— Publié le 29 avril 2015
Je me suis toujours dit qu’à vingt ans, tout irait bien. Bah oui, la vingtaine me faisait rêver. Et surtout, c’était censé être le moment où le monde devait commencer à tourner rond et où j’arrêterais de douter de moi-même.
Mais voilà, j’ai vingt ans, et je doute encore, toujours, à jamais : je ne sais pas si je suis plus terrifiée par l’idée de devoir travailler ou de passer le reste de mes jours en cours, je change de projets tous les cinq jours au point où la question « Et donc, qu’est-ce que tu veux faire avec ce diplôme ? » est devenue mon pire cauchemar, et selon mon humeur du jour, ma conception de l’amour vacille entre tragédies shakespeariennes, hymnes Austeniens à la gloire de la femme ou fichues romcoms Hollywoodiennes aux happy ends horriblement cuculs.
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Comme vous pouvez le constater, je suis donc totalement et irrémédiablement foutue. Mes attentes sont irréelles, ma vision de l’amour est dictée par des principes fictionnels et je n’ai aucune idée de ce que je vais foutre de ma vie. Par conséquent, quand on me dit « Bienvenue dans la vingtaine, ça fait quoi d’avoir vingt ans ? », je n’ai qu’une envie c’est de répondre « Allez bouffer des Mikado et laissez-moi tranquille ! ».
Non.
Des doutes handicapants
Je n’ai jamais été une fille sûre d’elle ; moi j’étais celle qui s’efface, qui se trouve moche, qui doute tellement que c’est à se demander comment elle tient debout.
Je me rappelle encore de la première fois qu’un garçon s’est dit « amoureux » de moi. On avait onze ans, on était assis en cours d’histoire en attendant l’arrivée de notre prof tyrannique dont la réputation de Cruella d’Enfer faisait d’elle une des enseignantes les plus craintes de tout le collège, quand ce beau gosse s’est mis à réciter la liste des filles dont il était tombé amoureux pendant l’année (il était apparemment tombé amoureux tous les trois mois, tout à fait). J’étais la première de la liste. Quel honneur !
Je me suis dit que mon allure masculine, mon côté fan de sport et plus encline à traîner avec les garçons qu’avec les filles avait dû le troubler suffisamment pour lui plaire. Bref, j’avais passé les cinq minutes suivantes avec un sourire béat sur le visage. Étant déjà dotée d’une imagination dangereusement éloignée de la réalité et d’une capacité à inventer une multitude de scénarios en un temps record, je m’imaginais déjà au bord de la plage, les pieds dans le sable, main dans la main avec X, cet adolescent pré-pubère fan de surf, fier porteur d’une de ces célèbres mèches Zacéfronienne totalement irrésistible. Eh oui : je suis de cette génération, Summerland, High School Musical etc.
Le seul problème était qu’à cet âge-là, je détestais déjà la plage : j’étais (et suis encore) convaincue que le sable et la mer ne peuvent s’accoupler que pour créer un véritable monstre. Effectivement, le sable est presque plus pervers que le gars qui vous matte le cul tous les matins quand vous arrivez à la gare. Il se faufile dans chaque recoin de votre corps au point où, trois jours plus tard, vous vous retrouvez encore avec des grains de sable à des endroits totalement improbables.
Quant à la mer, pour moi c’est un magma de détritus plus repoussants les uns que les autres, rempli de petits êtres visqueux et sacrément dégueulasses. Renaud l’a dit avant moi, « les poissons baisent dedans » : alors franchement, la mer, je m’en passe très bien !
https://youtu.be/yIcp814ccN4
Du coup, en à peu près cinq minutes, mes rêves paradisiaques aux côtés d’un surfeur aux allures de super-héros se sont évaporés pour laisser place à un cauchemar fait de sable et d’eau salée. Rien de grave évidemment, puisque l’amour à onze ans ce n’est bien souvent pas très réaliste !
Mais bien que j’ai tout fait pour me convaincre que cette anecdote est totalement étrangère à la construction de ma personne, je dois avouer qu’elle marque le premier épisode de ma capacité à me convaincre que je ne suis pas « jolie ». L’image que j’avais de moi-même était bien loin des rêves paradisiaques que j’avais brièvement caressés.
Étant étonnamment douée dans l’art de la persuasion, on peut dire que j’ai eu du succès puisque, huit ans plus tard, j’ai toujours du mal à croire que quelqu’un puisse me trouver attirante. En même temps, ce n’est pas de ma faute : mon miroir, ce connard, a dû mal me renvoyer un reflet acceptable de mon visage… Et quand bien même il ferait un effort, je n’arrive pas à lui faire confiance.
Du coup, quand le garçon de ma classe de terminale que je trouvais extrêmement beau m’avoua par texto que mon béguin était largement partagé, un mois après le bac et une semaine avant que je ne quitte le pays pour mon prochain cauchemar, les États-Unis (c’est une autre histoire), j’ai fondu en larmes. Non, je n’étais pas triste d’avoir raté une occasion de rencontrer « le bon ». Désespérée ? Quand même pas !
