Lorsque madmoiZelle a présenté il y a presque un an sa petite grande sœur, Rockie, touchant des femmes plus proches de la trentaine que de la vingtaine, je me suis tout de suite réjouie. J’étais contente de pouvoir continuer à lire des articles et des témoignages sur des sujets dont je me sens proche. Je dis « dont je me sens proche » car je n’arrive pas à dire « auxquels je m’identifie ».
En effet, dans la presse, sur Internet ou à la télé, on tente de se montrer de plus en plus ouverts. Mc Donald vous invite à « venir comme vous êtes », Nana, Always et autres Tampax se réinventent pour parler à toutes les femmes et certains sites de mode ou de rencontres montrent plus librement des couples de femmes, des femmes de couleur, des femmes rondes, des femmes petites, bref toutes les femmes. Enfin, toutes les femmes… debout.
Une maitresse à roulettes
Parce que oui, j’ai 29 ans, je suis mariée, je travaille, je déborde de vie, je souris à toutes les références de ma génération, je suis comme toutes ces femmes mais je suis en fauteuil roulant. Alors je dois dire que pour l’identification il faudra repasser.
J’aimerais voir des femmes en fauteuil dans les pubs, dans les séries et dans les films sans que ceux-ci aient le handicap comme thème. Parce que je ne suis pas qu’une personne handicapée, je suis une jeune femme de 29 ans qui pense parentalité, sexualité, projets, voyages et qui a grandi avec Hartley cœurs à vif et les Spice Girls.
Je suis une femme amoureuse, une grande sœur comblée, et une maîtresse à roulettes heureuse tous les matins (ou presque) de retrouver ses 29 petits élèves de CE2 et de rire avec eux parce que « c’est trop cool d’avoir une maîtresse pas comme les autres ».
Le handicap n’est qu’une partie de mon quotidien
J’aurais des milliers de choses à vous raconter sur mon quotidien, sur le regard des gens, sur l’innocence de mes élèves, sur comment devenir femme dans un corps tordu….
Mais, j’aurais aussi aimé avoir des milliers de choses à lire sur des filles qui se poseraient toutes les questions de ma génération mais pas toujours des filles debout.
Lorsque j’étais enfant, mes parents m’ont élevée à l’identique de mes frères et sœurs. Ils ne m’ont pas sur-protégée. Lorsqu’il fallait aller acheter le pain, ils me mettaient une pièce dans la main, appuyaient pour moi sur le bouton de l’ascenseur et pour le reste, à moi de me débrouiller comme tout le monde. J’étais l’aînée, à moi de gérer.
Cette éducation m’a sauvée, elle m’a fait devenir celle que je suis aujourd’hui. Une jeune femme en fauteuil qui se bat pour être comme tout le monde. Alors, à la maison, le handicap était juste une partie de mon quotidien. Cela ne m’empêchait d’avoir des copines et de jouer avec elles. Un jour, un des mes frangins s’est même étonné qu’il n’y ait pas une grande sœur en fauteuil dans toutes les familles.
La seule différence entre les autres enfants et moi était que face à un escalier, moi j’étais bloquée. Point.
Où sont les héroïnes en fauteuil ?
À l’adolescence, les premières soirées pyjamas ont été difficiles car je ne pouvais pas aller dormir chez les autres. Heureusement, c’était contournable puisque je pouvais inviter mes amies chez moi.
Par contre, en grandissant encore, j’ai vite compris que le vrai escalier qui me bloquait, c’était bien plus la société en général que n’importe quelle marche d’immeuble. Mes amies s’identifiaient aux personnages des séries, portaient les vêtements qu’on voyait dans les publicités…
Ensuite, elles se sont demandé si elles avaient travaillé assez pour réussir leur concours de professorat pendant que moi je travaillais chaque heure du week-end en me demandant si, dans une société où le handicap se cache, on me confierait une classe.
Mon optimisme a souvent gagné et aujourd’hui j’ai ma classe et je partage tellement de choses avec mes petits élèves.
Un jour, pendant une sortie de classe, nous avons croisé un homme en fauteuil roulant et je me suis dit par expérience : « J’espère qu’ils ne vont pas tous faire une remarque à son sujet car ce serait désagréable pour lui ».
Finalement, ils se sont exclamés : « Maîtresse, regarde le monsieur… il a le même fauteuil que toi ! ». Cette remarque dite avec une telle innocence, sur le même ton qu’un « Quelle jolie robe ! » m’a bien montré que si la société nous traitait toujours comme n’importe qui, tout serait tellement plus simple.
Mais, pour cela, il faudrait qu’on grandisse devant des héroines en fauteuils (ou des méchantes en fauteuil, car le handicap ne rend pas mièvre et gentille, mais c’est une autre histoire).
J’ai boycotté Intouchables
Je conclurai en évoquant deux choses.
Premièrement, apprendre à se respecter et à se faire respecter est le gros enjeu des femmes d’aujourd’hui. Mais demandez-vous comment apprendre ça quand on est peu représentée et que techniquement à l’heure de pointe dans le bus on arrive à la hauteur du postérieur de nos chers concitoyens.
Deuxièmement, j’ai boycotté Intouchables. On critique (et à raison !) les blackfaces : on n’aurait pas imaginé un acteur blanc maquillé en noir pour remplacer Omar Sy c’est absurde, mais ça ne choque personne qu’un acteur valide joue un type en fauteuil. J’ai fait du théâtre, il y a des comédiens en fauteuil. Où sont-ils ?
Alors voilà, je vous propose ce nouveau combat à travers mes petites tranches de vie : et si on ouvrait le monde à TOUTES les femmes ?
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