapin de Noël fait en feux tricolores verts recyclés ! En déambulant, nous sommes tombés sur un marché de Noël situé sur un mirador. Au loin, on pouvait distinguer l’Illimani, montagne de 6400m, couverte de neiges éternelles.
Deux capitales à deux vitesses
Le contraste entre Santa Cruz et La Paz est saisissant : Santa Cruz, ville cosmopolite et très propre sur elle, où la municipalité a fait voter une loi autorisant à tuer les chiens errants parce que ça fait désordre quand même, où les enseignes américaines se multiplient, est le centre économique de Bolivie. À l’inverse de La Paz, où les populations amérindiennes dans le besoin côtoient de riches propriétaires.
Au sein même de La Paz règne un décalage qui ne semble pas déranger les Bolivien•ne•s, mais qui pour une étrangère est très poignant. Dans le quartier populaire où nous logions, et en remontant vers le cimetière, des femmes, avec leurs petits à peine nés, vendaient des fruits à même le sol pour des piécettes, ou toutes sortes d’objets. Certaines possèdent une petite baraque à journaux qu’elles verrouillent aux lampadaires au coin des rues.
Les cireurs de chaussures sont en surnombre, et cagoulés, car honteux à l’idée qu’on puisse les reconnaître. Les Bolivien•ne•s avec le sou ne semblent pas déranger par la condition de ces hommes, leurs concitoyens. Vous me direz, c’est un peu pareil en France…
Et puis il y a Sucre, capitale constitutionnelle du pays. Le climat y est agréable, le soleil ne tape pas trop fort, sûrement parce que nous étions redescendus à 2 800 mètres d’altitude. Connue comme faisant les meilleurs chocolats du pays, elle est aussi la plus jolie ville de Bolivie selon beaucoup de personnes (et je partage cet avis), et a été nommée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1991.
Autrefois nommée Ciudad Blanca de par ses beaux édifices baroques blancs, elle tient son nom actuel du maréchal Sucre, héros de l’Indépendance aux côtés de Simon Bolivar. Le parc Bolivar est d’ailleurs un grand jardin où il fait bon se promener et où viennent parfois des itinérants venant de toute l’Amérique du Sud, vendant des bijoux en argent ou encore leur dextérité en matière de tatouage. Les marchés sont magnifiques : il y a le Mercado Central où l’on peut manger de succulentes salades de fruits surmontées de crème et de smacks, et le Mercado Campesino, plus éloigné du centre, mais gigantesque, moins cher, et très bien approvisionné.
On trouve aussi l’université San Francisco Xavier de Chuquisaca (Sucre est la capitale du département de Chuquisaca), qui a été fondée en 1624 et est la deuxième plus vieille université d’Amérique du Sud.
Cette ville est paisible, charmante et majestueuse en même temps, et j’ai beaucoup aimé y gambader pendant une journée entière. Avec des quadriceps au top de leur forme (bon, en vrai, même moi j’y suis arrivée), on peut monter en haut de la Ricoleta, colline surplombant la ville. De nuit, l’endroit est le rendez-vous des amoureux.
Mais à Sucre, dans la même rue où un magasin Levis vend des jeans à un prix toujours aussi indécent (le revenu mensuel moyen en Bolivie était de 212,5$ en 2013), des familles entières mendiaient, profitant de la période de Noël. Des petites filles et des petits garçons, incroyablement beaux, me tendaient la main pour récolter quelques pièces, en souriant à pleines dents.
Dans le mercado central, de vieilles dames voûtées passaient à petits pas devant les stands quémander une gorgée de Coca ou un fruit. Un après-midi, un petit garçon d’environ 8 ans chantait des chansons de Noël contre quelques bolivianos, après nous avoir expliqué sa situation d’une voie lasse et monotone. Il connaissait son texte par cœur à force de le répéter, et aucune émotion ne s’affichait sur sa frimousse alors qu’il chantait une mélodie joyeuse.
