– Article initialement publié le 5 octobre 2022.
« Des comportements de nature à briser la santé morale des femmes ». C’est en ces termes que, le 19 septembre dernier, sur le plateau de « C à vous » (France 5), la députée EELV Sandrine Rousseau a qualifié les violences psychologiques dont son confrère Julien Bayou serait à l’origine. Des violences « non répréhensibles pénalement », commises contre son ex-compagne.
Mais de quoi parle-t-on réellement lorsque l’on parle de violences psychologiques ? Que recouvrent-elles ? À partir de quand, justement, sont-elles répréhensibles pénalement ? Comment sont-elles punies ? Qu’en est-il des cellules, commissions et comités internes aux partis politiques qui traitent de ces affaires ? Ces enquêtes ont-elles une valeur légale ? Décryptage, avec Anne Bouillon, avocate spécialiste des violences conjugales.
Madmoizelle. De quoi parle-t-on lorsque l’on parle de violences psychologiques ?
Anne Bouillon. Concrètement, les violences psychologiques sont des mécanismes mis en œuvre pour prendre le pouvoir, l’ascendant, ou pour dominer une personne à l’endroit de laquelle ces violences sont perpétrées, et qui lui causent un préjudice qui doit être caractérisé. De la même manière que dans toutes les infractions pénales, caractériser ces violences passe par un impératif, celui de faire la preuve de l’intentionnalité de celles-ci. C’est-à-dire, prouver que l’auteur des violences avait l’intention de nuire, à travers celles-ci, à la personne concernée.
Les violences psychologiques ne sont pas de « simples » comportements désagréables ou de la goujaterie […] mais bien des comportements que l’on pourrait trouver moralement répréhensible, avec intention de nuire.
Anne Bouillon
Le Code pénal ne fait pas de distinction entre les différentes formes de violence. Il parle d’ingérence, des conséquences qu’elles peuvent engendrer, et de qui en est l’auteur. Il appartient ensuite à la jurisprudence de poser un cadre et de définir ce que recouvrent ces violences. En l’occurrence, la Cour de cassation, qui fait la jurisprudence, dit que des violences verbales, comme des injures, par exemple, ou encore des violences psychologiques peuvent être des violences de la même manière que les violences physiques. Mais elle dit aussi qu’elles sont définies par l’existence d’agissements répétés qui ont pour objectif de porter atteinte à l’intégrité physique de celle ou de celui à qui elles sont destinées. Et c’est là que se situe le caractère intentionnel.
Comment ces violences sont-elles punies ?
De la même manière que les violences physiques, en fonction des conséquences notamment. Ces violences ont-elles entrainé des jours d’ITT (incapacité totale de travail) ? Elles sont par exemple plus sévèrement punies lorsqu’elles sont supérieures à 8 jours d’ITT. Mais aussi, lorsqu’elles sont commises par un conjoint plutôt que par un quidam.
Les violences ayant été commises par un conjoint sont en général punies de cinq ans d’emprisonnement et de 70 000 € d’amende.
Anne Bouillon
Finalement, les violences psychologiques sont considérées comme les autres formes de violences. Mais, encore faut-il les caractériser. Il est donc nécessaire de démontrer l’élément intentionnel. Pour cela, on recueille des écrits, des témoignages, on constate un état de santé qui se dégrade en lien avec lesdites violences… Certaines personnes peuvent être poursuivies et condamnées uniquement pour des violences psychologiques.
Pour prévenir, gérer et traiter des signalements de violences, notamment psychologiques, au sein de partis politiques, sont parfois mises en place des cellules, comités ou commissions internes. Que ce soit en interne peut-il nuire à l’impartialité nécessaire à de telles enquêtes ?
Il ne faut pas oublier les décennies de silence et d’omerta imposées aux femmes victimes de violences. Ces dernières n’avaient que deux options : se taire, ou en tirer les conséquences et partir, quitter une entreprise ou un parti politique. Les répercussions étant encore plus importantes lorsque celles qui osaient dénoncer le faisaient en accusant un supérieur hiérarchique.
Anne Bouillon
La plupart du temps, cela se retournait contre elles. Aujourd’hui, il y a une réelle volonté de libérer cette parole, avant tout de manière légale. C’est pourquoi, des entreprises, des partis politiques, se sont dotées de structures idoines pour traiter ces questions qui relèvent finalement de la sécurité des salariés.
Cette volonté d’aller vers une libération de la parole et une meilleure prise en charge des salariés victimes de violences est évidemment bonne. Il faut s’en féliciter. Se pose ensuite la question de la méthode : il faut, à mon sens, agir avec beaucoup de précautions méthodologiques. C’est-à-dire qu’il ne peut pas être envisagé que la même instance déclenche l’enquête et investigue. Ces fonctions doivent être confiées à des personnes différentes. Car le principe de l’égalité des armes et du contradictoire doit être respecté.
Pour en revenir plus précisément à l’actualité, je pense que ces enquêtes ont tout à gagner à être menées en discrétion, voire de manière confidentielle. Parce que la critique surgie immédiatement de ce que la divulgation de l’information est faite à d’autres fins que le simple fait de devoir informer… La parole des femmes doit être entendue, elle doit être investiguée, et une réponse doit y être apportée.
Ces commissions ont-elles une valeur légale, au-delà de leur valeur politique ?
Elles ont la valeur légale qu’on leur donne. D’abord, il y a un droit disciplinaire. Il y a, par exemple, dans la profession qui me concerne, des décisions disciplinaires qui sont prises par le conseil de l’ordre et qui ont une valeur légale, que je peux par ailleurs contester. Par conséquent, ces décisions ne relèvent pas de l’arbitraire, elles ont une force exécutoire. Dans le monde du travail, il peut y avoir des sanctions pouvant aller de la mise à pied jusqu’au licenciement. Ces décisions obéissent à une autre justice que la justice pénale. Il n’y a pas que le contentieux pénal, le contentieux civil, sur ces questions-là, est extrêmement important. Ces décisions sont légales et peuvent être contestées devant les juridictions civiles ou prudhommales, s’il s’agit de droit du travail.
À lire aussi : Julien Bayou contre-attaque et dénonce une « croisade » féministe
Photo de Une : Unsplash / Nadine Shaabana
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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Les Commentaires
Au civil, dans une procédure civile, dans un couple marié ou pacsé , l'adultère est civilement réprimé : on peut donc divorcer ou se dépacser pour faute" si on a constaté une infidélité du conjoint". C'est possible, il existe une sanction civile pour ce fait dans un cadre juridique.
En revanche, tu parles ici de violence psy, ce serait faire de l'adultère une faute pénale, ce qui est différent d'une faute civile. Cela renvoie à un casier judiciaire pour la personne infidèle. Quand aux conjoints violents, vu qu'ils sont souvent très jaloux et possessifs, il pourrait s'en servir pour des "circonstances atténuantes" quand à leur violence verbale et/ou physique.