Le premier tome de Filles Uniques, aux éditions Dargaud était l’un des coups de coeurs de Madmoizelle du printemps 2021. Le magazine a pris un grand plaisir à retrouver les cinq héroïnes pour une nouvelle aventure.
Pour celles d’entres vous qui seraient passées à côté, voici le pitch : Filles Uniques narre l’histoire de cinq adolescentes uniques en leur genre. Elles fréquentent toutes le même lycée mais ne s’étaient jamais adressé la parole jusqu’à ce que Chélonia décide de les rassembler pour créer un club. D’abord méfiantes quant au projet, elles finissent par se lier d’amitié malgré leurs différences.
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Céleste, le personnage principal de ce tome 2
Chaque tome de Filles Uniques est centré sur le vécu d’une des cinq héroïnes, et décrit comment son histoire a forgé son caractère ou détruit sa confiance en soi.
Le premier tome était centré sur Paloma, une écorchée vive, trimballée de famille d’accueil en famille d’accueil depuis ses six ans.
Le second met en lumière Céleste, personnage plutôt discret, qui laissait jusque-là apparaître de temps en temps une personnalité plutôt rêveuse. Mais quelque chose dans son comportement aussi montre qu’elle dissimule un secret, elle semble souffrir d’un mal-être et a du mal à se confier…
Petit à petit ses amies découvriront qu’elle est harcelée au lycée, mais qu’elle est aussi la cible de messages anonymes humiliants et rabaissants quotidiens qu’elle reçoit sur son téléphone. Elles finiront par découvrir que l’être à l’origine de ces sombres DM est une personne de leur entourage… et cela changera la vie de Céleste à tout jamais.
Le cyberharcèlement reste trop répandu et minimisé
Le personnage de Céleste subit seul depuis des années ce cyberharcèlement qui l’isole petit à petit du monde extérieur et lui fait totalement perdre confiance en elle. Elle pense mériter ce qui lui arrive, car elle croit les messages qui lui sont adressés. Céleste a honte de cette situation ce qui rend le sujet d’autant plus difficile à être partagé avec autrui.
Ces caractéristiques sont communes aux victimes de cyberharcèlement, et Madmoizelle a d’ailleurs échangé avec l’une d’entre elles : Justine, qui a subi des assauts quotidiens sur les réseaux sociaux durant trois ans.
Madmoizelle : Comment cette forme de harcèlement s’est-elle mise en place ? Comment as-tu compris que tu étais harcelée ?
Justine : Ça a commencé via les réseaux sociaux, spécifiquement Twitter, sans que j’y prête vraiment attention. Je partageais beaucoup sur des sujets qui étaient importants pour moi. Au début, c’était juste des réponses un peu moqueuses, puis c’est devenu agressif et régulier. Et de plus en plus de personnes sont arrivées dans mes commentaires.
Le jeu, c’était de venir me répondre pour me blesser et de me faire passer pour une idiote. Répondre avec de la mauvaise foi, ou remettre en question mes dires pour me faire passer pour une débile.
La répétition de ce processus, c’était aussi une manière inconsciente pour ces gens de me faire taire. Lorsqu’on s’amuse de quelqu’un comme ça, en l’humiliant, il y a sûrement une forme de plaisir. Mais l’objectif premier était de me faire taire.
À quel moment tu t’es dit que tu ne pouvais ignorer ces messages ?
J’ai commencé à me sentir vraiment mal. Je suis devenue hyper vigilante — « Est-ce que je peux écrire ça ou est ce qu’ils vont arriver ? ». Je savais qui étaient toutes ces personnes parce qu’elles tweetaient avec leur véritable nom. Je les connaissais via Internet et les réseaux sociaux.
Ma plus grande peur était de les voir se moquer de moi ouvertement et de les voir tourner mes propos en dérision quand j’abordais des sujets qui me tenaient à coeur.
La mécanique du harcèlement, c’est très primal. Soit les personnes spectatrices de ce qui arrive se disent « Ce n’est pas mon problème, je ne m’en mêle pas », soit elles pensent « Je vais m’y joindre parce que c’est marrant. » Dans mon cas, un deuxième groupe s’est rajouté, beaucoup plus violent, qui n’hésitait pas à utiliser des insultes sexistes à mon égard.
Ça a eu un impact très fort parce que j’étais dans une phase où je n’étais pas tout à fait sûre de moi. Je ne savais pas si c’était ce que je voulais faire et je cherchais ma place aussi. Il y avait des gens qui m’impressionnaient beaucoup. Je me disais que ça serait cool d’être en contact avec eux. Et en fin de compte, ces gens-là ont commencé à m’insulter. Je me suis sentie ridicule, comme si je n’étais rien.
Avec le harcèlement, il y a une forte baisse de confiance en soi, une remise en question de sa légitimité à s’exprimer, à exister. Et puis, il y a ce truc hyper pervers où on se dit que si les harceleurs nous connaissaient vraiment, ils ne feraient pas ça — parce qu’on est quelqu’un de sympa, d’intelligent.
C’est typiquement ce qui empêche les victimes de condamner fermement ces comportements quand ils surviennent. Il faudrait se dire tout de suite « Ça, c’est pas possible ! Regardez ce qui se passe, ce n’est pas normal. » Mais il y a toute une partie de vous qui passe ton temps à essayer de se justifier, de convaincre qu’on ne mérite pas d’être harcelée…
Je recevais des insultes comme « T’es vraiment une pauvre conne », et je répondais « Mais non, je ne suis pas une pauvre conne. Regarde, j’ai lu tel bouquin… » alors que ce n’est pas le sujet ! Personne ne devrait te traiter de pauvre conne à la base.
