Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.
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Lorsqu’on commence à aborder la question des droits sexuels et reproductifs au Liban en s’intéressant en particulier aux jeunes, il est une chose à côté de laquelle on ne peut pas passer : l’injonction à la virginité.
Le sexe avant le mariage est tabou. C’est l’une des raisons pour lesquelles il n’y a pas d’éducation sexuelle au Liban : pourquoi fournir une éducation au sexe alors que vous n’êtes pas censé·e le pratiquer ? Ce serait au contraire l’encourager.
Jusqu’en 2011, une loi permettait même de légitimer cette vision des choses dans le droit.
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19 ans, plus vierge « depuis un moment » : une exception au Liban ?
Layali elle, a un copain et à 19 ans, elle n’est plus vierge depuis un moment, mais elle estime ne pas être « représentative ». Au fond d’un café de Beyrouth, elle se confie après avoir jeté un regard alentours, comme pour vérifier que personne ne pouvait l’entendre :
« Je pense que le sexe ne devrait pas être un tabou. Je suis du genre à aimer ouvrir ce type de débats avec les gens : « qu’est-ce que vous pensez de ça ? Et de ci ? ». Mais beaucoup de personnes ne pensent pas comme moi. »
Son copain ne la blâme pas pour sa non-virginité, ça lui convient.
« Je pense qu’il aurait préféré que je sois vierge. J’étais sa première fois sans qu’il la soit pour moi, mais ça se passe bien. En même temps, on se rapproche toujours des gens qui ont la même perception que nous, les mêmes valeurs.
Je sais pertinemment que beaucoup d’autres hommes ne pourraient pas accepter ça mais de toute façon je ne pourrais jamais être avec quelqu’un d’aussi fermé. »
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« Il faut « se respecter », mais qu’est-ce que ça veut dire ? »
Lorsque je lui demande quelles sont les raisons invoquées pour justifier l’impératif de la virginité, elle est frustrée de ne pas pouvoir me donner beaucoup d’explications.
« Le truc, c’est que quand tu leur demandes pourquoi, ils ne sont même pas toujours capables de te répondre. Ils disent qu’« il faut se respecter ». En quoi se faire plaisir n’est pas se respecter, je n’ai toujours pas compris… »
Ça la met d’autant plus en colère qu’il y a un véritable double standard entre les femmes et les hommes.
« Pour les hommes la virginité ne revêt pas le même sens. Une femme doit se conserver pour son mari, mais un homme au contraire, on le valorise lorsqu’il couche avec une femme.
C’est perçu comme un besoin physiologique. En somme, un homme qui a eu beaucoup d’expériences sexuelles est bon à marier car ça y est, il a couru les jupons et n’aura plus besoin de le faire par la suite. »
Je suis interloquée : comment peut-on valoriser le fait qu’un homme couche avec des femmes mais refuser que celle qu’il épousera ne soit plus vierge ?
« Celles avec qui ils couchent et celles avec qui ils se marient ne sont pas les mêmes », me répond Layali.
Elles ne jouissent pas du même statut, du même respect, loin de là.
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La virginité : une question de morale ou de religion ?
Selon Layali, « c’est presque plus une histoire de morale que de religion ».
« Quoi que, c’est vrai que cette morale est sans doutes inspirée de la religion, c’est son aspect social. Par exemple mon père ne pratique pas, il n’est pas religieux, mais jamais je ne pourrais lui dire que je ne suis plus vierge.
Il deviendrait fou. Il se demanderait ce qu’il a mal fait dans mon éducation pour que sa fille ne se respecte pas, ne respecte pas sa famille… »
Selon elle, vérifier l’état de l’hymen avant le mariage n’est plus monnaie courante. Pourtant, elle estime aussi qu’on risque toujours être déshéritée si l’on est accusée de ne plus être vierge au moment de la nuit de noce.
Elle parle de pression sociale et d’hypocrisie :
« Le problème c’est que tu peux avoir les parents les plus ouverts du monde, tu as quand même peur de leur réaction. Parce que tu sais que si les voisins l’apprennent, la communauté l’apprend… C’est l’honneur de ta famille qui est ruiné.
