Le 18 avril 2013
Le vol, ça me paraît courant. J’ai l’impression que tout le monde a soit déjà piqué un truc, soit connaît quelqu’un qui a déjà piqué un truc.
Pour parler de ce phénomène de société, je suis allée à la rencontre de trois jeunes filles qui pratiquent le vol au quotidien, et donnent un éclairage différent sur cette pratique.
Deux lycéennes qui volent dans les magasins
Alexandra et Juliette sont en seconde dans un grand lycée du centre-ville de Toulouse.
Lorsque je les rencontre pour la première fois à la terrasse d’un café, je suis frappée par la qualité de leur élocution, les nombreuses références littéraires qui émaillent leur discours, leur extrême politesse.
Leurs 15 printemps ne se lisent pas sur leur visage, et en leur parlant, je croirais presque m’adresser à des étudiantes.
Alexandra vient d’un milieu très aisé, et ne s’en cache pas : c’est avec une pointe de crânerie qu’elle évoque sa collection de sacs griffés, ses vacances sous les Tropiques, les deux maisons que possèdent ses parents.
Juliette, quant à elle, vient d’un milieu social beaucoup plus modeste, et ne parle qu’avec parcimonie de sa situation familiale.
Si elles ont accepté de me retrouver aujourd’hui, c’est pour parler d’un sujet grave, mais néanmoins tabou : depuis un an, les deux jeunes filles volent régulièrement dans des magasins.
Voler dans les magasins par défi, par goût du risque
Alexandra explique :
« Au départ, c’était un pari, avec des copines : on s’ennuyait, alors on a décidé de se donner un grand coup d’adrénaline en volant des boucles d’oreilles dans une chaîne d’accessoires bien connue.
On a fait un grand sourire à la vendeuse, on les a mis dans nos poches, et on est parties.
On était tellement ahuries par la facilité de ce vol qu’on a décidé de recommencer. Après tout, pourquoi payer pour avoir un truc qu’on peut obtenir gratuitement ? »
Le vol est puni par la loi, mais ça ne fait pas peur
Si le premier larcin d’Alexandra n’a pas eu de conséquences, le risque qu’elle a pris semble démesuré : l’article 311-3 du code pénal rappelle que « Le vol est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende ».
Lorsque je rappelle ce fait, Juliette ne peut réprimer un sourire :
« Si on n’a pas de chance et qu’on se fait choper, on paie l’objet, on se fait exclure du magasin qui remplit une fiche sur nous.
Au pire on va au poste de police, mais de toute manière on s’en fout, le casier est effacé à notre majorité. »
Rien n’est moins sûr : si l’effacement du casier judiciaire est possible, il ne peut se faire que sous certaines conditions
, et ne semble pas être un automatisme.
Quand le vol a des conséquences
Lorsque je demande aux deux lycéennes si elles connaissent des personnes ayant eu des ennuis à cause du vol, elles hésitent avant d’égrener quelques noms.
Mais toutes deux ont été marquées par la mésaventure d’une de leurs amies, qui avait organisé un trafic de vêtements volés au sein de l’internat…
Deux mois plus tard, son commerce illégal a été interrompu par une descente de police, consécutive à la plainte d’une enseigne qu’elle dévalisait quasi-quotidiennement.
La jeune fille a dû payer une amende colossale, et a été exclue du lycée. Aujourd’hui, elles ne savent pas ce qu’elle est devenue.
Je n’ai pas besoin de voler, mais c’est compulsif
Alexandra s’auto-analyse :
« De toute manière, c’est plus fort que moi. Pourtant, je n’ai besoin de rien, mais quand je vole, j’ai l’impression que j’ai des ailes, que je me sens vivante.
Le problème, c’est que je ne peux plus m’arrêter : le vol, pour moi, c’est devenu un automatisme.
