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Source : Alice Murillo / Éditions Stock
Société

Pourquoi les femmes en couple ont-elles de moins en moins d’amis ?

À l’occasion de la sortie de son livre « Elles vécurent heureuses » (Stock), la journaliste Johanna Cincinatis explique pourquoi, au fil de la vie, l’amitié est mise en retrait au détriment du couple, et livre ses pistes pour bâtir un nouveau modèle social. Et si l’amitié parvenait à se faire une place de choix dans nos vies, au même titre que la quête amoureuse ?

À l’enfance et à l’adolescence, il est coutume d’imaginer avec son cercle d’amies proches rester « amies pour la vie ». Qui n’a pas rêvé d’imiter les héroïnes de ses films et surtout séries préférées, et de se retrouver toutes ensemble, chaque samedi, telles Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda de « Sex and The City », pour débriefer sa semaine ? Si la fiction donne envie, la réalité est parfois plus compliquée. Malgré les nombreuses évolutions sociétales, la vie privée des femmes – une fois bien installées dans la vie active – a tendance à se résumer en deux catégories : en couple ou célibataires. Quand on ne vit pas dans un monde idéal créé par la pop culture, après les études et les premiers boulots, le nombre d’amies diminuent donc, et le temps qu’on leur accorde aussi. 

Dans « Elles vécurent heureuses » (éditions Stock), une enquête conviant également ses expériences personnelles, la journaliste Johanna Cincinatis se concentre principalement sur les relations amicales entre femmes à l’âge adulte, et invite à les percevoir comme notre meilleur atout. S’il est question de l’invisibilisation de l’amitié entre femmes jusqu’à il y a quelques siècles encore, de leurs représentations à l’écran et du poids que joue le couple hétérosexuel et monogame dans l’amitié, l’autrice s’interroge aussi sur la façon dont le couple devient central dans la vie d’une femme au détriment de ses relations amicales. 

Le couple, briseur d’amitiés ? 

L’écriture du livre est d’ailleurs parti d’un constat personnel, confie Johanna Cincinatis : « L’amitié a toujours été un socle de ma vie affective. Plus les années passent, plus je me rends compte qu’elles s’étiolent au cours de la vie. » Le pivot arrive, en général, autour de la trentaine, où deux voies s’offrent aux femmes, rappelle l’autrice : « prendre la voie du couple ou celle du célibat ». Avec l’idée que « l’amitié puisse être une troisième voie, un cadre de vie affectif et social à part entière », elle pointe du doigt le rôle de l’État dans la prédominance du couple hétérosexuel : « Tant que l’État favorise un modèle, une façon d’aimer, qui consiste à construire sa vie avec la personne avec qui on partage une sexualité, il est difficile de faire perdurer d’autres liens au moment où l’on se construit de façon socio-économique – quitter la maison parentale, débuter la vie active, construire une famille… » 

Si le couple n’est plus forcément présenté comme la norme ou un but en soi ces dernières années, il reste prédominant avec un mariage sur deux se terminant par un divorce. « La mise en couple constitue un facteur inhibant des amitiés », écrit-elle dans son essai, s’appuyant aussi sur les recherches du sociologue François Héran, qui qualifie la jeunesse de « temps privilégié des amitiés » avant que le travail et la famille prennent le dessus.

L’escalateur relationnel se construit à deux, mais l’étape du mariage reste, elle, fortement liée à l’amitié. Justement, l’autrice explique qu’il s’agit de l’un des instants où l’amitié reste encore centrale, où « l’amitié doit performer ». 

Quand l’amitié se met au service du couple

« L’amitié est au service du couple » dans le cas de deux événements particuliers, à commencer par l’EVJF (enterrement de vie de jeune fille) : « L’EVJF est le rite qui matérialise le mieux la hiérarchie entre l’amour conjugal et les relations amicales. Il s’agit du dernier moment entre copines parce que l’on sait que c’est le début d’autre chose, de la grande et vraie histoire d’amour », appuie l’autrice. Vient ensuite le mariage avec le choix des demoiselles d’honneur, qui là encore, place l’amitié au service de la relation amoureuse, écrit-elle dans Elles vécurent heureuses : « Il est intéressant de montrer comment la relation d’amitié, d’ordinaire réservée à l’intimité sociale, devient soudain un gage, un faire-valoir ». Il convient alors de sortir son porte-monnaie et d’être prête à dépenser des centaines d’euros pour un week-end dans une capitale européenne… avant de se mettre en retrait pour laisser son amie vivre sa vie.

