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"©Pixels/Pixabay"
Sexo

Vis ma vie d’homme vierge jusqu’à ses 28 ans

Lucien* a vécu sa première relation sexuelle à 28 ans, après des années d’angoisses et de questionnements. Aujourd’hui, il se rend compte des mécanismes qui l’ont tenu à distance du monde, et comment sa virginité a affecté de nombreuses facettes de sa vie.

Aujourd’hui, j’ai 29 ans, et au moment où je parle, ça fait moins d’un an que j’ai eu ma première relation sexuelle.

Mon adolescence dans la comparaison

Adolescent, j’ai eu une vie hyper classique et plutôt franchement heureuse. J’ai deux frères qui ont mon âge, nous sommes triplés, et nous avons toujours été entourés de plein de potes.

À l’adolescence, vers 15 ou 16 ans, c’est l’âge où l’on commence souvent à regarder les filles ou les garçons, selon l’orientation sexuelle de chacun, et au début, je n’ai pas capté que je ne participais pas vraiment au mouvement.

Mes frères et moi, on a toujours été très proches. Nous avancions en même temps dans les étapes de la vie, et je me comparais forcément à eux, même si je sais que ce n’est pas bien. Du coup, quand ils ont commencé leur vie sexuelle, cela a rendu, en partie, toute mon approche de la sexualité bloquante et compliquée.

Je les ai toujours considérés comme des personnes géniales, et donc moi comme une personne beaucoup moins géniale.

Vers 16 ans, j’ai aussi commencé à prendre conscience du bordel qu’il y avait entre mes parents, qui aujourd’hui sont séparés. Mes frères ont vécu le truc à leur sauce, sûrement aussi dans la douleur mais sans que ça les entrave sur le plan amoureux et sexuel.

Moi, j’ai l’impression d’avoir vraiment souffert du déchirement de mes parents, et je me suis dit :

« C’est ça l’amour, c’est ça le couple. »

Je pense qu’inconsciemment, ça m’a aussi bloqué dans mes relations avec les femmes, même si j’avais profondément envie de connaître l’amour, ça m’a bloqué, je ne me l’explique pas.

Je suis vierge, et c’est pour toujours

Au départ, je ne complexais pas de ne pas en être au même point que mes frères du point de vue de la sexualité, parce que je me disais qu’être vierge à 16 ou 17 ans rentrait encore dans la norme.

Mais c’est en arrivant dans la vingtaine que je me suis dit qu’il y avait un problème.

Quand j’ai eu 17 ou 18 ans, j’ai eu des approches avec une ou deux nanas. On ne peut même pas parler de relation de couple parce que nous sommes restés à des stades très basiques.

Il n’y a pas eu de contact sexuel et c’était toujours des échanges très courts. À chaque fois, c’est moi qui me faisais dégager. Je pense que je n’étais pas très fin et pas très à l’aise avec le sujet, et que ça se sentait.

Dans mon cercle d’amis proches, tout le monde était au courant que j’étais vierge, il n’y avait pas de mystère. Il y en avait certains avec qui j’en parlais plus qu’avec d’autres parce qu’ils étaient particulièrement bienveillants et rassurants.

Avec eux, je parlais de mes inquiétudes, parce qu’à un moment, l’âge avançant, j’avais l’impression de mettre le doigt dans un engrenage qui ne finirait jamais.

Je suis vierge, et je me sens exclu du groupe

J’ai eu la chance, contrairement à d’autres, je pense, de ne jamais recevoir de moqueries ouvertement. Mais parfois, sans même que mon entourage s’en rende compte, il arrivait que des situations me ramènent sans cesse à ma condition d’homme vierge.

Autour de 18 ou 20 ans, quand tout le monde commence à découvrir sa vie sexuelle, je me suis retrouvé dans des soirées où le sujet principal était le sexe. Je me retrouvais comme un con, tout le monde en parlait, et moi je me sentais en dehors du groupe.

J’avais l’impression de ne pas participer à la soirée, de manquer un moment social, et une étape avec mon groupe de pairs. Et ça, ça a été très dur, à tel point que ça m’est arrivé de trouver un prétexte pour quitter des soirées parce que je ne me sentais pas à ma place.

Vis à vis de mon regard sur moi et du regard des autres, les mots ont toujours été très importants. Aujourd’hui je peux employer les mots « puceau » ou « vierge », qui sont des mots assez banals, mais il y a encore quelque temps c’était hyper dur de les prononcer.

« Puceau », c’est vraiment le pire, il y a un côté très réducteur et dégradant dans ce terme.

