Depuis presque deux ans, la championne Ysaora Thibus est plus ou moins privée de compétition. Une année olympique en dents de scie, qui lui a laissé du temps pour se lancer dans de nouveaux projets : elle participe à un programme lancé par la médecin Juliana Antero sur les répercussions des règles sur la performance sportive. Et à côté de ça, elle a pris le temps de lancer la page Instagram Essentielles stories.
Essentielles stories est un véritable média, pour lequel Ysaora Thibus est accompagnée d’une équipe, et qui lui permet de mettre en lumière les parcours de femmes inspirantes dans le monde du sport. Rencontre avec cette touche-à-tout.
Qui est Ysaora Thibus ?
Ysaora est une habituée des interviews. Sourire perceptible à l’autre bout du fil, elle est plutôt à l’aise et me demande assez vite de la tutoyer. Au téléphone, j’entends encore quelques traces de son accent guadeloupéen, l’île sur laquelle elle a grandi.
Au moment où je rédige ce papier, elle vient certainement d’arriver au Japon pour les Jeux olympiques, pour lesquels elle représentera la France en escrime pour la troisième fois.
Ysaora Thibus travaille avec adidas depuis 2013, qui l’équipe entièrement durant ses entraînements, ses compétitions et l’accompagne financièrement dans sa carrière sportive :
« C’est une marque que j’utilisais déjà, que j’adore, que je suis très fière de porter et qui me ressemble. adidas est engagé dans plusieurs causes qui me tiennent à cœur, comme l’inclusion, la diversité et l’égalité. »
Justement la marque a sorti en juin 2021 un legging et un cuissard menstruels afin de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de continuer à faire du sport pendant leurs règles, avec une campagne nommée StayInPlay.
Une superbe idée pour Ysaora Thibus qui lutte activement contre les tabous qui entourent les menstruations dans le monde du sport :
« Le fait de savoir que ce type de produit existe va permettre à beaucoup de personnes d’envisager autrement l’activité physique durant leurs règles. Je pense que cela va diminuer cette interruption du sport qui survient chaque mois, surtout lorsqu’on est jeune et que l’on a pas encore appréhendé son corps.
C’est une réelle prise de position dans l’encouragement de l’activité sportive auprès des jeunes filles, ou des femmes qui ont des règles abondantes. C’est une proposition de confort, qui va permettre d’améliorer le sentiment de confiance durant cette période. »
Les menstruations durant la pratique sportive
J’en profite pour lui demander quel est son rapport aux menstruations. Elle me confie avoir eu ses règles vers 13 ans et avoir été bien entourée dans sa famille ce qui lui a permis d’aborder la chose facilement. Grâce à ça, elle a su comment réagir face à ses règles abondantes :
« Dès que j’ai été menstruée, je me suis mise à avoir beaucoup d’acné, et mes cycles n’étaient pas réguliers, j’ai donc commencé à prendre très tôt la pilule. Par la suite, quand j’ai commencé ma carrière sportive, je n’ai eu que des coachs masculins, avec qui je n’ai jamais parlé du potentiel impact de mes cycles menstruels sur mes performances.
Du coup, j’ai essayé de faire abstraction de mes règles et de minimiser les symptômes qui y sont liés, sans savoir comment je fonctionnais en tant que femme. Surtout pour éviter les réflexions du type « T’as tes règles ou quoi ? » de la part de mes coachs. »
Depuis un an, Ysaora Thibus a arrêté de prendre sa pilule afin de se réapproprier son cycle, et de mieux appréhender ses symptômes lorsqu’elle n’est pas sous contraception. Depuis le début de la saison, pour la première fois de sa carrière, elle a une coach et préparatrice féminine, Anne-Laure Morigny, qui lui a permis d’être sensibilisée sur le périnée, un muscle trop souvent négligé surtout pendant les sports à impact, durant lesquels il subit d’importants chocs.
En effet, les organes sont alors poussés contre le périnée, qui à force peine à les retenir… Ce qui peut entraîner des fuites urinaires ou de l’inconfort.
