L’attente a été longue. Très longue. Mais pour certains fans de la série Kaamelott, qui attendaient de pied ferme l’arrivée au cinéma du premier long-métrage, le chemin de croix n’est pas tout à fait terminé.
À la sortie de Kaamelott, mercredi 21 juillet, plusieurs internautes sourds ou malentendants ont fait part sur Twitter de leur amertume de voir le film d’Alexandre Astier inaccessible, ou presque.
« Apparemment, deux séances avec sous-titres, c’est beaucoup, comparé aux autres cinémas de France », tique un fan du royaume d’Occitanie : cet étudiant à Toulouse — une ville, pourtant, où la communauté sourde est fortement ancrée — a dû batailler pour se rendre à une projection adaptée.
Officiellement, dans son cinéma de prédilection, il n’y avait aucune séance ST-SME (Sous-Titre pour Sourd et Mal-Entendant) de prévue — rien n’était indiqué ni sur le site de l’établissement, ni sur AlloCiné. « Parfois elles apparaissent en “version française”, ou alors la programmation est affichée seulement quelques jours avant », précise le jeune homme, blasé.
Après qu’il s’est rendu sur place pour pousser une « gueulante légitime », le complexe cinématographique lui indique que deux séances sous-titrées de la légende arthurienne sont bel et bien à l’affiche… sans que cette information ne soit accessible au public.
« J’étais tendu jusqu’au lancement du film puisque même le jour J, la salle affichait une séance en VF uniquement. On m’a inscrit dans une mailing list pour être prévenu à l’avenir des séances VFstF : c’est bien d’être dans cette liste de diffusion, mais impossible d’y être inclus sans en parler en personne aux employés du cinéma Gaumont… »
Sous-titrage des films français : que dit la loi ?
Kaamelott n’est pas un cas isolé — il fait même figure de bon élève. Haut lieu de cinéphilie et du patrimoine, la Cinémathèque française, par exemple, ne propose qu’une séance mensuelle (le premier vendredi du mois) avec ces fameux sous-titres SME, qui transcrivent non seulement les dialogues mais également l’environnement sonore de l’œuvre.
En cause, la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » qui stipule bien que les salles de cinéma doivent être accessibles à tous, mais n’impose ni à l’industrie cinématographique la production de version sous-titrée, ni aux salles un nombre minimum de séances accessibles.
« Il y a un flou au niveau du texte », juge Cécile Dumas, de l’association Ciné Sens, qui répertorie les films disponibles pour les spectateurs sourds et aveugles.
Pour remédier à ce vide juridique, le CNC (Centre National du Cinéma et l’image animée) a inclus dans sa réglementation la présence de versions audio-décrites et sous-titrées depuis janvier 2020. « Cela représente environ 250 films d’initiative française par an impactés par cette nouvelle obligation », précise Laurent Vennier, directeur adjoint Cinéma au CNC, avant d’ajouter : « Les producteurs de film devront rendre accessible leur film à tous et toutes s’ils souhaitent recevoir l’agrément, et toucher les financements et aides qui en découlent. » Reste la question des films du patrimoine.
En 2019, 39% des longs-métrages français projetés en salle, inédits ou non, étaient accessibles en version sous-titrée. Un chiffre en nette progression, « mais cela ne va pas aussi vite que l’on veut », juge Ciné Sens.
Le relais indispensable des associations
L’association basée à Villeurbanne, près de Lyon, travaille avec les exploitants de salles sur tout le territoire français depuis 2013 et ne ménage pas sa peine, comme l’observe Cécile Dumas :
« L’information sur la présence de sous-titres transite de manière aléatoire : entre les producteurs qui les réalisent mais ne le disent pas, ceux qui les font mais dont les versions seront livrées en retard… Les exploitants de salles ne peuvent pas suivre. On est obligé de faire le relais. »
« Notre plus grande problématique est celle des ressources », abonde le personnel du Trianon, un cinéma indépendant de Romainville (93). « Généralement, nous passons par l’association Ciné Sens, mais sans elle, nous sommes obligés de contacter au cas par cas chaque distributeur pour savoir si une version SME est disponible — on galère un peu », souffle-t-on. Même travail de fourmi du côté de l’équipe bénévole de CinéST, dont le site vient tout juste de rouvrir après plusieurs mois de fermeture suite à l’incendie des data center d’OVH.
« Il y a un vrai problème de transmission de l’information, tant sur la liste de salles équipées pour accueillir des spectateurs avec un handicap sensoriel que sur le programme des films accessibles », juge le CNC.
Fausse accessibilité
« AlloCiné ne communique pas sur les séances en VF-SME, et la loi ne prévoit rien à ce sujet pour le moment », alerte Laurent Vennier, qui ajoute : « La volonté politique est là, mais il existe des obstacles techniques ». « Certaines salles nous ont avoué qu’elles n’affichaient pas les séances accessibles car elles n’étaient jamais sûres de recevoir la version sous-titrée dans les temps impartis », explicite Ciné Sens.
C’est donc une accessibilité de façade qui est pour le moment proposée au public sourd, « sans parler des séances aux horaires peu arrangeantes », souffle-t-on sur Twitter. Les séances en VFstF sont en effet majoritairement programmées en semaine et en milieu d’après-midi pour ne pas déranger le public entendant. Le Trianon concède :
« Il y a un vrai travail pédagogique à faire. Avec les sous-titres SME, il y a des codes couleurs, des inscriptions qui peuvent surgir au milieu de l’écran… cela peut gêner la lecture du film, mais c’est utile pour beaucoup de monde — pour les étrangers qui apprennent le français, par exemple.
C’est aux entendants d’apprendre à s’adapter. C’est ça, la vraie inclusivité. »
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