Émilie Laystary a passé la première partie de la soirée électorale à boire du cidre, coincée dans son canapé. Puis elle est allée à Bastille, où l’ambiance était très chaude, et les bières super fraîches.
La soirée électorale, depuis mon salon
Dimanche 6 mai, à 19h13, la dépêche AFP qui apparaît sur mon téléphone portable ne laisse presque aucun doute :
D’après les estimations, François Hollande est déjà élu président de la République. À ce titre, il devient le deuxième Président de gauche de la Vème République. Alors que l’information est vraisemblablement connue de tous les journalistes et commentateurs, impossible de la dévoiler avant 20h, heure officielle de l’annonce des résultats. Sur Twitter, le facétieux hashtag #RadioLondres a permis aux utilisateurs de contourner la loi. Température en Corrèze, blague sur les traits tirés (« Mais quoi, ils le sont toujours ! ») de Carla Bruni, publicité pour du fromage ou des Flanby® … : les internautes s’en sont donnés à coeur joie pour disserter résultats.
Au même moment, à la télévision, les présentateurs essayaient tant bien que mal de tenir leur numéro d’équilibristes genre « Oh quel suspense, mais qui va être Président de la République ? ». But des singeries à l’antenne : maintenir l’apparence de théâtre politique de la télé (puisqu’une partie de la France est encore habituée à ce que l’intrigue présidentielle se dénoue à l’intérieur du petit écran) et meubler le temps qu’il reste avant l’annonce officielle.
Petite pensée à David Doukhan, en charge de maintenir la curiosité des téléspectacteurs à son climax… alors qu’il se trouve devant une porte fermée au Conseil Général de Corrèze, à Tulle.
« Oui oui, alors c'est imminent. Je me propose de rester avec vous, quelques minutes, QUELQUES INSTANTS, la porte va s'ouvrir, elle va VRAIMENT s'ouvrir dans quelques instants. »
C’est à ce moment précis que mon cerveau décide de me ressortir une madeleine de Proust visuelle :
[dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/xtr7d_21-avril-2002-20-heures_news[/dailymotion]
J’avais 14 ans à l’époque, je mangeais un croque-monsieur devant la télé quand soudain *GROS BRUITS DE COUVERTS QUI TOMBENT DANS UNE ASSIETTE* derrière moi. C’était ma mère, l’air interdite. Alors j’ai à nouveau tourné la tête vers la télé, et j’ai vu ce qu’elle voyait : l’écran scindé en deux – Chirac à gauche, Le Pen à droite. J’avais 14 ans et je venais de comprendre qu’un « truc historique » venait de se passer.
Bref, hier soir, en me remémorant ce souvenir, je me suis demandée à quoi ressembleraient les élections du futur. Je me suis imaginée mère (alors que je pense ne pas spécialement vouloir d’enfants), avec mes petites têtes blondes à table (alors que l’homme avec qui vraisemblablement je veux faire ma vie et moi sommes bruns) :
– Qui c’est qui qui va être Président ? – Mais je te l’ai déjà dit mon poussin, Papa a regardé sur Twitter tout à l’heure, et Maman a vérifié sur l’AFP ! – Ah oui, c’est vrai. Alors je peux aller jouer dans ma chambre ?
Connard d’Internet : depuis ton arrivée, l’actualité a perdu ses accents dramatiques dignes des romans de cape et d’épée.
La soirée électorale, dans la rue
Lasse des statuts Facebook virtuellement festifs, des jeux de mots goguenards sur Twitter et des commentaires vains émanants de mon poste de télé, j’ai alors décidé d’aller écouter les klaxons de plus près. J’ai embarqué mon copain et quelques Heineken dans un sac à main, on est sortis de l’appart et on a marché jusqu’à la Bastille.
Sur le boulevard Parmentier, un groupe de jeunes fêtaient la victoire de Hollande et leur amour pour le houblon en même temps. « OUAAAAAAAAAAAAAAIS », ont-ils tous crié en levant les bras. On leur a rendu la pareille, mais quand le mec derrière nous est passé en tirant la gueule, les ados se sont mis à hurler « Hé m’sieur, faites pas trop la gueule, chacun son tour, nous c’était en 2007 ! Hé m’sieur, vous marchez bien trop à droite là ! ». Je me suis retournée : en effet, il rasait les murs.
Place Voltaire, toutes les voitures klaxonnaient. Au feu rouge devant le Mc Do, une scène plutôt inhabituelle s’est offerte à nous : un clochard s’est rué vers une caisse en fête, s’est mis à danser autour jusqu’à ce que le conducteur lui-même arrête le moteur et sorte danser avec lui. Une espèce de slow très clownesque, qui a suscité le rire des passants. Les sifflets hurlaient de plus belle. Tout le monde a souri.