Une notion inédite pour l’athlète, car tout ce qui touche au corps de la femme reste tabou dans le monde du sport, même entre sportives. En commençant à se questionner de plus en plus sur le sujet, Ysaora Thibus entend par hasard parler d’un programme de recherche à l’INSEP, et prend contact avec Juliana Antero.
Le programme de recherche en question
Dès le premier rendez-vous avec la chercheuse, le premier constat est accablant :
« Il n’y a pas d’élément scientifique ou de data sur la performance et le cycle menstruel, ou alors à l’état primaire. Nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire pour comprendre un possible lien entre les deux. Le but n’est pas de se dire si j’ai mes règles je ne me sens pas assez bien pour m’entraîner, mais plutôt de comprendre à quel moment durant son cycle nous pouvons optimiser la performance. »
L’objectif pour Juliana Antero et Ysaora Thibus : faire un pied de nez aux stéréotypes liés aux règles, qui suggèrent que les femmes ne sont pas en état de s’entraîner lorsqu’elles ont leurs menstruations, qu’elles ont des sautes d’humeur…
Le programme va au-delà. Il veut montrer qu’il y a différents profils de femmes, que chacune ne réagit pas de la même manière durant ses règles, tout en croisant ces données avec la nutrition et le sommeil.
Il y a aussi une dimension hormonale, pour savoir comment les hormones oestrogène et progestérone fonctionnent, et ainsi déceler leurs impacts sur la performance sportive : certains moments sont-ils meilleurs que d’autres pour faire de l’endurance, ou à l’inverse de l’explosivité.
À date, les recherches ont commencé depuis six mois. Depuis le début, de plus en plus de sportives se sont intéressées à ces recherches, ce qui a attiré l’attention de certaines fédérations. Un grand pas vers la démocratisation qui démontre un besoin de connaissances sur le sujet.
Ysaora Thibus me fait remarquer que jusque là, la majorité des recherches sportives étaient effectuées sur des hommes, par des hommes. Donc les sportives devaient s’adapter à des normes absolument pas transposables d’un métabolisme à un autre.
Les femmes dans l’univers sportif
Pour Ysaora Thibus, il faut en parler et légitimer le sujet, pour lever le tabou des règles ou même des fuites urinaires :
« Tout cela fait partie de la vie ! Le simple fait d’en parler permet à différents profils d’exister. Il y a des athlètes qui n’ont plus leurs règles, à l’inverse certaines ont des menstruations abondantes et n’arrivent pas à réduire leurs symptômes. D’autres enchaînent les plaquettes de pilules pour ne pas avoir leurs règles durant les compétitions.
Au lieu de se débrouiller chacune dans son coin, il faut améliorer le quotidien et l’environnement des athlètes. Au lieu d’entendre des remarques négatives de son entraîneur, peut-être y aura-t-il une intégration de la notion de cycle menstruel durant les entraînements ? »
Une sensibilisation importante pour Ysaora Thibus, qui souhaite faciliter la pratique sportive des générations qui seront là après elle. Au même titre que faire du sport durant la grossesse est beaucoup plus répandu que pour la génération qui nous a précédé, les athlètes devraient pouvoir faire du sport en ayant conscience de leur corps et de leur capacité, pour apprendre à s’entraîner plus efficacement.
Cependant, l’athlète nuance. Le cycle menstruel ne définit pas tout et durant des années, Ysaora Thibus ne l’a pas pris en compte :
« Il y a quelques mois, j’avais une compétition à Doha, et juste avant d’avoir mes règles. Je venais de commencer le programme avec Julianna, nous n’avions pas encore récolté beaucoup de données. Et bien, malgré la fatigue j’ai eu une médaille ! Cela a mis en perspective que même si je n’étais pas au maximum de mes compétences, et de mon métabolisme, j’arrivais quand même à performer. Cela redonne vraiment confiance, car on se dit qu’on pourra encore faire mieux ! »
En tout état de cause, le travail de cette championne est à saluer : ce n’est pas seulement un combat pour les sportives mais pour l’ensemble des femmes et des personnes menstruées. Les règles sont naturelles, c’est en partie grâce à elles que la vie existe, donc nous leur devons beaucoup ! Surtout que maintenant, il existe des moyens de se protéger même lorsque nous voulons faire du sport.
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