De manière générale, lorsque l’on traverse les rues, des mains se lèvent du sol et des voix implorantes demandent quelques pièces. Et quelques allées plus loin se dresse un cinéma affichant fièrement le troisième volet du Hobbit (en 3D s’il vous plaît)…
Il y a plein de choses magnifiques que je n’ai pas pu visiter en Bolivie. Le Salar d’Uyuni, dans la région Sud-Ouest du pays, est le plus grand désert de sel du monde, et on peut y faire des circuits de quelques jours en 4×4, parmi les lagunes et les geysers. J’aurais aussi aimé voir Potosí, seconde ville la plus haute du monde, et ses mines d’argent que l’on peut visiter, et tester l’aventure amazonienne à l’extrême ouest du pays. Il y a aussi les ruines de Tiwanaku, à quelques kilomètres de La Paz, vestiges des civilisations pré-incas.
Le Salar d’Uyuni, paysage lunaire
De plus, je suis restée dans les grandes villes ; des petits villages entre ces grandes villes, je n’ai rien vu, si ce n’est quelques masures en briques rouges à travers les vitres des bus. Mon compagnon de voyage a lui eu l’occasion d’aller à Tarabuco, village d’artisanat local aux alentours de Sucre.
Là-bas, plus de la moitié des personnes n’ont pas l’eau courante.
Je n’ai pas été confrontée à l’extrême pauvreté des campagnes. Néanmoins, j’ai pu percevoir des contrastes énormes entre les régions, et même au sein des villes, qui ont soulevé quelques interrogations.
La Bolivie s’intègre de mieux en mieux dans le commerce international, et l’espérance de vie à la naissance, le PIB, le pourcentage d’enfants scolarisés, et l’accès à l’eau potable en province augmentent. Conjointement, le taux de population sous le seuil de pauvreté national s’amenuise, même s’il restait de 45% en 2012.
Mais cette émergence se fait au détriment des populations amérindiennes. Pour être crue, la quasi-totalité des mendiants que j’ai vus était vêtue traditionnellement. Ce n’est pas un fait isolé à la Bolivie : la croissance se fait malheureusement au profit de ceux détenant les richesses et ayant un travail qui est valorisé par nos sociétés occidentales. Ainsi, Fancesa, le plus gros groupe bolivien produisant du ciment, voit son chiffre d’affaires grimper en flèche. Pendant ce temps, des familles nombreuses d’Amérindien•ne•s quittent leur campagne pour la ville dans l’espoir d’avoir plus de revenus.
Quelques exceptions
Il était pourtant parfois facile d’oublier la grande pauvreté en allant dans certaines villes touristiques, ou avec un mode de vie tout autre. Comme par exemple à Copacabana, une ville vivant uniquement du tourisme, située sur les bords du lac Titicaca, à quelques minutes seulement de la frontière péruvienne.
On peut y faire des tours de pédalos en forme de cygnes le long de l’unique plage publique de Bolivie (depuis la Guerre du Pacifique perdue face au Chili, le pays n’a plus aucun accès sur l’océan). On peut également y visiter le musée du Poncho, déguster une succulente truite grillée fraichement pêchée ou déambuler dans les rues convergeant à la plage à la recherche d’un pull en laine d’alpaga (rouge avec des lamas, cela va de soi).
De Copacabana, on a réservé une place dans un bateau pour se rendre sur l’Isla del Sol, la plus grande île du Lac Titicaca, qui est le plus haut lac du monde (oui, la Bolivie est le pays des superlatifs vous dis-je !). Il faut 2h30 de navigation pour se rendre à la partie nord de l’île. Le sol y est dur et rocheux, les chemins bordés d’eucalyptus.
Un circuit de randonnée permet de faire une partie du tour de l’île, au travers des habitations et des cultures, des animaux, des collines asséchées par le vent et le soleil. À la clé, une vue superbe du lac, ainsi que des ruines incas dont une table de sacrifices. Lorsque l’on est dans les ruines et que l’on se tourne vers le point d’arrivée des bateaux, l’île prend une forme de tortue.
Le lac Titicaca, 8 400 km² au compteur, est encore habité du côté péruvien par une ethnie amérindienne vivant sur des îles flottantes qu’elle construit elle-même avec les joncs et les roseaux qui poussent à profusion dans les rives du lac. Un véritable village à fleur d’eau, où chaque famille vit sur son île, où les enfants affrontent les vagues du lac pour aller à l’école, où la pêche est l’unique ressource.