Je suis vierge, et c’est écrit sur ma gueule

Cette virginité tardive m’a fait rentrer dans un cercle vicieux, parce que plus j’avançais en âge, plus je me disais que ce n’était pas normal, et plus j’avais l’impression que c’était écrit sur ma gueule.

Et plus j’avais l’impression que c’était écrit sur ma gueule, plus je me cachais, plus je me renfermais sur moi-même, et plus j’entretenais le problème.

« Si je vais voir des filles, ma virginité et mon malaise vont transpirer, ça va se voir, donc le meilleur moyen de me protéger est de ne pas aller vers elles. »

Sauf que la vie continue à défiler, défiler, défiler… et puis tout d’un coup je suis rentré dans la vie active, et je me suis rendu compte que je ne rencontrais plus autant de monde qu’au collège ou au lycée.

Et là je me suis dit :

« Ok, là, j’ai un vrai problème. »

Avec le recul, je me rends compte que mon rapport à la sexualité et à ma virginité était présent de manière quasi permanente dans ma vie. Même quand je faisais autre chose, quand je pensais à autre chose, il y avait une lame de fond qui restait, je n’étais pas bien.

J’avais peur que ma première fois n’arrive jamais, je me disais que j’allais passer à côté d’un pan énorme de ce qui fait les relations humaines, que j’allais passer à côté de tout un tas de choses.

Du côté professionnel, ma carrière a été marquée par l’instabilité, et elle l’est toujours aujourd’hui. Je pense que c’est lié au fait que plus jeune, je ne voulais pas rester au même endroit trop longtemps.

Je me disais que plus j’allais rester, plus j’allais connaître les gens et eux allaient me connaître, et plus ce que je suis allait être écrit sur mon front.

Je suis vierge, et ma sexualité se résume à la masturbation

Du point de vue de la masturbation, il y a une période où je pense que je me masturbais beaucoup comme pas mal d’autres mecs ados de mon âge.

Il y a un moment où j’étais, je pense, plus actif que mes frères, copains et copines qui avaient une vie sexuelle à deux, ou à plusieurs dans des relations exclusives ou non.

Maintenant que je ne suis plus vierge, même si je n’ai pas une sexualité débordante, je me rends compte que non seulement je me branle moins, mais je me branle beaucoup moins sur des sites pornographiques.

Même quand je regarde du contenu porno, je ne cherche pas du tout le même style que quand j’étais plus jeune. Aujourd’hui je vais chercher des pornos plus réalistes, ou plus artistiques. J’ai l’impression qu’il y a véritablement eu un avant et un après de ce côté-là.

Je suis vierge, et je ne capte pas les signaux de séduction

Il y a 3 ou 4 ans, j’ai rencontré une fille qui habitait pas trop loin de chez moi sur Tinder. Le feeling était plutôt bien passé, on s’était rencontrés deux ou trois fois. Elle avait 25 ans comme moi. Je ne la connaissais ni d’Eve ni d’Adam et j’avais réussi à lui parler de ma virginité.

Elle n’avait pas été dans la fuite, ce dont j’avais peur, et elle m’a envoyé plein de signaux que je n’ai pas capté.

Au bout de trois ou quatre fois à se voir sans que je ne saisisse les perches et sans qu’il ne se passe rien, elle est allée voir un autre mec. Elle me l’a dit, en me disant qu’elle n’était pas du genre à voir plusieurs mecs en même temps, et là j’ai compris que c’est moi qui avais raté un épisode

.

Cette expérience illustre bien les schémas que j’ai toujours vécus dans les rapports de séduction. Ma peur et le poids de ma virginité m’empêchaient de saisir des occasions, parce que je ne maitrisais pas les codes de la séduction.

Cette histoire-là en particulier a été douloureuse parce que je me suis dit :

« Tu as eu une opportunité, mec, et tu n’étais même pas capable de le voir. »

Je me suis senti encore plus éloigné des autres. Je me suis dit que n’importe quel mec ou n’importe quelle nana normalement constituée aurait compris. Je me suis senti totalement à la ramasse, et ça a créé encore plus de repli sur moi.

Je suis vierge, et je ne veux pas avoir recours à la prostitution

Il y a eu des moments dans mon parcours où j’ai envisagé d’aller voir un psy, mais pour des raisons personnelles et familiales j’ai longtemps été bloqué. Les choses commencent à évoluer aujourd’hui à ce sujet.