Avec ma petite bouille, je suis insoupçonnable, mais parfois je regrette. Il n’y a pas si longtemps, par exemple, je me suis surprise à voler à Emmaus, et j’ai eu honte… »
Je vole car je n’ai pas les moyens de mes envies
Lorsque je demande à Juliette les raisons de ses larcins, elle n’avance pas du tout les mêmes arguments qu’Alexandra :
« Je n’ai jamais eu d’argent de poche, de fringues de marque, de gadgets électroniques, de beau portable.
Mes parents se sont toujours serré la ceinture, et j’ai eu une enfance très difficile, alors quand je vole, j’ai l’impression de prendre une espèce de revanche sur la société.
Et puis il y a toujours un aspect ludique : trouer la doublure de son manteau pour glisser du maquillage dedans, jouer à cache-cache avec les vendeuses…
C’est un peu un moyen de me venger sur la vie, et de rattraper tout ce que je n’ai pas pu avoir. »
Étudiante précaire, je vole dans les magasins
Si Alexandra vole pour l’ivresse que lui procure ce geste, d’autres jeunes filles justifient cette action par la précarité de leur situation.
C’est le cas de Gabrielle, vingt et un ans, étudiante en master d’Histoire.
Les revenus de ses parents sont légèrement supérieurs au plafond autorisé pour recevoir une bourse, et ces derniers, étranglés par un crédit immobilier, ne peuvent se permettre de lui envoyer que 100€ par mois.
« Pour l’instant, j’ai la chance d’être hébergée quasi-gratuitement chez des amis de la famille, en échange de quelques soirées de baby-sitting.
Je prends quelques repas en famille, mais les 100€ envoyés par mes parents ne suffisent pas à couvrir toutes mes dépenses nécessaires d’étudiante : livres, vêtements, restau U, quelques sorties…
Comme mon master est très prenant, je ne peux pas me permettre de travailler, ne serait-ce qu’à mi-temps. »
Comme l’indique ce document, en 2017 et 2018, 55% des étudiants et étudiantes en sections de technicien supérieur et assimilés bénéficient d’une bourse.
Un chiffre qui tombe sous les 30% pour celles et ceux en classe prépa aux grandes écoles.
Le pourcentage de boursiers et boursières est particulièrement faible dans les écoles de commerce (14%) et compris entre 19 % et 27% dans les autres filières de formations hors université (formations d’ingénieurs, universités privées, etc.)
À l’université, la proportion de boursiers sur critères sociaux est proche de 40%. La proportion de ceux percevant une bourse d’échelon 5, 6 ou 7, c’est-à-dire des 3 catégories de boursiers ayant les ressources les plus faibles, y est de 13%.
Une étude estime que les étudiants et étudiantes salariées, donc qui travaillent pour vivre, auraient une probabilité de réussir leur année plus élevée de 43 points s’ils et elles n’avaient pas de job.
Je vole pour qu’on ne sache pas que je suis pauvre
Pour s’assurer un plus grand confort matériel, Gabrielle vole.
Elle retient ses légumes en les pesant au supermarché, de manière à n’en payer que la moitié, n’achète son billet que pour la moitié de son trajet en train, et il lui arrive d’oublier au fond de sa poche quelques petits extras au supermarché.
« Au fond, je n’ai pas vraiment besoin de ce crayon de khôl ou de cette palette de maquillage. Mais je vis dans la hantise que les gens devinent la faiblesse de mes revenus à mon apparence.
Il m’arrive de voler quelques vêtements en arrachant un antivol et en le remettant dans le magasin.
Une fois, je me suis fait prendre, alors j’ai prétexté que c’était un banal oubli. J’ai dû payer l’objet, on m’a fichée et puis c’est tout.
Est-ce que ça va m’empêcher de recommencer ? Non. J’ai vraiment besoin de voler pour vivre décemment. »
Le vol peut avoir plusieurs origines, et être une réalité dans toutes les classes sociales. Il faut cependant rappeler que c’est un délit et que les conséquences peuvent être graves.
Qu’en penses-tu ? Du vol « pour le frisson » à celui « par nécessité », il est difficile de généraliser. As-tu déjà volé ? Pour quelle raison ? Parles-en dans les commentaires !
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