Invitée le 5 mai dernier sur le plateau de Public Sénat, la ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Lonvis-Rome, a évoqué la question du contrôle coercitif, affirmant son souhait que ce dernier soit mieux pris en compte par la justice. L’exécutif réfléchirait d’ailleurs à l’inscrire dans la loi afin de renforcer son arsenal législatif en matière de violences faites aux femmes. « Dans les féminicides que j’ai jugés, dans 9 dossiers sur 10, je retrouvais systématiquement ce mécanisme. Il est important de bien l’identifier », rapporte la ministre à nos confrères de Public Sénat. Mais de quoi parle-t-on exactement ? On fait le point.
Qu’est-ce que le contrôle coercitif ?
L’ONG Women for Women France revient sur sa définition communément admise : le contrôle coercitif est « un acte délibéré ou un schéma comportemental de contrôle, de contrainte ou de menace utilisé par un individu contre une personne, un/e partenaire intime ou un/e ex-partenaire, dans le but de la rendre dépendante, subordonnée et/ou de la priver de sa liberté d’action ». Plusieurs stratégies entrent en jeu : l’intimidation, l’humiliation, la surveillance, la manipulation, l’isolement…
Comme le détaille l’ONG, les violences peuvent-être « psychologiques, physiques, sexuelles, émotionnelles, administratives et/ou économiques ». C’est un contrôle qui s’inscrit dans le temps et la répétition. Il se distingue ainsi d’agressions isolées.
D’où vient ce terme ?
Dans un article du Monde, publié le 3 mai 2023, la chercheuse en psychologie sociale à l’université Paris-Nanterre Andreea Gruev-Vintila retrace l’origine du concept de contrôle coercitif jusqu’aux camps de prisonniers de la guerre de Corée, au début des années 50.
Des soldats américains ont été capturés, emprisonnés puis libérés. L’US Air Force s’est aperçue qu’ils avaient collaboré avec l’ennemi sans avoir été torturés physiquement. L’armée a fait appel au chercheur en psychologie sociale Albert Biderman pour comprendre. En est ressortie une liste de méthodes de coercition : isoler la victime, monopoliser la perception, induire l’épuisement, présenter des menaces, montrer des indulgences occasionnelles, démontrer la toute-puissance du pouvoir, dégrader la victime et exiger des actions stupides et insensées.
Bien des années plus tard, en 2007, un autre chercheur américain, Evan Stark, transpose ce concept aux couples et aux familles. Le concept de contrôle coercitif, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est né. Comme le rapporte le Monde, Evan Stark voit dans ce phénomène « le meilleur facteur prédictif de féminicide. La France manque encore de recherches pour le documenter, mais, en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, une étude l’a fait : tous les auteurs des 111 homicides commis par des hommes sur leur partenaire entre 2008 et 2016 avaient des comportements coercitifs et contrôlants avant leur passage à l’acte meurtrier ».
Quelle différence avec la notion d’emprise ?
Si les deux mots sont souvent utilisés indifféremment (à tort), l’emprise est en réalité un aspect du contrôle coercitif et désigne ce que vit la victime, à savoir « l’influence ou la domination d’une autre personne ».
Est-il reconnu juridiquement en France?
Le contrôle coercitif n’est pas encore entré dans la loi mais de nombreuses associations et avocats réclament qu’il soit reconnu comme une infraction à part entière. Depuis 2010, les violences psychologiques au sein du couple ayant pour conséquence de « dégrader la qualité de la vie et de provoquer une altération de l’état de santé physique ou mentale » sont une infraction pénale en France. La notion d’emprise a aussi été incluse dans la loi en 2020.
Interviewée par nos confrères de France Info, Me Pauline Rongier revient sur ce que permettrait la reconnaissance du contrôle coercitif :
Jusqu’ici plusieurs infractions existent : les violences psychologiques, le harcèlement moral, les violences habituelles ou sexuelles. Mais rien selon l’avocate, qui ne permette de saisir la complexité et l’ensemble de ces stratégies de contrôle. Même chose pour la notion d’emprise, inscrite dans la loi en 2020, mais qui se focalise sur les victimes et pas sur les stratégies de l’auteur, regrette Pauline Rongier, comme par exemple quand un mari confisque les papiers d’identité ou la carte bancaire de son épouse.
« Violences conjugales : le « contrôle coercitif », une notion clé pour lutter contre l’emprise de certains hommes sur leur compagne », France Info, 4 mai 2023
La criminalisation du contrôle coercitif permettrait ainsi de « changer la manière dont les autorités comprennent et répondent à la violence de genre » et « mieux tenir les auteurs pour responsables, en se concentrant sur la violence conjugale en tant que schéma de violence, plutôt qu’en tant qu’incidents isolés » ajoute Women for Women France.
Certains pays comme l’Écosse, le Pays de Galle, l’Angleterre, l’Australie, la Belgique, le Danemark, l’Irlande ou encore le Canada, le reconnaissent déjà dans la loi.
La notion de contrôle coercitif ne fait cependant pas l’unanimité. Certains avancent par exemple que « légiférer sur l’infraction du contrôle coercitif peut également encourager les forces de l’ordre à attendre l’émergence d’un modèle de violence avant de procéder à une arrestation, plutôt que d’agir sur un incident isolé » ou encore de « condamner moins pour des faits qui, pris séparément, auraient été condamnés davantage ».
Existe-t-il des chiffres sur le sujet ?
Selon un rapport d’Evan Stark, publié en 2012, entre 60 et 80 % des femmes qui viennent chercher de l’aide pour des violences conjugales ont subi un contrôle coercitif.
Par ailleurs, comme le rapporte Women for Women France, « un examen des homicides liés aux violences conjugales en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, entre mars 2008 et juin 2016, a révélé que sur 112 homicides, 111 comportaient des tactiques de contrôle coercitif par l’agresseur sur sa victime avant de l’assassiner ».
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Je pense pour énumérer :
- dévalorisation et dénigrement
- harcèlement et surveillance
-Jalousie et possessivité
- Insultes et menaces
- Intimidations et isolement social
Et il y en a plein d'autres.
Il est assez important de le mettre en lumière