L’amitié passe donc au second plan après l’instauration de la vie stable de couple, par soucis pratique : les ressources économiques et le temps sont alloués à la famille plutôt qu’aux amies. « On se promet que l’arrivée d’un enfant ou l’emménagement avec le conjoint ne changera rien, mais force est de constater que les statistiques jouent contre les amitiés féminines à l’âge adulte », analyse Johanna Cincinatis. Certaines amitiés se reconstruisent une fois les enfants partis à l’université, ou même plus tard, à la retraite, quand cela est possible, et que les femmes ont accès à des espaces de sociabilisation.

Face à cette catégorie, quid des amies qui ne font pas le choix du couple et sont célibataires ? Comment sont-elles célébrées ? Pourquoi ne mériteraient-elles pas les mêmes attentions que les futures mariées ou futures mères ? « En raison de la hiérarchie entre l’amour conjugal et l’amitié, toutes celles échappant à ces schémas se voient privées de pleins de choses : moments de bonheur et partage, ressources économiques, espace… Il y a une ligne entre ce qui est digne d’être célébré socialement et ce qui relève de l’anecdotique », ajoute la journaliste. Une femme célibataire connaît pourtant les joies, les peines et les galères du quotidien et mériterait aussi que ses amies se rassemblent pour célébrer certaines bonnes nouvelles, à savoir « un nouvel appartement, un nouveau travail, l’écriture d’un livre », ou l’aident financièrement face à un imprévu.

Donner plus de place à l’amitié entre femmes : une utopie pas si utopiste ?

Pourquoi l’amitié devrait-elle passer au second plan ? L’autrice commence son livre avec une touche utopique, où l’amitié entre femmes est primordiale, où les amies sont officiellement présentées aux parents, où amies et sœurs vivent ensemble et où l’union entre amies est devenue la norme pour payer moins d’impôts et faire des emprunts bancaires ensemble. 

L’amitié entre femmes pourrait-elle s’imposer comme une alternative au couple et un véritable modèle social ? Résolument optimiste après avoir travaillé sur ce sujet pendant un an, Johanna Cincinatis pense que la décohabitation (habiter seule ou avec des amies, mais pas en couple) est l’une des solutions permettant de mettre ses amitiés et son couple sur la même échelle. « Ne pas habiter avec son conjoint change le rapport au temps et à la disponibilité. La sexualité, l’appartement et l’argent distinguent l’amitié de l’amour. Mais il ne faut pas oublier la disponibilité. Par exemple, aller à des rendez-vous médicaux avec ses amies, informer ses amies d’échéances importantes… ». Libre à chacune de trouver ses propres solutions !

« Elles vécurent heureuses. L’amitié entre femmes comme idéal de vie » de Johanna Cincinatis. Éditions Stock. Disponible en librairies depuis le 16 avril.


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Les Commentaires

14
Avatar de Kettricken
13 mai 2024 à 09h05
Kettricken
Je pense qu'il y a plein de facteurs, et notamment l'évolution du mode de vie.
A 25 ans, mes potes et moi ont habitait quasi tous le centre d'une grande ville, on louait des appart à 20min à pied les uns les autres max, et donc on se voyait bcp, sur des coups de têtes.
Avec le temps, on a tous quitté le centre-ville, pour aller +/- loin, pour acheter une maison ou faire construire. Et du coup, on ne se voit plus sur un coup de tête. Ca se prévoit. Et souvent des semaines à l'avances
D'ailleurs parmi les deux personnes que je vois le plus, y a celles qui est restée comme moi en banlieu de la ville. Et une qui habite à 1h de route, comme quoi...
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