À lire aussi : Comment voyager à moindre frais et en faire son mode de vie ?
« La unión es la fuerza »
J’affectionne beaucoup la devise nationale bolivienne, qui reflète particulièrement bien l’état d’esprit du pays. Le peuple bolivien est un peuple fier de son passé, qui m’a eu l’air déterminé à ne pas renier ses racines. Ainsi, la Bolivie a conservé plusieurs milliers de champs de coca malgré la pression américaine contre le trafic de drogue, afin de pouvoir satisfaire les besoins des habitants.
Mâcher des feuilles de coca et en extraire le jus est une pratique quotidienne pour nombre de Bolivien•ne•s. Le gouvernement applique conjointement un contrôle très strict afin d’éviter les dérives de production de cette plante à alcaloïdes.
Sur le palais présidentiel, Plaza Murillo à La Paz, est écrit sur un panneau de bois sculpté « Por la patria boliviana : libre, fuerte y altiva » (pour la patrie bolivienne : libre, forte, et haut-perchée). Les couleurs du drapeau bolivien symbolisent la force de l’armée pour le rouge, les ressources minières pour le jaune, et les ressources agricoles pour le vert. Le condor est le roi des Andes et le symbole du voyage, et le lama l’animal endémique des Andes.
L’image que j’en garde, mais aussi l’image donnée par la Bolivie dans la presse internationale, est celle d’un peuple digne, fier de sa population cosmopolite, un poil orgueilleux et rebelle aussi.
Les aiguilles de l’horloge de l’édifice du parlement, toujours à La Paz, tournent par exemple en sens inverse, comme celles de toutes les horloges officielles — transgression amusante mais chargée de sens, ayant pour but de se démarquer des pays de l’hémisphère Nord.
Car l’indépendance n’est arrivée que tardivement : le pays a longtemps été sous domination espagnole, son indépendance a été proclamée en 1825 au terme de longues années de lutte, grâce à de grands noms tels que Simon Bolivar qui donna son nom au pays, ou encore Antonio José de Sucre.
Par la suite, la stabilité n’a pas pour autant été effective, et les coups d’État ont affaibli le pays, qui a donc perdu son unique ouverture maritime lors de la Guerre du Pacifique contre le Chili (1879-1884). Aujourd’hui encore la tension est présente entre les deux pays.
Plus récemment, la Guerre du Gaz provoquée par la découverte d’une importante source de gaz naturel dans le département de Tarija, au Sud-Est, divisa le pays. Les habitants d’El Alto, qui est le seul point d’entrée possible pour La Paz, firent blocus, exigeant la nationalisation de la ressource.
Ce pays au fort caractère manifeste ainsi bruyamment contre les injustices. Suite à la double prise d’otage et à la tuerie de Charlie Hebdo, le président Evo Morales a déclaré lors d’une interview au Point :
« Nous venons de la culture de la vie, de la culture du dialogue, de la vie en harmonie avec la terre mère. Nous croyons à une manière de vie en solidarité et en complémentarité […] Nous ne pourrons jamais cautionner ces formes d’attaque, de politique et d’acteurs qui agissent contre la vie. »
Pour aller plus loin :
- Toutes les données sur la Bolivie sont extraites de La Banque mondiale.
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires
Je suis assidue à Madmoizelle depuis 6-7 ans et cet article m'a (enfin) décidé à franchir le cap de l'inscription, c'est dire!
J'ai voyagé près d'un an en Amérique du Sud dont deux mois en Bolivie et c'est LE pays qui m'a fasciné, qui m'a émue, qui m'a rendue heureuse et triste en même temps, qui m'a apaisé et rebellé, qui m'a fait relativiser sur tellement de choses.
Effectivement la Bolivie a énormément de richesses mais n'en a que très peu bénéficié, se faisant "exploiter" par d'autres pays. Et c'est justement cette erreur qu'Evo Morales ne veut pas reproduire avec le lithium..
En tout cas merci à l'auteure pour cet article, ça me rappelle tellement de bons souvenirs, j'en ai des frissons rien que d'y repenser (bon, je suis sensible aussi :cretin. Il y aurait tellement à raconter sur ce pays. En tout cas j'encourage tous le monde à visiter ce pays!