Rue de la Roquette, toutes les épiceries étaient assiégées. Des vendeurs de canettes de bières à la sauvette se sont installés à chaque coin de rue, faisant le bonheur de la France heureuse mais assoiffée.
Puis on est arrivés à Bastille.
Ça, c’est le métro. Il faut ajouter plusieurs choses à cette photo : de grosses effluves de merguez, des cris de joie et des vendeurs de drapeaux français. « 5 euros, le drapeau ! » Des jeunes passent : « Vous n’avez pas le drapeau algérien ? Non ? Bon, tant pis. C’est la première fois que je fête la gauche, je peux bien me craquer pour un bleu-blanc-rouge ! »
Ci-dessus, une très jolie photo de mon pote Tony. « Faut qu’on leur montre que l’ambiance ici est 100 fois mieux qu’à la Mutualité !
», crie une jeune fille.
Des fumigènes rouges épaississent l’air. Derrière moi passe un mec avec un maillot Hollande (le pays, pas le candidat).
On a rarement vu autant d’ados agiter le drapeau de la France en même temps. « Ils sont contents, les jeunes, ils sont contents. Ça fait plaisir à voir ! », commente la dame à la chevelure grisonnante avec qui je partage mon mètre carré de terre-plein.
Yannick Noah chante avec enthousiasme. « Vivement Axel Bauer », soupirent des jeunes filles. Ci-dessous, une idée de la vision que j’avais lorsque je levais les yeux de mon spot :
Il est maintenant 22 heures, et deux urgences me turlupinent :
– Vider ma vessie dans une rue parallèle – Rejoindre des potes, dont les indications géographiques sont aussi précises que « Je suis entre 2 banderoles, un groupe de jeunes qui chantent et un stand de merguez »
Évidemment, la première nécessité l’emporte sur la seconde. Alors je décide de sortir de la foule et de m’éloigner de la colonne de Juillet. Rue Auguste Laurent, des jeunes chantent « Dans la jungle, terrible jungle, SARKO EST MOOORT ce soooir » et au loin, je vois des enfants taguer un panneau électoral. Ce sont des affiches pour Hollande.
(Cette photo est digne d'une personne qui marchait pliée en deux à cause d'une pressante envie de vidanger le fût de bière qui lui sert de vessie)
Qu’ont écrit ces vandales ?
OH LES SUBVERSIFS.
De retour sur la place de la Bastille. Qui veut des chips Vico, des canettes de Coca et de la Heineken ?
Il est maintenant 23h, et le Journal du Dimanche a déjà sorti son numéro spécial « victoire de Hollande ». Désireux de repartir avec le premier canard annonçant le résultat présidentiel, les badauds se ruent sur le vendeur ambulant.
Un peu plus loin, un groupe de jeunes discutent avec les policiers. Certains CRS venus surveiller les éventuels débordements ont le sourire aux lèvres. Devant moi, une petite fille pose avec la Bastille au loin : « C’est ta première photo d’élection, ma chérie », s’enthousiasment les parents.
Dans la rue, tout le monde y va de son petit commentaire :
« Comment ils doivent se faire chier à la Mutualité ! » « Bon OK, Hollande est passé mais faudrait voir à ce que le Flanby ne se ramolisse jamais ! » « Ouais, ne faites confiance qu’à vos luttes ! »
Les banderoles des Jeunes Socialistes se confondent avec celles du Front de Gauche, du Parti Communiste et de divers syndicats.
Il est maintenant minuit. Je tombe dans une grande discussion qui pourrait se résumer par « de la nécessité de ne pas baisser la garde », et mon interlocuteur et moi dissertons du devoir de ne pas considérer cette « victoire de la gauche » comme acquise. L’échéance présidentielle est souvent le moment que choisit le peuple pour se passionner par la chose politique. Nous tombons d’accord sur le fait que le « Footix de la politique » est le symbole de cette masse qui sommeille pendant le reste du quinquennat. Et que, somme toute, le PS s’est de plus en plus libéralisé au cours de la Ve République. « L’effusion de joie est à relativiser, tout n’est jamais gagné », commentons-nous.
Quand Hollande arrive finalement pour prononcer son discours, la foule s’agglutine de plus belle. Impossible de se rapprocher.
En attendant, dans les rues alentours, la fête bat son plein. Et pour preuve : je n’ai plus pris de photos du reste de la soirée.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
En Islande le peuple a fait démissionner le gouvernement, pour en élire un nouveau, gauche-vert. Les banques les plus grosses ont été nationalisées.
Sinon la télé est allumée combien d'heures par jour chez toi?