Je me suis retrouvée dans une situation où j’ai douté de moi et de mes compétences. Je ressassais : « Qu’est ce que j’ai fait ? À quel moment j’ai fait un truc qui a fait qu’ils ont commencé à me harceler ? ». Il n’y a pas de moment. C’était juste qui j’étais, au moment où j’étais. Ce que je représentais aux yeux de ces gens.
Ce n’est pas facile d’être en construction et en même temps harcelée. Ce qui était dur, c’était de voir que d’autres personnes vivaient la même chose que moi — mais à l’inverse, je voyais aussi d’autres personnes qui ne se faisaient pas harceler…
Le harcèlement, c’est une expérience très isolante. On se sent tous très seul quand ça arrive. Alors que ça touche beaucoup de monde.
Vers qui t’es-tu tournée ?
Le problème, c’est qu’il y a beaucoup de honte. Quand c’est arrivé, je me demandais sans cesse : « Pourquoi moi ? Pourquoi ils ne comprennent pas qu’en fait je suis quelqu’un de cool ? » — mais même si vous êtes quelqu’un d’anti-cool, ça ne justifierait pas que l’on vous harcèle.
J’en parlais avec mon copain, et avec le recul il m’a dit qu’il avait sous-estimé tout ça. Quand on en discutait, il avait tendance à dédramatiser. Les premières lois sur le cyberharcèlement sont récentes. Moi, les gens me conseillaient simplement d’éteindre mon ordinateur.
Il me disait : « Ne leur réponds pas et ils vont se calmer, c’est pas grave », même quand il y avait 20 hommes qui venaient me dire des saletés en même temps — « Bah ouais, je sais, ils sont bêtes, mais on peut rien faire. » Aujourd’hui, il se dit qu’il n’aurait pas dû dire ça :
« J’aurais dû dire : on prend toutes les captures d’écran et au bout d’un moment, on les menace d’aller porter plainte. »
C’est clair qu’on manque cruellement d’éducation sur le cyberharcèlement. Moi j’étais jeune, je savais pas… Je me suis même renfermée sur moi-même. Alors que je me suis rendue compte avec le recul qu’il y avait des cas pires que le mien.
La solution pour moi a été de fermer mon compte. C’est pour ça que je dis que je pense qu’un des objectifs des personnes qui harcèlent, c’est que la victime change ou se taise.
En essayant de me mettre dans la peau du harceleur, je me dis qu’il voit seulement quelqu’un de plus faible que lui. Il se dit qu’il peut harceler cette personne parce qu’il n’y aura pas de conséquences. Il harcèle une personne qui, pour différentes raisons, n’est pas en mesure de lui répondre.
Mais dans mon cas, à l’époque, je ne percevais pas nécessairement ça comme du harcèlement. J’avais seulement l’impression qu’ils me remettaient à ma place violemment. Quand des victimes de harcèlement expliquent ce qu’il s’est passé, les harceleurs se disent : « Je ne pensais pas que tu l’avais vécu comme ça, et je ne pensais pas que c’était si grave… »
Quels conseils donnerais-tu aujourd’hui à une victime de cyberharcèlement ?
Je lui dirais de se créer un Google Doc, et de faire des captures d’écran avec une copie des liens des messages reçus.
Pour me protéger, mon premier réflexe a été de me convaincre de ne pas regarder et de tout effacer. C’est une erreur ! Même si ce n’est pas facile, quitte à demander à quelqu’un d’autre de le faire pour soi, il faut capturer toutes les preuves, tous les messages, toutes les insultes.
C’est bien de garder les liens — notamment sur les réseaux sociaux, parce que même si les gens effacent leurs messages, s’il y a une procédure légale, la personne qui en a la charge peut dire aux plateformes : « Vous reprenez les archives et vous me retrouvez ce qu’il y avait dans ce lien, même si les tweets sont effacés ou même si des messages ont été effacés. »
Je pense que le plus difficile, c’est de réaliser ce qui arrive sur le moment. Ma psy me dit souvent, que si quelque chose me blesse ou me fait me sentir mal, c’est important. C’est une alarme qui s’est éveillée en moi et il ne faut pas l’ignorer. Il faut y prêter attention. Il faut essayer de comprendre d’où ça vient et il faut comprendre et il faut l’expliciter.
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Parler du cyberharcèlement à travers une fiction
L’expérience qu’a subie Justine est assez édifiante : le cyberharcèlement est encore trop normalisé. La société évolue (doucement), mais ce genre de situation arrive encore trop souvent pour être banalisé, alors qu’il mène parfois à des drames…
Dans le tome 2 de Filles Uniques, les amies de Céleste sont attentives à certains de ses faits et gestes et comprennent que quelque chose ne va pas. Parfois, de petites attentions peuvent faire pencher la balance. Céleste a la chance d’être entourée pour l’aider à surmonter cette épreuve.
Pour connaître le déroulement de l’histoire de Céleste, rendez-vous dans toutes les bonnes librairies pour découvrir le tome 2 de Filles Uniques.
Le tome 3 de Filles Uniques dédié à Sierra paraîtra en août 2022.
Crédits photo : Pexels / Liza Summer
À lire aussi : Discrète, grande sœur… quel type d’amie êtes-vous ?
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