Le 16 décembre 2012, Jyoti, 23 ans, une étudiante en médecine tout juste diplômée, décide d’aller voir un film au cinéma accompagnée d’un ami. Ensemble, ils vont voir L’Odyssée de Pi. Vers 21 heures, ils prennent ensemble un bus privé qui les rapproche de leur domicile.
Dans le bus, ils sont pris à partie par quatre hommes majeurs et un autre mineur, qui demandent à l’ami de Jyoti ce qu’ils font tous les deux dehors, si tard. La jeune femme réplique, les cinq hommes décident donc de lui donner une leçon. Passée à tabac et violée, Jyoti est ensuite jetée hors du bus sur le bas-côté de la route, avec son ami. Ils seront découverts par un chauffeur, qui préviendra les secours.
Dès le lendemain, les étudiant•e•s de l’université que fréquentait Jyoti se soulèvent, et lancent un mouvement de protestation de très grande ampleur.
Jyoti devient Nirbhaya, « celle qui n’a peur de rien ». Mais ses agresseurs l’ont laissée dans un tel état que les médecins ne parviendront pas à la sauver. Elle meurt à l’hôpital de Singapour le 29 décembre 2012.
Son sort laisse l’Inde dans un tel émoi que la peine de mort sera requise contre les quatre hommes responsables de l’agression. Le cinquième homme étant mineur, il n’a été condamné qu’à une peine de prison, et devrait être libéré en décembre 2015.
Leslee Udwin, une documentariste britannique, s’est rendue en Inde pour interroger les parents de Jyoti, mais aussi ses agresseurs, en attente de l’exécution de leur peine (car ils ont fait appel de la sentence).
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India’s Daughter, censuré en Inde
Le documentaire de Leslee Udwin, India’s Daughter, devait être diffusé le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Cependant, le gouvernement indien a empêché sa diffusion à la télévision. La BBC l’a mis sur YouTube, mais une fois encore, les autorités indiennes sont intervenues pour qu’il soit censuré sur le territoire indien.
L’Inde aurait-elle à ce point peur de regarder sa société en face ? En effet, India’s Daughter analyse la culture du viol dans la société indienne. Les accusés, mais également leurs avocats, tiennent des propos à la limite de l’insoutenable.
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Attention, ces propos sont extrêmement choquants :
« Les filles sont bien plus responsables du viol que les garçons. Les « filles bien » ne traînent pas dans la rue tard le soir. Les garçons ne sont pas égaux, les femmes doivent s’occuper des tâches ménagères et de la maison, elles ne doivent pas sortir dans les bars et les discothèques. »
(Mukesh Singh, l’un des accusés)
« Si j’avais une fille, et qu’elle se déshonorait de la sorte, en sortant avec un garçon le soir, je la prendrais moi-même, je l’emmènerais dans notre ferme, et devant toute la famille, je l’arroserais d’essence et je lui mettrais le feu. »
(AP Singh, l’un des avocats des accusés, qui dans le documentaire, persiste et signe : « oui, je maintiens ma déclaration ».)
Les autorités indiennes affirment que c’est à cause de l’interview de Mukesh Singh qu’elles ont demandé la censure de ce documentaire car la cour suprême doit encore rendre sa décision en appel au sujet de cette affaire.
L’Inde face à elle-même ?
Le viol barbare dont a été victime Jyoti a provoqué une réflexion nationale sur la place des femmes dans le pays. Cette affaire a révélé à quel point la situation des femmes est préoccupante en Inde.
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La ligne de défense des accusés peut nous paraître, à nous, féministes occidentales, absolument intenable, et pourtant,
ce sont des idées reçues assez largement partagées dans la société indienne, comme l’a montré Martin Weill, envoyé spécial du Petit Journal à New Delhi.
« Il y a un viol toutes les 20 minutes en Inde, et toutes les quatre heures à New Delhi, la capitale. »
Un micro-trottoir effarant, qui devrait choquer les consciences, toutes les consciences : le discours des hommes interrogés, pour être extrême, repose pourtant sur la même logique que ceux qui accusent certains styles vestimentaires, certains comportements suggestifs de provoquer les viols.
C’est le même raisonnement. Il consiste à faire peser sur la victime une part de la responsabilité de l’agression. Si ce schéma vous est insupportable dans la bouche de ces Indiens qui parlent des millions de viols qui sont commis chaque année en Inde, il devrait vous être tout aussi insupportable à l’idée de servir de justification aux milliers de viols commis chaque année en France.
Ce n’est jamais la faute de la victime. Et autre élément intéressant que révèle le documentaire : il y a un déficit de femmes en Inde (moins prononcé que celui qui existe aujourd’hui en Chine), mais ce n’est pas un prétendu « besoin sexuel » qui motive les viols dans ce pays. De l’aveu même des agresseurs, et de leurs défenseurs, c’est une question de principe, de culture, une « leçon » donnée à celles qui voudraient occuper une place autre que celle qui leur est réservée dans la société indienne.
Celles qui ne veulent pas vivre sous la protection, ou plutôt sous la tutelle d’un homme, leur père, leur oncle, leur frère, leur mari. Celles qui veulent pouvoir sortir de chez elle après le coucher du soleil sans risquer leur vie.
India’s Daughter révèle l’ampleur d’une culture du viol solidement ancrée dans la société indienne, mais également la colère des femmes, et des jeunes, qui s’insurgent contre cet ordre établi.
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Mais je vous laisse vous faire votre propre idée en regardant India’s Daughter, le documentaire de Leslee Udwin sur le viol collectif barbare qui a coûté la vie de Jyoti, 23 ans.
https://vimeo.com/121723043
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Les Commentaires
De mes amies indiennes que j'ai pu avoir là bas, il n'y en a PAS une qui n'ait pas avoué avoir deja subi des attouchements (ou pire...) la plupart venant de leurs proches. C'est complètement aberrant, d'autant plus que j'étais dans un cadre d'expat et que mes amis indiennes étaient pour la majeure partie issue de familles "modernes".
Je pense que la réalité des chiffres fait encore plus peur.
En tant que blanche, je pense qu'on est un peu plus en "sécurité", mais ca n'empêche pas de subir tous les jours des regards insistants, des mains baladeuses (le wagon pour femmes est effectivement une nécessité), des photos prises à son insu (je ne compte plus le nombre de téléphones que j'ai arraché de la main d'indiens qui essayaient de me prendre en douce). On se sent vraiment comme de la viande, il y a vraiment un gros gros travail à faire dans la culture du pays (surtout le Nord).
Dans le genre histoire à vomir du pays, il n'y a pas longtemps, dans je ne sais plus quel village, une femme s'était faite violer par les membres de son village par "punition" pour avoir eu des rapports sexuels avec son petit ami hors mariage. Voilà voilà...
(edit: le lien: http://www.lemonde.fr/asie-pacifiqu...ndamnee-a-un-viol-collectif_4353582_3216.html)