On connaît toutes et tous quelqu’un qui s’emporte facilement devant un match de foot ou une prouesse sportive. Mais celui-là, on ne l’avait pas vu venir ! Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, n’a pas réussi à contenir sa joie face à la pluie de médailles olympiques qui s’est abattue sur la France, le weekend du 7 et 8 août.
À tel point qu’il a publié une déclaration d’amour à l’EPS (Éducation physique et sportive) sur Twitter, en référence aux résultats des Bleus en basket, handball et volley (trois médailles d’or, une d’argent, une de bronze) :
L’hommage — quelque peu culotté vu la situation délicate des cours de sport en temps de pandémie — a eu du mal à passer. Plusieurs athlètes ont dénoncé une récupération politique et soutenu que leurs victoires ne devaient rien à l’EPS.
Mais surtout, le tweet polémique a réveillé les traumatismes de plusieurs générations d’écoliers.
Entre discriminations et culte de la performance
On ne va pas se mentir : tout le monde n’avait pas hâte de se rendre au gymnase (ou pire, à la piscine municipale !) avec sa classe, le vendredi après-midi. Les cours de sport à l’école sont pour beaucoup un mauvais moment à passer et le tweet de Blanquer n’a pas manqué de le rappeler.
« C’est quoi votre pire souvenir d’EPS ? Moi c’est 7 années d’essoufflement et d’envie de crever », a écrit sur Twitter Cédric, 33 ans, en réaction aux propos du ministre, récoltant plus de 20.000 « fav ».
Bien qu’ironique, Cédric ne mâche pas ses mots lorsqu’il repense à ses cours d’EPS :
« Clairement, c’était pas le lieu de l’épanouissement personnel. Je n’étais pas très sportif, ni à l’aise dans ma peau, et en tant qu’homosexuel, j’avais du mal à me reconnaître dans la recherche de la masculinité et de la performance véhiculée par cette discipline. »
Sa bête noire ? Le passage au vestiaire.
« J’étais confronté à des insultes sexistes et homophobes. Ça m’a marqué et j’ai mis du temps à oser m’inscrire en salle à cause de ça. »
La peur d’exposer son corps adolescent ou de faire face aux remarques acerbes de ses camarades se conjugue parfois à une autre crainte : celle d’être rejeté.
« Je savais que je n’avais pas un bon niveau en sport et quand il fallait former des équipes, j’étais toujours choisi en dernier — c’était terriblement humiliant », raconte Pierre, 21 ans. Ne s’invente pas gardien ou gardienne de handball qui veut et pourtant, il faut une note sur le bulletin… La valorisation de la performance a pu laisser des traces indélébiles chez certains, comme l’exprime Lexi, 22 ans :
« L’EPS m’a dégoûtée du sport en général. Je recevais des remarques désobligeantes face à mes mauvaises performances et quand bien même je m’améliorais, j’avais toujours une mauvaise note. »
Fabrique à champions, l’école ? Pas si simple, visiblement.
« La mission du sport à l’école, c’est avant tout de former des citoyens »
Invité sur Europe 1, lundi 9 août, Jean-Michel Blanquer en a remis une couche sur l’EPS :
« Des sports comme le handball, le basketball ou le volleyball sont des sports qui sont très pratiqués à l’école par nos professeurs d’éducation physique et sportive, depuis des années et des années. Et on voit maintenant des générations de handballeurs se succéder et à chaque fois remporter la médaille d’or. Ça montre que le système scolaire, dans la durée, a beaucoup d’importance […] pour l’élite du sport »
Cette fois, les athlètes montent au créneau et dénoncent le raccourci entre l’importance du « système scolaire » et les médailles d’or. Le basketteur Evan Fournier n’a pas mâché ses mots :
Son collègue Vincent Poirier avait réagi au premier tweet ministériel en rapportant qu’il avait « rarement (fait) du basket à l’école, mais tranquille ». De son côté, l’ancien rugbyman Maxime Mermoz se demande « quels sont les moyens donnés au sport scolaire pour faire des champions de demain ».
Au lendemain de son tweet, Blanquer a lui-même admis que la France avait « encore des progrès à faire » sur la pratique sportive chez les plus jeunes, tout en reconnaissant que notre pays avait « une tradition moins forte que d’autres ». Mais faire du sport pour se dépenser ou pour gagner des médailles, ce n’est pas la même chose.
« Le propos du ministre est clairement maladroit. Pour autant, je suis mitigé sur la réaction des athlètes. La mission du sport à l’école, c’est avant tout de former des citoyens, démocratiser la pratique et établir une relation de plaisir avec celle-ci », avance Jérémy Laurent, professeur d’EPS à Bailleul (Hauts-de-France). Encore faut-il pouvoir le faire.
Pour viser l’or, il faut de l’argent
Apprendre un sport — et a fortiori apprendre à aimer un sport — ne se fait pas en un jour. Selon les programmes officiels, les cours d’EPS se limitent à trois heures par semaine en primaire et au collège, sauf en sixième où ils gagnent une heure de plus. Au lycée, il ne reste plus que deux heures hebdomadaires.
« Beaucoup de profs aimeraient approfondir leur discipline, faire découvrir d’autres pratiques, enseigner d’autres choses autour du sport. Mais la première contrainte, c’est cette limite horaire. Il y a aussi la question des équipements », regrette Jérémy Laurent — si Martin Fourcade a pu faire du ski à l’école, les écoliers urbains vont plus souvent pratiquer le basket ou le hand, si chers au ministre.
Au-delà du volume horaire, le professeur d’EPS aimerait une amélioration de la formation des enseignants et des budgets permettant d’améliorer les infrastructures dédiées au sport scolaire.
« Tout le monde y gagnera si on peut proposer autre chose que des tours de stade ou du sport en gymnase. »
Alors que Paris accueillera les prochains Jeux Olympiques d’été en 2024, Jean-Michel Blanquer a confirmé que la France visait 70 à 80 médailles. « Un chiffre ambitieux », a-t-il reconnu. Pour rappel, les athlètes tricolores ont raflé 33 médailles aux Jeux de Tokyo, classant la France en 8ème position. Il va en falloir, des cours d’EPS, pour atteindre l’objectif.
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Crédit photo : Alyssa Ledesma / Unsplash
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Les Commentaires
Aujourd'hui, il n'y a pas que la performance qui compte. L'investissement et l'engagement sont aussi très importants et valorisés par la note. Ça permet à des élèves un peu en difficulté physiquement d'avoir une note tout à fait correcte par ailleurs. Et les meilleurs en sport peuvent se prendre des taules s'ils prennent les autres de haut. Je trouve ça plutôt cool comme évolution.
Sinon, moi non plus il n'y avait pas de douches. On avait des vestiaires où certains se changeaient, mais sinon on restait en tenue toute la journée. Curieusement, ça ne me gênait pas particulièrement.
Après, j'ai pas forcément un mauvais souvenir de mes cours. J'étais dans la moyenne (ni très forte, ni pas assez) et j'assurais l'essentiel, sauf en endurance. Ce sport est resté ma hantise pendant toute ma scolarité. Et niveau prof, j'ai pas eu le sentiment d'être humiliée. Juste un qui pouvait être assez cassant quand tu ne savais pas faire le geste technique (mais si tu me montres pas, je peux pas deviner, banane).