J’ai fondu en larmes parce qu’avec un seul texto, je venais de me rendre compte que j’avais passé les huit mois précédents à me convaincre que ses longs regards, ses sourires, ses nombreux essais pour m’inclure dans toutes les conversations humainement possibles (même celles que j’essayais d’éviter à tout prix, en vraie introvertie que je suis) et ses petits gestes d’affection n’étaient que le fruit de mon imagination trop active.
En gros.
Tout ça m’a donc confirmé que je suis effectivement ma propre détractrice, celle qui me fout le doute en permanence parce que je ne suis pas assez ceci ou trop cela. Mais je trouvais du réconfort dans l’idée que ça disparaîtrait comme par magie le jour de mes vingt ans.
Cela peut sembler ridicule, mais j’ai en effet passé la quasi-totalité de mon adolescence à scander sans relâche que vingt ans était l’âge parfait, j’ai envié ma sœur d’y être passée quatre ans avant moi, j’ai fait des vœux pour me réveiller cinq ans dans le futur, j’ai imaginé ma vingtaine glorieuse et révolutionnaire, et je l’ai idéalisée comme une gamine idéalise une licorne ( c’est juste un cheval avec une corne, rien de grandiose). Cet âge était pour moi celui de la révolution, de la fin de l’adolescence complexée, le début d’une assurance mature et (r)assurée.
Eh bien non.
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Les canons de beauté et de féminité… et moi
J’ai vingt ans et cette abrutie de détractrice qui m’habite est toujours là. C’est elle qui fait que mon premier réflexe, quand je sens le regard d’un homme, est de me retourner pour vérifier que Kate Moss n’est pas magiquement apparue derrière moi. Bah oui, on ne sait jamais, peut être que des bombes atomiques se pavanent dans mon dos et se fondent dans la masse à chaque fois que je me retourne, telles de vraies sirènes qui jouent à cache-cache. Farfelue, certainement, mais je trouve cette explication plus plausible que d’accepter l’idée que quelqu’un puisse me trouver jolie.
En même temps, prêtons attention aux canons de beauté qui me sont jetés en pleine gueule depuis que je suis née. Oui, oui, je parle de cet idéal de féminité, irréaliste et stéréotypé. Cet idéal, j’ai beau essayer d’y adhérer (sans beaucoup d’efforts, je l’avoue), je n’y arrive pas.
Premièrement, j’ai les cheveux courts depuis que j’ai onze ans. Aujourd’hui, je le sais, j’en suis convaincu et fière, mes cheveux ne sont pas, comme a voulu le sous-entendre un macho au Starbucks, l’expression de mes opinions politiques, sociales, féministes, sexuelles ou autre, mais simplement un détail de ma personnalité.
Sauf qu’à treize ans, c’est difficile de se défendre, c’est difficile d’ignorer ces représentations faussées de la femme, c’est difficile de regarder tout ça avec un esprit critique, et c’est difficile de les envoyer valser. Du coup, à cet âge-là, mes cheveux sont devenus une source d’embarras ; le problème n’était pas que je ne les aimais pas puisque j’ai toujours adoré mes cheveux courts… mais sous la pression, j’en avais honte. J’en avais honte parce qu’à cause de ma coupe de cheveux et des vêtements que je portais, je n’étais pas considérée comme fille. J’étais un « garçon manqué ».
Ah, ces fameux deux petits mots que je hais ! Le problème de ces foutus mots, c’est qu’ils renient la féminité d’une fille telle qu’elle la conçoit elle-même, ils lui interdisent de se revendiquer femme et lui imposent une identité qui n’est pas la sienne.
Imposer à une jeune fille ce titre de garçon manqué, c’est lui dire qu’elle n’est pas assez féminine pour être femme, c’est la pousser dans un entre-deux qui lui empêche de se découvrir et de se définir elle-même selon ses propres termes, indépendamment des définitions qui nous sont imposés par notre société. En d’autres termes, c’est l’empêcher d’être libre.
Bien qu’ayant été élevée par une mère aux cheveux courts et un père aux cheveux longs, tous deux féministes et libres de toutes contraintes, la pression culturelle à laquelle je faisais face à l’extérieur de ce cocon d’égalité ne m’a pas épargnée. Faisant partie de cette génération mariée à l’Internet, pour le meilleur et pour le pire, j’ai fini, à un certain moment dans mon adolescence, par taper la question fatidique que voici : « les hommes aiment-ils les femmes aux cheveux courts ? » Une question superficielle… et une réponse qui fait mal.
Ce jour-là, je me suis rendue compte assez violemment de la bêtise monumentale mise en exergue sur ces forums malsains que toute adolescent•e en pleine découverte de sa personne (et tout être humain qui se respecte) devrait bannir de son historique. En gros, à en écouter ces gens-là, j’étais moche et pas « normale » (je vous épargne une leçon sur l’utilisation néfaste de ce mot…).
