Quand j’étais plus jeune, j’avais une propension certaine à vivre à travers les autres à tel point que j’ai mis un certain temps à comprendre qui j’étais. Ce n’est d’ailleurs qu’en arrivant à la fac que j’ai fait la rencontre avec moi-même. Avant cela, j’errais un peu. Je changeais de personnalité quand je changeais d’amis. On ne peut plus parler d’influençabilité, de malléabilité et de capacités d’adaptation ; comme une éponge absorbe tout ce qui l’entoure, je m’emplissais des idées et de la personnalité d’autrui.
Si ce temps est bien heureusement révolu (j’ai fait une cure de pompage de certitudes parasitaires), j’ai eu envie de revenir avec vous sur cette période où je me gorgeais des fluides du tempérament d’autrui.
La sociabilité de l’éponge
Difficile de se faire ses propres amis quand on est spongieuse, et je parle en connaissance de cause : quand j’étais adolescente, je me rangeais derrière le jugement de mes quelques amis proches pour décider si certaines personnes étaient dignes d’intérêt.
Ainsi, quand les amis à qui j’avais inconsciemment confié le rôle de repère avaient décidé que tel ou tel individu craignait, je décidais moi aussi que sa personnalité sentait l’andouille de Vire périmée. En outre, si un de mes amis se prenait la tête avec quelqu’un sans que je ne sache pourquoi, je prenais forcément partie pour ma balise – qu’elle ait été en tort ou pas, d’ailleurs.
Du coup, quand les deux protagonistes de l’affaire décidaient de se pardonner, celui que j’avais violemment vilipendé continuait tout de même à me tourner le dos. L’opération se répétant plusieurs fois et le potentiel de swag étant au lycée proportionnel au nombre d’amis, ce genre de partis pris me conférait un petit côté juteusement has been et carrément insupportable.
Les expressions faciales de l’éponge
Si vous pensez que mon influençabilité était exclusivement psychique, vous vous fourrez le coude dans le nez jusqu’au gros orteil : telle une serpillère microfibre jetée dans un seau d’Ajax fêtes des fleurs, je m’inspirais également de mon entourage dans la façon de mouvoir mon visage.
En effet, à force de parler avec certaines personnes, je chopais leurs expressions faciales aussi vite qu’on attrape un herpès en posant son fessier sur une cuvette infectée. Battements frénétiques des cils, bouche de travers pour prononcer certaines voyelles, sourcil levé pour exprimer le mépris, mon faciès fut un temps aussi malléable que Flubber. Ou Sim. Ou comme si chaque muscle qui habitait mon visage avait pris du Polynectar.
L’éponge et les lettres
A l’adolescence, comme beaucoup, j’ai eu une période où je m’imaginais en apprentie romancière. C’est là que j’ai réalisé que j’étais sujette à un étrange phénomène : le calque littéraire
. Je vous explique.
En relisant les nouvelles que j’écrivais à l’époque, je me rendais compte que je n’avais jamais le même style. Après réflexion, j’ai compris que ma façon d’écrire dépendait de ce que j’avais lu juste avant. Quand je me plongeais dans Du Côté de Chez Swann, mes phrases étaient longues et indigestes (n’est pas Proust qui veut). Au temps où j’étais une inconditionnelle d’Olivier Adam, je racontais exclusivement des histoires de messieurs et mesdames Tout le Monde à la vie morne. Avec des phrases courtes. Un peu comme… Un peu comme ça. En fait.
Je ne vous raconte pas le désastre quand je me mettais à écrire après avoir passé 2h à errer de Skyblog en Skyblog.
L’éponge et la culture
Quand je découvrais de moi-même un nouveau film, un nouveau groupe, une nouvelle série ou un nouveau livre, j’avais tendance à vouloir partager mon emballement avec mes repères. C’est donc avec un enthousiasme peu contenu que je les interpellais, un grand sourire mangesque ornant mon visage :
« Hé, vous avez vu le film avec les cinq soeurs blondes qui se suicident à la fin ? – Ouais. J’ai pas tellement aimé. – Oui oui, moi aussi, c’est pour ça que j’allais en parler. »
Note : plus j’avance dans l’écriture de cet article, plus j’ai envie de retourner dans le temps pour foutre un petit taquet derrière la tête de la jeune moi.
Quoiqu’il en soit, pendant des années, j’ai écouté de la musique et vu des films que je n’aimais pas tout simplement parce que je pensais que mon avis n’était pas le bon.
Et maintenant ?
Maintenant, ça va beaucoup mieux. La transformation en moi-même s’est probablement opérée progressivement avant de s’achever à la fac où j’ai enfin commencé à prendre confiance en moi et à assumer mes propres pensées, mes propres envies, tout en découvrant ma personnalité. C’était une expérience troublante (j’avais l’impression de rencontrer quelqu’un de très proche de moi qui m’était complètement inconnu) mais aujourd’hui, c’est juste quelque chose de normal.
Alerte allégorie : voici celle de l'éponge qui prend son envol vers le chemin aérien de sa vie. Classique.
Et sinon, y a d’autres (anciennes) éponges dans la salle ?
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