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Société

Inscription de l’IVG dans la Constitution : réelle avancée ou mesure symbolique ?

Mercredi 1er février 2023, le Sénat, à majorité à droite, a adopté un texte prévoyant l’inscription dans la Constitution de la « liberté de la femme » de recourir à l’IVG. Faut-il crier victoire pour le droit à l’avortement ? D’après Mathilde Philip-Gay, Professeure de droit à l’Université Jean Moulin Lyon 3, ce vote n’est ni une victoire politique, ni une victoire juridique.

Madmoizelle. Le Sénat a voté mercredi soir l’adoption d’un texte prévoyant l’inscription dans la Constitution de la « liberté de la femme » de recourir à l’IVG. Ce vote est-il réellement une victoire ? 

Mathilde Philip-Gay. Non, ce n’est pas une victoire. Pour preuve, le site internet du Sénat parle d’un « amendement de compromis ». S’il s’agit d’un compromis, c’est donc que ce texte n’est pas du tout le même que celui qui avait été proposé par les députés à l’Assemblée nationale, à savoir un texte qui protégerait le droit à l’IVG dans la Constitution. La députée Yaël Braun-Pivet s’est félicitée de l’adoption du texte par le Sénat, en affirmant que « les mots diffèrent, mais l’intention est commune ». Mais l’intention n’est pas du tout la même, et cela se confirme par le simple fait que les deux chambres ont adopté des formulations différentes qui recouvrent chacune une réalité différente. Or, pour amener à la révision de la Constitution, il faut que le texte soit adopté dans les mêmes termes par les députés et par les sénateurs, à la virgule près. Ce n’est donc ni une victoire politique, ni une victoire juridique. 

En effet, le texte adopté par l’Assemblée nationale parle de « droit » quand celui voté par le Sénat parle de « liberté ». En quoi est-ce une différence fondamentale ? 

La liberté, c’est la faculté de faire quelque chose. Pour la liberté de recourir à l’avortement, cela veut dire qu’une femme est libre de subir une IVG ou non (dans le cas où un État obligerait des femmes à recourir à l’avortement). Or, il me semble que ce n’est pas la question à laquelle voulait répondre le Parlement en constitutionnalisant le droit à l’avortement. L’idée derrière la version du texte proposée par les députés, c’est plutôt de garantir le droit, c’est-à-dire l’effectivité de la possibilité d’avoir accès à une IVG si cela est nécessaire. Par ailleurs, le droit est garanti par l’État, il y a donc des recours, si par exemple, ce droit ne peut être garanti dans certaines régions ou villes.

En revanche, la liberté, c’est laisser le choix à la loi de décider. La différence entre droit et liberté est donc subtile, car elle signifie que les conditions d’accès à l’IVG pourraient être remises en question par des lois qui viendraient le modifier, dans le cas, par exemple, ou nous aurions un nouveau gouvernement plus radical. Le texte qui a été voté par le Sénat a donc une portée symbolique, mais juridiquement, cela ne change rien et, si ces termes sont conservés, le droit à l’IVG ne sera pas mieux protégé. 

Comment le droit à l’avortement pourrait-il être remis en question dans de telles conditions ?

De diverses manières, mais notamment par de petites remises en cause qui deviennent finalement grandes par la loi ou des mesures administratives. Pour être claire : aujourd’hui, en Europe, la plupart des États ont garanti l’IVG, sauf à Malte qui ne l’a pas légalisé. Simplement, cela ne veut pas dire que son accès y est égal partout. Par exemple, en Pologne, une personne de très mauvaise foi pourrait affirmer que le droit à l’IVG est garanti. On sait bien que ce n’est plus vraiment le cas, puisque celui-ci est particulièrement limité, à des cas de viol, ou de danger pour la vie de la mère par exemple. Pourtant, l’IVG y est bien légale.

Aujourd’hui, 81% des Français et françaises sont favorables à la constitutionnalisation de l’IVG. Notre régime actuel est très protecteur de ce droit, c’est pour cela que de nombreuses voix s’élèvent pour dire qu’il n’y aurait aucun intérêt à le faire. Mais c’est oublier qu’un changement de majorité pourrait intervenir dans les prochaines années, à la faveur d’une élection présidentielle qui porterait un ou une présidente « pro-vie » à l’Élysée et qui pourrait décider de remettre en cause ce droit. Ce n’est donc pas pour maintenant qu’il faut agir, mais pour plus tard, au moment où l’on ne pourra plus choisir de protéger ce droit. 

Le texte doit retourner à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture. Quelle sera la suite de la procédure ? 

En novembre, l’Assemblée nationale a procédé à une première lecture, hier, c’était au tour du Sénat d’examiner le texte. Les lectures vont donc continuer à l’Assemblée nationale pour, sans doute, revenir au Sénat encore une fois. Comme le texte doit être adopté dans les mêmes termes par les deux chambres, il est fort probable qu’une commission mixte paritaire soit convoquée afin de chercher un vrai compromis et trouver un texte sur lequel les deux chambres pourront s’entendre. Si c’est le cas, cela peut permettre l’adoption du texte, et enfin, la tenue d’un référendum. Le parcours de ce texte est donc loin d’être terminé. 


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

1
Avatar de Dgsaymy
6 février 2023 à 04h02
Dgsaymy
Assez étonné qu'il n'y ai pas mention aussi du terme femme. Il me semble que pendant les débats, en dehors du projet de aurore Bergé, il était formulé une proposition de loi en faveur de toute personne qui puisse en avoir besoin (donc pas que les femmes, mais aussi personnes intersexe et hommes trans). On parle de différence d'utilisation de formulation et il me semble que celle ci n'est pas anodine
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