Le 15 décembre 2022, le service statistique du ministère de l’Intérieur publiait les chiffres annuels en matière de violences conjugales pour l’année 2021. L’augmentation des violences recensées par les services est donc désormais à plus de 20%. Pour la première fois, la barre des 200 000 victimes recensées par les forces de l’ordre vient d’être franchie. À la hausse depuis 2017, cette tendance serait encore bien loin du nombre de victimes réelles selon l’enquête de victimation Genèse. Si l’on s’en tient à ces chiffres, les plaintes pour des violences physiques sur personnes de 15 ans ou plus dans le cadre familial sont ainsi passées de 100 500 en 2017 à 157 500 en 2021, soit une augmentation de 57%.
Être mère après #MeToo, c’est pouvoir parler plus facilement des violences intrafamiliales ?
Pourtant, ces chiffres en hausse ne sont pas forcément synonymes de mauvaise nouvelle, mais sont plutôt le signe d’une libération générale de la parole suite au mouvement #MeToo en 2017. Car le mouvement a bel et bien aidé les femmes à mieux identifier les violences intrafamiliales, explique Aurélia Blanc, journaliste et autrice de deux ouvrages sur la maternité et le féminisme, intitulés Tu seras un homme féministe mon fils et Tu seras une mère féministe :
« Aujourd’hui, c’est souvent au début de l’expérience de la maternité, autrement dit lors de la découverte des inégalités genrées et/ou des premières violences conjugales – car c’est généralement à ce moment-là, au début de la grossesse, qu’elles débutent -, que les femmes entre 25 et 40 ans se découvrent féministes. Dans le même temps, une fragilisation économique intervient. En effet, 30% des mères sont à temps partiel dans les entreprises, et ce chiffre frôle les 50% lorsqu’elles ont trois enfants. C’est donc au moment de la maternité qu’elles sont imputées de leurs revenus. Une fragilité économique qui participe à mettre en place un rapport de domination, qui s’amplifie davantage au moment de la séparation, si séparation il y a. »
Pourtant, bien que la discussion autour des violences intrafamiliales ait évolué à l’échelle de la société et que celles-ci soient de plus en plus faciles à déceler, pour les mères, la démarche de les dénoncer officiellement n’est pas toujours des plus simples, surtout en cas de séparation. En cause, la forte probabilité de ne pas être crue par les institutions ou par l’entourage, et ce même dans le cas de violences envers leurs enfants, poursuit l’experte :
« Si ces mères dénoncent les violences de la part de leur propre conjoint sur les enfants, on remet automatiquement leur parole en question, les soupçonnant ainsi de vouloir se venger de leur ex-conjoint, ou carrément de couper le lien père-enfant. D’ailleurs, j’évoque dans mon dernier livre ces mères qui ne sont pas entendues et qui se retrouvent dans une position délicate, celle de devoir donner leur enfant le week-end à leur père alors que l’enfant témoigne des violences, sans pour autant pourvoir les dénoncer. Et là, c’est la double peine : si elles parlent, elles prennent le risque d’être soupçonnées d’être des manipulatrices. Si elles décident d’agir par elles-mêmes en ne présentant par leur enfant au moment de la garde par l’autre parent, elles prennent le risque de se voir retirer leur enfant. Si elles ne font rien, elles sont tout simplement complices de violences intrafamiliales. »
La situation peut donc sembler sans issue, malgré une vigilance plus grande depuis #MeToo, et des livres-témoignages hypermédiatisés (comme La Familia Grande de Camille Kouchner sur l’inceste).
#MeToo, un bon début, mais pas pour toutes
Si #MeToo a effectivement permis une meilleure identification des violences intrafamiliales par les femmes et en patrie une libération de la parole, tout le monde n’a pas été touché. C’est en tout cas ce qu’a pu analyser Pierre-Guillaume Prigent, docteur en sociologie et enseignant au Laboratoire d’Études et de Recherche en Sociologie (LABERS) à l’Université de Bretagne occidentale :
« #MeToo a surtout été l’occasion d’une dénonciation de masse dans le milieu culturel et intellectuel. Pour ce qui est du reste de la population, le chemin est encore long. C’est pourquoi la création d’organismes tels que la Ciivise [Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants] est primordial pour faire du sujet des violences intrafamiliales un sujet de société à part entière »
Un avis partagé par Aurélia Blanc, qui reconnaît également qu’il est encore aujourd’hui très difficile de faire reconnaitre les violences intrafamiliales dans un système patriarcal :
« Jusque dans les années 70, l’autorité parentale revenait au père et au père uniquement. Cette primauté du pouvoir du père est encore très ancrée dans nos mentalités, surtout en Europe. Notre contexte social, historique et juridique a donné pendant plusieurs décennies les pleins pouvoirs au père au détriment des épouses, des femmes en général et des enfants. »
Un travail à faire sur nos représentations et sur la formation des professionnels
Un travail reste à faire, donc, et en particulier sur notre système et nos représentations. Car prendre conscience que nous vivons dans un système patriarcal ne suffit pas à en annuler la domination. C’est d’autant plus difficile que la domination des hommes sur les femmes est assimilée, normalisée, très tôt, rappelle Aurélia Blanc :
« Il n’y a qu’à écouter nos ados, qui ont déjà beaucoup de choses à dire à ce sujet. En effet, ce sont aujourd’hui 6 ados sur 10 qui témoignent de violences au sein de leur couple adolescent. »
Autre erreur encore très courante aujourd’hui, celle de dissocier violences conjugales et violences intrafamiliales. Comme l’ont observé des spécialistes de la question, elles vont généralement de paire. Car un mari violent sera forcément un père violent, même si cette violence s’exerce de façon différente. Une idée encore aujourd’hui difficile à assimiler, du côté de la population, mais également du côté des professionnels de la justice, qui ont tendance à se montrer plus indulgents envers les pères qu’envers les mères. Derrière ce traitement de faveur, trône l’idée qu’un enfant aurait besoin d’un père et d’une mère pour pouvoir se construire. Or, mieux vaut un père absent qu’un père violent, conclut Aurélia Blanc :
« Il faut se sortir de la tête qu’un enfant sera épanoui avec un papa et une maman. Un parent violent, que ce soit physiquement, psychologiquement ou sexuellement, est un élément destructeur pour l’enfant. Ça, les juges, au moment d’établir la garde des enfants, ont encore du mal à le prendre en compte. C’est pourquoi il est urgent de former tous les professionnels qui sont amenés à traiter ces violences afin de vraiment faire bouger les choses en profondeur ».
À lire aussi : Pourquoi les violences conjugales augmentent après Noël ?
Crédit photo de Une : Syda Productions via Canva.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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Les Commentaires
Cela dit, en dépit de nombreux témoignages sur l'inceste, j'ai toujours l'impression qu'il y a une sorte de Taboo quand même. L'affaire Richard Berry, mais même l'affaire Duhamel, c'est vraiment des faits prescrits finalement.
Édit: l'affaire PPDA sous-entend aussi pas mal de choses s'agissant un éventuel crime incestueux et les médias ne disent pas un mot à ce sujet. Je sais qu'il y a le risque d'un procès en diffamation et peut-être que je me trompe. Mais les passage que PPDA a écrit sur sa fille laisse percevoir minimum un climat incestueux dans sa famille: Extrait passages de livre
Dans cet Article les Inrocks mentionné les pires passages sexistes des livres de PPDA tout en occultant ce qu'il écrivait sur ses propres filles. Donc, il y a bien un taboo.