Le sujet des violences faites aux enfants est encore tabou en France. Pourtant, il s’agit d’un phénomène bien plus fréquent qu’il n’y paraît, et qui touche toutes les catégories sociales. Selon une étude réalisée par Harris interactive pour l’Enfant bleu, une association qui lutte contre les violences faites aux enfants, 44% des Français soupçonnent au moins un cas de maltraitance pendant l’enfance dans leur entourage (actuel ou passé).
Aussi, 24% des Français déclarent avoir été victimes de maltraitances graves au cours de leur enfance, dont 17% de maltraitances sexuelles. Malgré ces chiffres alarmants, Laura Morin, directrice nationale de l’Enfant bleu, explique que le contexte concernant les violences faites aux enfants a tout de même évolué depuis #Metoo :
« Selon l’étude, les Français estiment que la médiatisation de plus en plus fréquente des cas de violences permet la libération de la parole sur le sujet, celle des victimes et des témoins.
Pourtant, même si un tiers des Français estiment avoir été confrontés à un cas de maltraitance d’enfant dans leur entourage, souvent avec des soupçons plutôt que des certitudes, les appels envers des associations comme la nôtre sont loin d’être systématiques »
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Les violences faites aux enfants, un phénomène mal représenté
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les violences faites aux enfants ne sont pas des phénomènes isolés, mais semblent plutôt révéler qu’il s’agit de réalités bien ancrées. Alors, qu’est-ce qui nous empêche, lorsqu’on soupçonne une maltraitance faite à un enfant, de contacter le 119, le numéro national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger ?
Parmi les causes évoquées par Laura Morin, il existe notamment une hiérarchisation des violences bien ancrée dans nos imaginaires, qui empêcherait parfois de mesurer la gravité de celles-ci :
« Il existe 5 types de violences : les violences sexuelles, physiques, psychologiques, morales, et la négligence. Les violences sexuelles et physiques sont considérées comme très graves par la grande majorité. La ligne est plus floue quand il s’agit de violences psychologiques, morales, ou encore de négligence.
Pourtant, même si elles ne sont pas visibles à l’œil nu ou qu’elles peuvent paraître moins importantes que les violences physiques ou sexuelles, elles sont tout aussi désastreuses »
L’étude montre également que les Français hiérarchisent les violences en amoindrissant à tort certaines. À titre d’exemple, seulement 21% des Français qui ont répondu à l’étude considèrent que gifler ou fesser un enfant est une violence très grave, quand donner un coup de pied est jugé gravissime par 83% d’entre eux, alors qu’il s’agit dans les deux cas de violence physique.
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L’autre question épineuse quand on parle de violences, et notamment de violences psychologiques, c’est la difficulté à délimiter ce qui relève de la violence et ce qui relève de l’autorité parentale, explique Mélanie Dupont, docteure en psychologie exerçant auprès d’enfants et d’adolescents victimes de violences physiques, psychologiques, sexuelles, et de leurs familles à l’Unité Médico-Judiciaire de l’Hôtel-Dieu à Paris :
« La question de la délimitation des violences est au cœur de la problématique, surtout quand il s’agit de violences psychologiques et morales. Où commencent-elles ? Qu’est-ce qui relève de la violence et qui n’en relève pas ? Certains mots ou comportements peuvent être perçus comme violents ou non selon les personnes, et nous pourrions débattre sur le sujet pendant des heures.
Ce qui compte, c’est le ressenti de la personne qui reçoit ces paroles ou subit ces violences. Alors, lorsqu’on a des soupçons, mais qu’on a peur de se tromper, je conseille de se fier à son instinct : si on sent que quelque chose cloche, c’est sûrement que ça ne va pas. Il faut se faire confiance, et ne pas hésiter à appeler le 119. Pour rappel, en cas d’urgence vitale, il faut évidemment contacter les pompiers ou le Samu directement ».
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Face aux hésitations, l’appel du devoir
Signaler une violence faite à un enfant n’est pas un acte anodin. En effet, il peut être compréhensible de sentir quelques réticences, mais celles-ci sont en partie dues à la méconnaissance du parcours judiciaire enclenché par un signalement.
C’est ce qu’explique Régine Frémaux, bénévole au sein de l’association depuis 5 ans, qui accueille chaque jour au téléphone des personnes qui souhaitent signaler des violences :
« Nous ne pouvons pas nous baser sur les déclarations d’une personne pour mettre en place des mesures drastiques. Avant d’acter quoi que ce soit, il y a une enquête pour vérifier les faits, et la confidentialité est le mot d’ordre lors des premiers échanges. Chaque jour, de nombreuses personnes appellent. Ce n’est pas pour autant que chaque personne soupçonnée de commettre des violences faites à un enfant est directement sanctionnée. C’est pour ça que je conseille toujours de signaler quand on a un doute, même si ces doutes s’avèrent par la suite non fondés. Signaler des violences faites à un enfant, ce n’est pas une option qui relève d’un jugement subjectif. C’est un devoir« .
