J’avais seize ans, et j’étais une jeune fille qui aimait énormément sortir. Un peu désorientée, car sans relation avec ma mère et un père bien trop absent. Alors il fallait faire avec et je devais régulièrement m’en sortir seule. Je me réfugiais alors dans les virées avec mes amies, avec des petits copains. J’étais peu souvent à la maison pour ne pas ressentir l’absence de mon père, et je ne me sentais jamais chez moi, où que j’aille. J’avais de mauvaises fréquentations…
Un ex un peu bizarre
À la mort de mon meilleur ami (qui s’est suicidé), j’ai vraiment commencé à mal tourner, à m’entourer de gens qui profitaient de moi, qui ne m’étaient pas bénéfiques du tout, j’étais malheureuse, je me sentais misérable. Puis j’ai rencontré un garçon, on est sortis ensemble pendant deux ou trois mois et on s’est séparés. C’était un drôle de gars. Il fumait beaucoup de joints, buvait énormément, l’archétype du sale type. Je ne me souviens plus vraiment pourquoi notre relation s’est terminée, mais c’était définitivement mieux comme ça. Et quelques mois plus tard il me recontacte, prétend vouloir qu’on reste en bons termes, qu’on soit amis, il veut que je vienne passer la soirée chez lui ; me promettant une soirée film et pop corn, rien de bizarre.
J’arrive sur place, et à ma grande surprise il n’est pas tout seul. Il y a quatre copains à lui. J’essaye de me rassurer, après tout je ne suis pas une poule mouillée. Je me donne une contenance, mais quand je peux lui parler en aparté je l’interroge sur la présence de ses amis ; il m’assure qu’ils ne resteront pas. Me voilà rassurée, les plans n’ont pas changé, rien de flippant en vue.
On va se poser dans un parc à deux pâtés de maison de chez lui, ses potes et lui traînent sur la plaine de jeu, ils ouvrent une bouteille de vodka ; quand on me tend un verre en plastique, je me contente de dire merci. Je renverse discrètement mon verre, je ne suis pas à l’aise à l’idée de boire avec des inconnus. Ils se passent un joint, je décline l’invitation, prétendant avoir déjà assez bu et ne voulant pas mélanger. Deux heures se sont déjà écoulées. On retourne chez mon ex-copain, et l’un des gars s’en va. On se retrouve à quatre.
Tout bascule dans l’horreur
On arrive à l’appartement, sa mère est assise devant la télévision ; elle nous remarque à peine, on se dirige vers sa chambre et on s’y pose, je vois qu’ils traînent sur Internet, je ne fais pas réellement attention. Je commence à me sentir inquiète, mais j’essaye de me convaincre qu’ils vont bientôt partir et qu’on regardera ce film en se goinfrant de pop corn… Quand je relève les yeux vers l’ordinateur, ils sont sur un site pornographique. L’un d’eux se retourne vers moi et me dit : « Untel m’a dit que tu avais un piercing sur la langue à ce qu’il paraît c’est bien pour sucer, suce-moi ».
Au début je ne suis pas certaine de comprendre. Je rigole, persuadée qu’il doit s’agir d’une mauvaise blague. Mais quand je me retrouve plaquée au sol par ses deux copains et que mon ex m’agresse, je ne suis plus là. Je ne suis plus dans mon corps
. Je peux jurer que je ne suis plus dans mon corps, comme si j’étais en dehors de mon corps, comme si ce n’était plus mon corps. Je suis une toute autre personne…
Ils finissent par se désintéresser de moi…
Je n’ai jamais couru aussi vite, j’ai attrapé le plus d’affaires possible, je ne sentais plus mes pieds tant le bitume me brûlait, je ne sentais plus rien. Ce n’était plus mon corps. Je les ai entendus, au loin, m’injurier, me dire de revenir… Je me suis cachée dans la station de métro en attendant la première rame, je me souviens avoir fixé les rails longtemps, m’imaginant que je pourrais en finir maintenant. Je suis rentrée chez moi, je suis restée tout le reste du week-end dans ma chambre. J’ai arrêté de vivre. J’ai arrêté d’être moi-même.