Vers 20-25 ans, l’idée d’avoir recours à la prostitution a aussi germé dans mon esprit. Mais dès qu’elle arrivait, je l’écartais de suite, pour plein de raisons. Je pense qu’il y avait quelque part quelque chose de très égoïste de me dire :

« Ce n’est pas perdu, je n’en suis quand même pas là. »

Et aussi le fait que je considère que les femmes qui se prostituent font, pour la majorité de celles que je vois dans mon quotidien, un truc qu’elles n’ont pas envie de faire, et qu’elles n’ont pas à subir le poids de mes névroses.

Malgré tout, la question d’aller voir une prostituée est revenue plusieurs fois, mais je ne sais pas si c’est par fierté, ou parce que je me suis convaincu que c’était par estime pour les femmes, mais à chaque fois que la question est revenue je l’ai évacuée.

En tout cas, au fur et à mesure, je cherchais des solutions alternatives, et parfois j’en oubliais même mes valeurs et mes envies de bienveillance et de partage pour cette première fois.

Je me disais parfois :

« Allez, je vais sortir me torcher la gueule et coucher avec une fille en soirée et ça se passera comme ça. »

La première expérience sexuelle qui m’a rassuré

Pour situer un peu les choses, le jour de ma première fois, on est en février 2019, j’ai 28 ans depuis quelques mois. Et je pense qu’il y a plusieurs points de bascule qui ont mené à ce que cette première fois ait lieu.

En octobre 2018, il y a une fille qui habite à deux pâtés de maison de chez moi, qui se trouve être une pote que j’ai arrêté de voir deux ou trois ans auparavant. Gros hasard, on reprend contact pour prendre des nouvelles, et on se rend compte qu’on habite à deux rues l’un de l’autre.

Je réalise à ce moment là, qu’à l’époque elle m’avait déjà tendu des perches que j’aurais pu saisir si j’avais pu les voir. Alors quand on a décidé de se revoir et qu’elle est venue chez moi, on s’est lancés.

Dans ma tête, je me disais :

« Ça y est, c’est lancé, ça va enfin arriver. »

On s’est foutus à poil, on s’est touchés, et il se trouve qu’in fine elle n’a pas voulu aller plus loin. Sur le moment, je ne l’ai pas mal pris, je ne lui ai pas fait de reproche, et j’ai totalement respecté sa décision.

Par contre, après coup, je l’ai hyper mal vécu, parce que dans ma tête c’était bon, ça allait enfin arriver avec quelqu’un que je connais, mais aussi avec une personne que ne savait pas et qui ne sait toujours pas que j’étais vierge.

Mais mine de rien, cette expérience-là m’a montré plusieurs choses :

  • Que je pouvais toujours plaire à mon âge, que je n’étais pas un déchet et que je pouvais entraîner quelqu’un dans une relation charnelle,
  • Et que finalemement, même si j’imagine que j’ai fait des trucs un peu merdiques de débutant, ce n’est pas trop sorcier. Ça m’a rassuré sur moi-même, je me suis dis :

« Ok, Lucien, t’as 28 ans, et tes doigts ont trouvé seuls le vagin. »

Le jour de ma première fois… avec une fille que je connais déjà

Après cet épisode, Joy* a été véritablement un point de bascule décisif. Elle et moi, on a toujours eu une certaine proximité et je lui avais déjà parlé de ma virginité.

On se connaissait par notre groupe de potes, on se croisait en soirée mais on ne se voyait pas en dehors. Et je ne sais pas pourquoi, mais je suis capable de le dire aujourd’hui, j’ai toujours senti une espèce de connexion entre nous.

Par ailleurs, on ne va pas se mentir, j’avais évidemment une attirance physique pour elle, je la trouvais jolie, hyper attirante, hyper bien foutue, et j’ai toujours fantasmé en me disant :

« Ça n’arrivera JAMAIS. Cette fille-là, elle n’est pas pour toi, tu n’es pas son type de mec, tu ne l’auras jamais. »

Un soir, en parlant avec elle de sexualité dans la maison de mes parents pendant une soirée, on était tous les deux un peu pompettes, et je ne sais pas pourquoi, à un moment je lui ai dit :

« Et si je fais ça ? »

Et je l’ai embrassée.

Je ne sais pas pourquoi, mais à partir de là un truc s’est déclenché. Après ça on a passé la nuit ensemble, sans coucher ensemble, juste en se touchant. Petit à petit, les semaines passant, on savait que ça arriverait, et c’est arrivé en février. On a couché ensemble, et à partir de là, ça a été une libération.

Avant j’avais vraiment un poids qui recouvrait tous les pans de ma vie, et il s’est envolé. J’étais très content, et surtout heureux que ça se soit passé avec Joy, qui est d’une extrême bienveillance et qui était au courant de la situation. Elle a été incroyable.