Signaler une violence faite à un enfant n’engendre pas non plus un retrait automatique de l’enfant à sa famille, tient à rappeler Laura Morin :
« Dans un premier temps, s’il s’agit de violences avérées, l’enfant est bien évidemment pris en charge pas un psychologue, et les parents sont également accompagnés par l’assistance sociale. Le but est de mettre en place des solutions qui puissent garantir le bien-être de l’enfant, ce qui ne passe pas toujours par un placement dans un foyer ou dans une autre famille.
Parfois, les parents ont simplement besoin d’aide extérieure pour pouvoir gérer la situation. Le retrait d’un enfant à sa famille est un cas rare, et il y a tout un tas de dispositifs à mettre en place avant d’en arriver à cette solution. »
Le signalement, un acte qui peut sauver des vies
Selon la thérapeute, ce qui compte avant tout dans le processus de signalement, c’est le symbole de l’acte et l’écoute qui va être offert à la victime. En effet, savoir que quelqu’un a pris la peine réagir face à une situation d’injustice subie joue un rôle majeur dans le processus de guérison d’un enfant, au même titre que l’écoute attentive des psychologues :
« Savoir qu’une injustice dont on a été victime a été reconnue, signalée et traitée, même si la personne n’a pas été punie par la justice, c’est un pas énorme dans la vie d’un enfant victime. En effet, il ne se construira pas dans l’idée qu’il ne peut faire confiance à personne, et que tous les êtres humains sont malveillants.
Écouter un enfant et lui venir en aide, c’est lui montrer que, même si sa famille est malveillante, ce n’est pas le cas de tous les adultes sur terre, et qu’il peut se reposer sur des personnes extérieures. Et ça, c’est primordial pour sa construction en tant qu’être humain. »
L’écoute joue donc un rôle essentiel dans la vie des victimes, même après des années, alors que personne n’a su venir en aide au moment des faits. L’actrice et autrice, Kamelia Pariss, a été victime de violences de la part de ses parents pendant son enfance.
Elle s’est exprimée publiquement sur les faits, notamment au moment du #metooinceste, et nous confirme les propos de Laura Morin :
« Quand j’étais enfant, beaucoup d’adultes auraient pu voir ce qu’il se passait à la maison. Pourtant, personne n’a rien signalé. Je comprends les réticences de la part de mes oncles et de mes tantes : les violences faites aux enfants, et notamment l’inceste, sont des problèmes générationnels dans ma famille.
Je comprends donc que certains membres soient toujours dans le déni, et donc dans l’incapacité de bouger. Mais en ce qui concerne par exemple notre médecin de famille, le personnel de l’éducation nationale, j’ai plus de mal à comprendre pourquoi personne n’a rien dit. Dans mon cas, ça aurait tout changé« .
Et même si, dans une situation extrême comme celle que Kamelia Pariss, la meilleure chose à faire aurait été de retirer sa garde à ses parents, la jeune actrice avoue qu’il aurait peut-être s’agit de la meilleure solution pour elle. Du moins, avec le recul :
« J’aimais profondément mes parents, de façon inconditionnelle. J’avais beaucoup de compassion pour eux et je voulais les aider. Je ne me doutais absolument pas que ce que je vivais n’était pas normal. Alors, si on m’avait retiré à ma famille, cela aurait été dramatique pour l’enfant que j’étais à l’instant T. Mais cela m’aurait permis de me construire beaucoup mieux en tant qu’adulte. Cela m’aurait évité un bon nombre de traumas contre lesquels je lutte encore aujourd’hui. »
En France, des associations comme l’Enfant Bleu luttent contre l’enfance maltraitée, notamment en accompagnant les personnes témoins de violences faites aux enfants. Elles accompagnent aussi les enfants victimes, y compris les adultes qui n’auraient pas été pris en charge au moment des faits.
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L’accueil téléphonique est ouvert du lundi au vendredi de 10h à 17h. En cas d’urgence, il convient d’appeler le 119, le numéro d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger. En cas d’urgence vitale, composez le 15.
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Les Commentaires
Pour ce que tu décris sur l'ASE ça ne change rien au fait que c'est catastrophique et qu'il faudrait une réelle action politique. Mais bon on a pas toustes les moyens de changer le monde, alors que passer un appel c'est à la portée de la majorité des gens!