La semaine passée j’ai fêté mes vingt quatre printemps que l’on m’a souhaité joyeusement en précisant « Hey, c’est ton dernier anniversaire avant le quart de siècle ! ». C’était exprimé sur un ton jovial et sympathique mais en sourdine je devinais bien la menace que l’on me prophétisait. « Hey, bientôt le palier symbolique avant la décrépitude, l’endettement sur vingt ans, les mômes et les soirées tupperware. »
Pour l’occasion, j’avais décidé d’être optimiste : depuis que la SNCF a lancé sa carte 18-27 ans, je m’octroie deux années de rab’ avant la dépression transitoire vers la sénilité inéluctable.
Car on est vieux de plus en plus tôt : ce n’est pas les deux couvertures et demie des canards féminins sur l’épanouissement de Sharon Stone et le visage étiré en cinémascope permanent de Demie Moore qui me feront mentir.
Dans les clips de W9 et sur Youtube (mes deux sources d’informations privilégiées) je vois des jeunes filles de dix-huit ans à peine qui sont déjà milliardaires alors que j’ai totalement renoncé à atteindre un jour le plafond de mon livret A.
Adieu, compliments sur ma soi-disant précocité
Partout il y a des gens plus jeunes que moi qui sont plus avancés dans la vie, c’est dramatique. Fût une époque où je pouvais m’enorgueillir des compliments faciles sur ma soi-disant précocité, mon talent à ceci et à cela qui était fort étonnant pour mon jeune âge. Maintenant tout cela est terminé, on ne s’étonne plus : j’ai vingt quatre ans et rien de ce que je peux faire ne semblera merveilleux à quiconque, ce sera tout juste normal.
On est davantage indulgent avec les jeunes gens, moi je suis entrée dans l’ère où l’on va sans vergogne me tabasser la tronche : plus de réductions pour la carte de tromé, pour la médiathèque, plus de menus étudiants au kebab du coin, plus de prime pour l’emploi et des échantillons de crème « premières rides » à chaque passage chez Sephora.
« Madame », dites-vous ?
Ça faisait un moment que j’avais senti le vent tourner, on me donnait du « Madame » à tour de bras chez les petits commerçants, j’essayais de ne pas me vexer, je me disais que c’était leur façon à eux d’être féministe… Et puis il y eut ce jour où j’ai réalisé que j’avais de très nets souvenirs qui remontaient loin dans le passé, ce jour étrange où l’on réalise qu’un événement dont on se souvient encore parfaitement s’est déroulé il y a dix ans.
Ce même jour, ou le lendemain peu importe, je l’ai passé à parcourir les rayonnages de tous les supermarchés du coin pour m’apercevoir que les Chocorem de mes goûters d’enfance n’existaient plus, et tant d’autres disparitions mystérieuses ont suivi : des objets, des animateurs télé, des groupes de musique se sont évanouis à travers les années sans que je le remarque.
C’est à croire que j’avais passé dix ans à vivre en gardant les yeux fermés.
Heureusement, je ne vois pas défiler les printemps en larmoyant sur ma jeunesse perdue. Enfin, disons que si je n’ai pas peur de vieillir j’ai uniquement le sentiment de courage invincible auquel on peut prétendre à vingt quatre ans. Lorsque, au final, l’horloge biologique, les rides sous les yeux et le PEL nous semblent encore assez loin.
La course au rajeunissement
Il faut dire que je n’ai jamais particulièrement apprécié le « jeunisme » qu’il est de bon ton d’idolâtrer. Cette course perpétuelle au rajeunissement me laisse coi : la pression de la séduction permanente que les femmes subissent est infâme. Toujours être belle, fraîche, mignonne, ingénue mais point-trop n’en faut. Avoir l’air d’une jeune fille en fleur même pendant les heures les plus sombres, savoir parler physique quantique oui, mais en robe pastel et avec une tresse tombant nonchalamment sur l’épaule.
J’ai l’impression que l’on commande aux femmes de rester éternellement innocentes (c’est-à-dire un peu bêtes), d’être toujours adolescentes, même la trentaine bien tassée. Lorsque je lis des épopées Balzaciennes dans lesquelles les femmes de plus de trente-cinq ans étaient classées comme étant « mûres mais encore bien faites pour leur âge », le fossé m’impressionne car aujourd’hui, à trente ou quarante ans, il faut encore être un peu « jeune fille » : combien se sont offusquées de voir disparaître la case « Mademoiselle » des formulaires administratifs parce qu’elles se sentaient vouées à une péremption précoce ?
Vieillir est donc tabou alors qu’il faut être sérieux deux minutes : on s’habille comme nos soeurs le faisaient dans les années 80, des jeunes chevelus s’acharnent à jouer du rock inspiré des Mods anglais, les hipsters affichent fièrement une belle moustache qui leur aurait valu les compliments de tout le commissariat du 11ème arrondissement il y a quarante ans et je soupçonne quelques irréductibles de penser qu’il est cool d’être réac’ depuis que Zemmour passe à la télévision.
Tout ce qui est suranné est entouré d’une délicieuse aura nostalgique et tendance, il est de bon goût d’aimer la désuétude à partir du moment où nous ne sommes pas vieux.
La frontière ténue entre décalé et ringard
Sous la barre symbolique des trente piges nous pouvons clamer notre amour pour Joe Dassin, le tricot et les mocassins à glands, cela nous donnera une personnalité décalée. Mais passé cet âge limite nous sombrerons dans les méandres du ringard et du premier degré : l’époque est impitoyable.
En vérité je ne sais pas quand nous commençons à « être vieux », chacun imprime sa propre DLC. Peut être qu’on devient vieux dès que l’on commence à trop se préoccuper d’être jeune.
En attendant que des physiciens trouvent une formule magique qui bloquerait à jamais notre métabolisme sous la barre fantastique du quart de siècle, nous sommes bien obligés de subir l’illogisme ambiant.
Moi depuis que je travaille, j’attends déjà impatiemment la retraite : des plages entières de temps libre, un pouvoir de nuisance incontestable, une respectabilité assurée, des places assises dans le tromé et le retour des réductions seniors. Je ne vois pas le problème avec le fait de vieillir et dorénavant je m’insurgerai systématiquement devant cette course à l’éternelle jeunesse. Mieux, j’affirmerai que je suis déjà vieille à chaque fois qu’on me cherchera des noises et qu’on attendra de moi un stéréotype juvénile.
De toute manière il paraît que le comportement des vieillards rappelle celui des enfants – j’aurai donc bien assez le temps d’être jeune sur le tard.
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