La spirale infernale pour tenter de s’en sortir
Il m’a fallu deux mois pour commencer à mettre des mots sur ce que j’avais vécu, et quand j’ai pensé pouvoir me reconstruire, j’ai eu un appel étrange, une voix inconnue m’annonçant que mon ex-copain était séropositif. Je pensais pouvoir émerger… Je pensais pouvoir retourner à ma vie, mais tout espoir était mort. J’ai dû affronter mon père, qui m’a forcée à porter plainte, les policiers qui savaient qu’il était bien trop tard, ma mère qui ne me croyait pas, les prises de sang… Mon monde entier s’est effondré.
J’ai été diagnostiquée séronégative. Mais ça n’a pas soulagé ma souffrance : j’ai enchaîné les psychiatres, les médicaments pour me soigner, les tentatives pour en finir. Et ma vie sexuelle a empiré. Je suis rentrée dans un cycle d’autodestruction complète. J’avais un besoin irrépressible de reprendre le contrôle de mon corps. J’étais incapable d’avoir une relation stable, je sabotais tout, j’ai perdu tous mes amis, j’ai changé deux fois d’école… J’étais incapable de mettre des mots sur ma souffrance.
Parler, encore et encore
Aujourd’hui, j’ai vingt-deux ans. Et je suis en couple dans une relation sérieuse, avec quelqu’un qui m’aime et me respecte, mais je suis toujours en morceaux, en fond de moi. Ce qui fait que j’ai réussi à m’ouvrir à nouveau à une personne du sexe opposé, c’est que j’ai enfin réussi à mettre des mots sur ce qui m’est arrivée : j’ai été violée. Peu importe que j’ai crié ou non, peu importe que je me sois débattue ou non, je n’étais pas d’accord et on a abusé de moi, de mon corps mais aussi de ma force mentale. J’ai été détruite. Et six ans plus tard je cherche toujours à me reconstruire.
J’ai décidé que je ne devais pas laisser cette histoire me définir. Ceci dit j’ai retenue une chose terrifiante. Quand il vous arrive quelque chose comme ça, ça reste pour toujours, on n’oublie jamais vraiment. Alors les gens autour de vous, au début, vous entourent, mais à un moment ils oublient… Et pas vous. Pas moi. Je pense que c’est ce qui a été une des choses les plus difficiles : qu’on oublie que ça me faisait du mal.
Bref, tout ça pour dire : tant que tu le peux, mets des mots, exprime ta souffrance. Donne-toi du temps. Et ne laisse pas la souffrance te définir.
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Les Commentaires
J'avais juste aussi envie de répondre à une question que j'ai vu plus haut : pourquoi le viol serait-il pire qu'une agression "classique"?
En fait, je considère qu'une agression est déjà en soit quelque chose de traumatisant : quelqu'un, pour une raison très souvent inconnue, prend la liberté de nous faire du mal - et parfois même, retire du plaisir de ce mal qu'il nous fait.
C'est le cas dans les agressions sexuelles, et à plus forte raison dans les viols (qui est, disons, l'une des plus graves agressions sexuelles). Mais en fait, ce qui moi me ferait dire que c'est une agression "pire que les autres", c'est qu'elle dénature et abîme quelque chose de très beau à la base : le sexe, c'est une communion entre 2 personnes, un moment très fort partagé avec quelqu'un d'autre et source de plaisir voire de bonheur.
Dans une agression sexuelle, la victime n'est pas seulement violentée sur le moment, elle l'est après dans toutes ses relations futures, et elle risque d'avoir beaucoup de mal à retrouver cette chose très belle qu'est le sexe consenti - que ce soit au sein d'un couple ou non. Et même si c'est en partie vrai pour des agressions plus "classiques" (tous les contextes rappelant l'agression rappellent évidemment le traumatisme, et on peut donc avoir du mal à s'y confronter de nouveau et les apprécier), je trouve que dans le cas des agressions sexuelles, c'est une inversion tellement totale de ce que devrait être cet acte que ça donne vraiment la haine envers les agresseurs.