J’avais aussi le sentiment que sans être une extase pour elle qui a 26 ans et beaucoup d’expérience… Ce n’était pas la catastrophe que j’aurais pu imaginer. J’ai évidemment jugé ma performance, et j’avais la crainte que ça ne dure que 30 secondes, mais pas du tout. C’était hyper bienveillant, et rien que ça, ça enlève un stress.

Comme par hasard, cinq jours après avoir couché avec Joy, je couchais avec la fille avec qui ce n’était pas allé jusqu’au bout quelques mois auparavant. Avec elle, ça n’a pas tenu pour plusieurs raisons, mais j’ai rencontré deux autres filles sur Ok Cupid dans la foulée, chose qui n’arrivait jamais avant.

À partir de là les choses sont devenues possibles, et je n’explique pas comment, mais quelque chose a changé. Aujourd’hui, fréquenter des femmes est devenu une possibilité pour moi.

Je ne suis plus vierge, je vais mieux, mais j’ai toujours des craintes

Même après avoir fait ma première fois, je suis toujours inquiet, sur le plan relationnel et affectif, et sur le plan sexuel. Je n’ai pas effacé 28 ans de conditionnement psychologique en un jour, et ma principale peur c’est que ça ait été une espèce d’étoile filante.

J’ai passé six mois super sympas, j’ai fréquenté quatre filles, et maintenant c’est peut-être terminé.

Sur le plan relationnel et affectif, je me demande aussi si je serais capable de construire une relation sur le moyen ou le long terme avec quelqu’un.

Ça fait maintenant 29 ans que je suis seul, je me suis construit une vie en solo, je fais des plans individuellement, sans jamais penser à deux. Alors je me demande parfois si je serais en mesure de m’inquiéter, de prévoir à deux, de me sentir deux.

Est-ce qu’un jour je serais en mesure de m’engager avec quelqu’un ? Je n’en suis pas sûr.

À côté de ça, même si il y a des phases où je suis un peu déprimé parce que c’est dans ma nature d’avoir des humeurs très changeantes, maintenant il existe des phases où je m’aime.

Quand je suis avec quelqu’un, je me sens beaucoup plus beau à travers le regard de l’autre que quand je suis seul. Mon regard a changé, je me sens plus d’assurance.

Quelques mots pour le moi d’avant

Si je pouvais parler au moi d’avant, je lui dirais d’essayer de changer son regard. Qu’il y a beaucoup de femmes qui ne cherchent pas que du sexe, et que même si le sexe est évidemment une donnée importante dans les relations, ce n’est pas la seule donnée.

Je lui dirais qu’en tant que mec vierge, la sexualité est une question centrale et qu’il pense que les autres ne voient que ça et ne pensent que par ça, mais que ce n’est pas vrai.

Je lui dirais aussi qu’il ne faut pas qu’il soit aveugle, qu’il y a des moments où on lui tend des perches et envoie des signaux, et qu’il ne les voit pas parce qu’il n’est pas habitué ou qu’il n’a pas envie de les voir, mais qu’ils existent.

Je lui dirais aussi qu’il peut tenter quelque chose et se viander : il n’y aura pas mort d’homme. Le seul risque sera de vivre un moment un peu désagréable pendant 5 minutes, et puis ça va passer.

Pourquoi j’ai voulu raconter mon histoire

Si j’ai voulu raconter mon histoire et la partager, c’est d’abord parce que j’avais besoin de la verbaliser, pour moi-même. C’est une forme de détachement, qui m’aide peut-être aussi à mieux cerner ce que j’ai vécu, à poser des mots différents dessus, à prendre du recul.

Et deuxièmement, j’ai voulu partager mon histoire pour apporter ma modeste pierre à l’édifice de ceux et celles qui cherchent des réponses sur ces questions, et surtout pour les personnes étant dans une virginité jugée tardive. Dans cette douleur, je sais ce que c’est que d’avoir besoin de réponses, de ne pas se sentir seul.

Il ne faut pas croire que c’est un on/off et qu’une fois qu’on a couché tout va mieux. C’est un soulagement, un poids qui s’enlève, mais il y a des choses qui restent encore imprimées et qui marqueront ou bloqueront encore.

Je voudrais terminer en apportant un message d’amour à toutes celles et tous ceux qui portent aujourd’hui encore ce poids. Vous êtes beaux, vous êtes belles. Du fond du cœur, je ne vous souhaite que le meilleur, vous le méritez.

*Les prénoms ont été modifiés

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