Tous les ragots vont tellement vite, et les gens associent tes actes à ceux de tes proches. Donc s’ils considèrent que tu es une dépravée, ils vont parler sur l’intégralité de la famille. »
On pourrait être tenté·es d’ignorer le qu’en dira-t-on… mais ce n’est pas aussi simple, ajoute-elle :
« C’est bête et méchant, c’est de l’exclusion, c’est du « ne leur parle pas, ils ont une mauvaise influence ». »
Layali ressent d’autant plus cette pression qu’elle est druze – à l’origine une branche de l’Islam qu’elle qualifie de « milieu chelou ».
Selon elle, il s’agit d’une petite communauté où tout le monde se connaît.
« On vient des montagnes et on est vraiment peu nombreux. Du coup, lorsque tu rencontres des druzes, tu fais attention à les garder dans ton entourage car tes parents veulent que tu te maries avec un fils druze. Et en même temps tu dois faire très attention à ton comportement parce que tu sais que quelque part vous êtes liés et que des histoires à ton sujet peuvent remonter. »
Elle n’a visiblement que faire de ces recommandations : son petit ami actuel est chiite.
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Une transition qui permet aux « extrêmes » de coexister
Selon elle, on est à l’heure actuelle dans une période de transition.
« En parler avec les parents, les grands-parents, ou devant la face du monde c’est impossible. Il y a un vrai fossé générationnel en la matière. La plupart du temps, les parents n’ont aucune idée de ce que font leurs enfants. »
Son exemple est éloquent, mais elle en a encore bien d’autres.
« Un jour, une amie a invité un garçon chez elle. Ils ont couché ensemble. Mais sa mère l’a découvert et est entrée dans une colère noire, elle ne comprenait pas comment sa fille « avait pu lui faire ça ». »
Elle admet que même au sein de sa propre génération le tabou est tenace dans certaines sphères. Comme elle me le disait au début de notre conversation, Layali aime lancer des discussions autour du sujet tabou du sexe.
Mais clairement, elle ne le fait pas avec tout le monde. Elle raconte :
« Tu ne parles pas de sexe comme ça, avec n’importe qui. Bien sûr, avec mes amies on en parle oui. Mais elles partagent les mêmes points de vue que moi. Je n’en parle pas trop ailleurs, car c’est difficile de savoir comment vont réagir les gens.
On est dans un flou où l’on peut rencontrer les deux extrêmes : des personnes qui veulent absolument conserver leur virginité et d’autres qui ont complètement abandonné cette idée, qui couchent avec énormément de gens, comme si c’était pour militer contre ces barrières. »
Layali conclut notre conversation en lançant que tout ça n’est que du « bullshit ».
« La virginité est un mythe, l’hymen n’est pas une membrane que l’homme devrait venir percer… Mais les conservateurs ne veulent rien entendre à ce sujet. »
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De mon côté, c’est effectivement ce qui m’a démangée pendant toute la conversation et au contraire des conservateurs dont elle parle, je suis prête à en entendre davantage.
Une opportunité qui s’est présentée quelques jours après ma rencontre avec Layali.
Une discussion publique a été organisée à l’Université américaine de Beyrouth, sous le titre « Déconstruire la virginité ». Je vous raconte tout ça dans l’article à paraître demain, avec dedans un « tuto DIY hyménoplastie ».
* Le prénom a été modifié
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Les Commentaires
> c'est une naïveté sincère qui est exprimée, là ?
Non parce que ce n'est pas parce que la situation exposée est celle du Liban qu'il faut mettre en scène son "choc", quand on retrouve des choses très semblables dans notre propre société. La dichotomie entre la maman et la putain en France reste bien présente, et la pression autour de la virginité aussi, même si la situation est effectivement "moins pire" que dans d'autres pays.
Faire passer certaines choses pour des différences culturelles alors qu'elles n'en sont pas au fond pose à mon sens un gros problème...