Heureusement, avec un timing incroyable, c’est aussi à ce moment-là que j’ai découvert l’artiste qui aller me permettre de dire un gros et symbolique merde à tous ces trolleurs de l’internet : Pink. Cheveux courts, rebelle, tête brûlée, belle, bref, un véritable exemple de féminité telle que je l’entends ; de quoi me rassurer sans totalement me guérir.
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Devoir toujours lutter contre les stéréotypes
J’ai pensé, pendant très (trop) longtemps, que je n’étais pas féminine. Cheveux courts, décolorés depuis peu, peau mate, limite jaune selon la lumière (métissage chelou oblige), poitrine relativement petite, style assez androgyne, et par-dessus tout ça, introvertie, féministe, têtue, fan de littérature… bref, une nana engagée qui préfère lire Sylvia Plath au fond de son lit en bouffant du fromage (cliché ? Pas du tout) plutôt que de sortir en boîte. Un mélange qui m’envoie donc aux antipodes de la féminité stéréotypée.
Le problème, c’est que pendant toutes ces années je n’ai pas su m’affirmer, je n’ai pas su nier ouvertement et fièrement ce fameux idéal pourri jusqu’à la moelle, ce qui veut dire que je n’ai pas su m’aimer. Et aujourd’hui je suis forcée d’en voir encore et toujours les conséquences, notamment dans mon manque de confiance en moi et en toute honnêteté, ça me saoule !
J’aurais aimé avoir le courage de dire ce que j’avais sur le cœur, de répondre du tac au tac aux garçons qui m’ont demandé pourquoi je ne m’habillais pas comme une fille (c’est-à-dire avec une robe) ; à tous ceux, garçons et filles, qui m’ont répété que je devrais me laisser pousser les cheveux ; aux gens qui m’ont dit que le foot n’était pas un sport de fille pendant toute mon enfance ; au mec qui m’a dit qu’une vraie femme reconnaît son infériorité (vingt-et-unième siècle vous dites…) ; à ceux qui m’ont appelée « jeune homme » quand j’étais jeune parce que « comment une fille pourrait-elle ressembler à ça ? » ; à ceux qui veulent me tenir en laisse dans une définition de la féminité qui ne reflète que leur conservatisme.
J’aurais aimé contrer ceux qui utilisent des stéréotypes pour m’imposer une identité qui n’est pas la mienne sous prétexte que je ne porte ni robe, ni jupe, que j’ai grandi en faisant du sport, que je porte beaucoup de noir et que je déteste le rose, que je préfère mes Doc à n’importe quelle paire de talons aiguilles, que mes cheveux sont courts, que je porte peu de maquillage, que m’épiler les sourcils me donne envie de tuer quelqu’un, que je peux citer des écrivains sur les doigts d’une main mais que je ne peux pas cuisiner sans foutre le feu au bâtiment, et que la féminité, dans mon vocabulaire, n’est autre qu’un synonyme de liberté. À tout ces gens-là j’aurais voulu pouvoir répondre : « Allez au Diable, vous et votre rigidité ! »
Et dire que je pensais que tout ça prendrait fin en atteignant la vingtaine. Vingt ans, cela sonnait si bien.
Sauf que voilà, j’ai vingt ans et rien n’a changé. Féminité, masculinité, rigidité. C’est toujours la même chose sauf que maintenant j’en suis consciente, je peux dire stop et je peux arrêter d’avoir honte. Mais en pessimiste que je suis, je dois avouer que le matin de mes vingt ans m’a quand même fait l’effet d’un coup de poing dans la tronche. Mon réveil s’est mis à hurler, j’ai ouvert les yeux, je l’ai balancé contre le mur, j’ai enfoui ma tête dans l’oreiller, j’ai soupiré à m’en faire exploser les tympans, et alors qu’un long grondement s’échappait de mes entrailles, je me suis entendue marmonner :
« Putain, vivement la trentaine. »
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Les Commentaires
Cet article est parfait.
Je me reconnais dans ces mots. Mais plus jeune j'aurais aimée qu'on me dise que mes plans n'allait peut être pas se réaliser comme je m'y attendais.
A 16 ans déjà, je voyais ma vie toute tracé comme ça avec mon fameux plan sur 5 ans ( Trop lol en y repensant)
Appelons ça le destin, le coup du sort, la schkoumoune, bref, que nenni.
A 21 ans, je ne m'imaginais pas avoir le même physique, avoir des goûts limité à l'opposé de la teenager du collège que j'étais.
J'aurais aimer qu'on me disent que mes erreurs ne me définissent pas, j'aurais aimer vivre des expériences moins stressantes.
Mais s'il y a une chose que mes vingts ans (du moins ces deux années de vingtenaires - ça se dit ?- mddr) m'ont appris, c'est que se relever après de nombreux échecs c'est tellement bon qu'on a envie de re-tomber juste pour retenter l'aventure !
Aujourd'hui je fais toujours des plans mais sur un plus petit laps de temps, j'ai aussi une liste des 30 choses à faire avant mes 30 ans mais j'ai le temps pour m'y mettre.
Bref si j'ai un conseil à donner c'est: Vivre sans se soucier de l'avenir parce qu'au final on recommencer sa vie tout les jours !
Vouala, groses bises !