Enfin des pistes d’améliorations concrètes pour faciliter l’accueil des victimes des violences conjugales dans les commissariats ?
C’est le bilan d’un projet d’ampleur mené de mai 2021 à mai 2022, financé par le Conseil régional d’Île-de-France, qui a été présenté en quelques chiffres ce lundi 10 octobre. Un « projet pionnier » comme le décrit Marie-Pierre Badré, présidente du centre Hubertine Auclert, organisation féministe francilienne qui est à l’origine du dispositif.
157 formations ont été animées durant un an et ont permis de toucher 1609 membres de la police nationale (ils représentent les trois quarts des personnes formées), gendarmerie nationale et des polices municipales sur toute l’Île-de-France.
Un projet qu’elle espère source d’inspiration pour engager « une révolution politique, budgétaire et sociétale » dans la lutte contre les violences conjugales.
Le centre Hubertine Auclert a constaté dans un premier temps que les policiers et gendarmes qui reçoivent ces formations y participent volontairement dans 51,97% des cas. Ils sont 45,66% à reconnaître ne pas avoir choisi d’en bénéficier. Toutefois, à la sortie du module, la formation est plébiscitée de façon quasi unanime, tant sur le contenu que sur les outils présentés.
Au cours de la présentation du bilan de cette première année de formations effectuées auprès des forces de l’ordre, plusieurs intervenantes ont pu apporter leurs retours d’expérience, des constats satisfaisants sur le terrain, mais aussi là où des améliorations vont être nécessaires.
Ces formations abordent différentes thématiques spécifiques à la question des violences conjugales, décrit Anne-Charlotte Jelty, formatrice à La Maison des femmes de Saint-Denis : juridiques, psychologiques, médico-sociales, mais aussi sociologiques. Un moyen de faire comprendre « l’ampleur du phénomène » et de faire réaliser aux agents « l’aspect systémique des violences faites aux femmes », de travailler à déconstruire la culture du viol, les biais racistes et sexistes qui entourent ce sujet.
Signe d’une nécessaire amélioration, Sonia Pino, qui est psychologue et formatrice à l’association Elle’s Imagine’nt ,souligne que les groupes de parole auxquelles participent les femmes dans sa structure abordent moins les violences conjugales subies que les difficultés rencontrées lors des procédures judiciaires. Comme si une seconde vague de violences venait s’ajouter à celles déjà vécues.
Les freins d’un bon accueil
C’est la première étape : passer la porte d’un commissariat. Et après ? La confidentialité sera-t-elle garantie pour déposer plainte ? Les agents plaident parfois pour de simples contraintes matérielles qui ne permettent pas de procéder à un accueil à part et plus sécurisant pour la victime.
Des participantes à la présentation du bilan évoquent le dispositif d’accueil différencié pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales repérable par un code couleur, expérimenté en juillet 2021 (et qui avait fait beaucoup réagir) et actuellement en cours de développement, ou encore la possibilité d’un interphone pour pouvoir s’adresser directement à un agent spécialisé dans le recueil de ce type de plainte.
Une autre participante invite aussi à davantage mettre en avant la plateforme de signalement en ligne des violences sexistes et sexuelles, accessible aux victimes mais aussi aux témoins, qui permet d’être rappelée et reçue directement par un fonctionnaire de police.
Reste que, comme le rappelle Anne-Charlotte Jelty, ces moyens ne remplacent pas « les êtres humains du terrain qui sont formés à ces questions » et qu’ils excluent de fait des personnes déjà vulnérables, celles qui ne parlent pas français ou qui ne savent pas lire, par exemple : « Il faut que ce soit un plus, mais ça ne remplace pas des postes financés. »
Déconstruire des préjugés sur les victimes
Une victime incohérente ou détachée, dont le discours est décousu, qui ne se souvient pas de certains détails, qui éclate de rires en racontant des violences, qui s’effondre face à un détail anodin, qui finit par se rétracter… Autant de signaux que les policiers et gendarmes ont appris à identifier comme des manques de crédibilité d’un témoignage, rapporte Julia Poirier, juriste et formatrice au CIDFF de Paris :
« C’est parfois déstabilisant pour certains professionnels de se rendre compte en formation qu’ils leur manquaient des informations pour comprendre les spécificités du psychotrauma. »
C’est notamment la découverte des symptômes du psychotrauma qui a été marquante pour les participants à la formation, confirme Anaïs Juhe, assistante sociale et formatrice, qui note néanmoins des difficultés à reconnaître le caractère systémique des violences conjugales de la part des agents.
Il demeure en outre des angles morts et des victimes très vulnérables qui restent non reconnues ou éloignées des dispositifs. Il faut mieux anticiper la diversité des victimes de violences conjugales, insiste Julia Poirier, qui pointe une impréparation face à certains cas de figures : les jeunes filles mineures victimes de violences conjugales, les femmes en situation de handicap, les personnes LGBTQIA+, mais aussi les personnes en situation irrégulière. Des impensés qui empêchent une bonne prise en charge de ces victimes.
Une année prometteuse, et après ?
Début d’année 2022, un rapport du centre Hubertine Auclert montrait à quel point l’accueil des victimes de violences conjugales dans les commissariats d’Île-de-France laisse à désirer.
Et maintenant ? Si les formations sont largement plébiscitées par celles et ceux qui en bénéficient et construisent un solide réseau d’interlocuteurs associatifs et locaux pour mieux orienter, héberger et accompagner les victimes, il reste des points à améliorer.
Des formations continues, c’est bien, mais quid de la formation initiale ? Pour éviter d’ancrer de mauvaises pratiques et des habitudes qu’il faudra ensuite déconstruire, les intervenantes préconisent des formations dès l’école de police sur ce sujet.
Les équipes de nuit sont aussi un public difficile à faire venir en formation, notamment en raison du manque d’effectifs, alors qu’elles sont elles aussi en contact direct avec les victimes et auraient elles aussi besoin d’accéder à de nouvelles connaissances sur la prise en charge des violences conjugales. Même constat du côté des magistrats, assurent d’autres responsables associatives, pour qui une déconstruction de certains préjugés seraient aussi nécessaire dans ce corps de métier.
À lire aussi : Porter plainte en ligne, c’est désormais possible grâce à cette initiative féministe
Crédit photo : PIxabay via Canva
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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