Petit miracle féministe sur la sorcellerie et la sororité, Alma Viva est le meilleur film de la semaine, et on vous explique pourquoi vous allez l’adorer, sans spoilers !
Alma Viva, de quoi ça parle ?
Comme chaque été, la petite Salomé retrouve le village familial, niché au creux des montagnes portugaises, le temps des vacances.
Tandis que celles-ci commencent dans l’insouciance, sa grand-mère adorée meurt subitement.
Alors que les adultes se déchirent au sujet des obsèques, Salomé est hantée par l’esprit de celle que l’on considérait comme une sorcière.
Entrer dans la frontière entre deux mondes, grâce au regard ouvert d’une petite fille
Le féminisme, les fantômes et le cinéma. Toutes ces choses qui n’ont à priori rien à voir, la réalisatrice Cristèle Alves Meira met en lumière un lien profond qui les unit, par la richesse de sa mise en scène.
Dans Alma Viva, tout se joue à travers le regard de sa petite héroïne, Salomé. Agile, silencieuse très intelligente et aimante, Salomé a toujours les yeux grands ouverts.
Elle vit entourée d’une foule de personnages : ses tantes, sa mère, sa grand-mères, ses oncles, les voisins… Dans la plupart des plans du film, les personnages sont tellement nombreux et affairés, qu’on ne perçoit que du brouhaha et qu’on ne voit pas tout le monde : les corps sont coupés par les limites du cadre. Mais peu importe, ce qui intéresse la réalisatrice est moins ce monde des adultes, que le regard de la petite fille, qui tente de comprendre le sens profond de ce qui se joue autour d’elle, entre ces vivants et cette morte.
C’est à partir de ce regard, que personne ne semble remarquer, que va éclore une nouvelle dimension de l’existence, ouverte sur l’invisible. Véritable boule d’amour, attentive au respect et au bonheur de chacune, Salomé ne sera pas en paix lorsque sa grand-mère mourra dans d’étranges conditions, après avoir mangé un poisson offert par une voisine jalouse et médisante. Salomé est persuadée que son aïeule a été empoisonné. Dès lors, le deuil est impossible pour la petite fille, bien décidée à ne pas laisser faire et à faire payer les personnes ayant fait du mal à sa mamie.
Tandis que, la journée, les adultes s’épanchent en larmes, en cris de douleur en implorant les Saints, mais aussi en reproches et en cris, pour savoir qui devra payer la pierre tombale ou qui a provoqué la malédiction qui s’est abattue sur l’aïeule, Salomé se réveillera la nuit, quand tout le monde dort.
Le métrage devient alors délicieusement étrange et fascinant. C’est comme si la réalisatrice nous emmenait sur la frontière extrêmement poreuse entre le monde des vivants qui pleurent les disparus, et les morts, dont on sent encore la présence tant ils ont été foudroyés dans leur élan de vie.
Salomé serait-elle une sorcière, comme le disent certains hommes au village ?
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La richesse et la complexité d’un milieu populaire et féminin, comme on en voit rarement au cinéma
Très vite, on comprend qu’Alma Viva est un film pratiquement inclassable. Avec un réalisme particulièrement frappant, Cristèle Alves Meira filme un milieu populaire, souvent boudé sur le grand écran. Dans la maison de Salomé, on swipe sur Tinder même à 50 ans passés, on s’insulte sans vergogne pour des histoires d’argent ou de maris « volés », même entre grands-mères, tout comme on danse au rythme d’un tube de reggaeton sur Youtube et on explique à sa mamie hilare et tendre comment twerker.
Cela n’empêche pas qu’à d’autres moments, le film glisse vers l’onirisme, empruntant parfois presque au cinéma d’épouvante – comme quand Salomé, que l’on soupçonne d’être possédée par un esprit, doit gober toute entière une tête de poule crue sensée la délivrer, ou se réveille couverte de sang dans une étable où toutes les bêtes ont été décimées…
Le choix de mise en scène le plus emblématique de cette dualité du film entre imaginaire et réalisme se trouve dans les images d’incendies bien réels, ayant ravagé une partie des forêts portugaises. Absolument bouleversantes, les images apparaissent juste après que Salomé et sa grand-mère soient traitées de sorcières et poursuivies à coup de jet de pierre, pendant une marche funèbre.
Les images d’incendie laissent libre court à l’imagination et l’interprétation : violentes, tragiques et bien réelles, elles apparaissent comme une allégorie du sexisme. Mais, et c’est là toute la richesse du film, on peut aussi imaginer qu’elles sont une métaphore de la fureur qui brûle en Salomé.
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« Tôt ou tard, toute femme indépendante se fait traiter de sorcière »
À cheval entre un prosaïsme et une spiritualité exacerbées, le regard porté sur ce milieu social est passionnant. La réalisatrice ne nous indique jamais ce qui vrai ou faux, ce qui est bon ou mauvais. Salomé poursuit son propre cheminement, observe, écoute, expérimente les limites du visible et de la magie pour accompagner sa grand-mère vers un repos éternel, et se libérer elle-même de l’emprise des morts et des adultes.
Là où le film s’avère être un petit bijou, c’est qu’en embrassant toute cette complexité, il interroge le mythe de la sorcière, en tant que stigmate sexiste, mais aussi en tant que forme de pouvoir pour ses héroïnes.
Vers la fin du film, l’oncle de Salomé, un homme aveugle dont la sensibilité le dote d’une plus grande lucidité que les voyants prononce cette phrase, « Tôt ou tard, toute femme indépendante se fait traiter de sorcière ». Finalement, cette citation, éminemment politique, féministe, et ouvrant aussi sur un monde imaginaire de magie et de sorcellerie pourrait résumer Alma Viva…
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