« Portez plainte », qu’ils disent.
Mais qui nous accompagne dans les commissariats ? Qui nous soutient pendant les audiences ? Qui paie les frais d’avocat·e ? Qui finance nos soins physiques et psychologiques ? Qui travaille avec les agresseurs pour éviter une récidive ?
Depuis la première plainte que j’ai déposée, je me sens seule. En mars 2018, un homme a tenté de me violer dans les toilettes d’une bibliothèque parisienne. Le policier qui a pris ma plainte n’avait aucune expérience en la matière. Le médecin qui m’a examinée m’a conseillé de « tourner la page ». Ma mère, elle, m’a suggéré de prendre « un vrai copain » pour éviter de futures agressions.
Ma plainte pour « violences volontaires » a été classée sans suite. Le tribunal ne m’en a pas informée. J’ai dû m’y rendre pour obtenir l’information. Quand j’ai tenté de déposer une nouvelle plainte, avec constitution de partie civile cette fois, pour relancer l’enquête, la justice m’a demandé d’avancer 3 000 euros, une somme appelée « consignation ».
Une prise de plainte éprouvante humiliante
Je n’ai pas payé et l’affaire fut abandonnée. Des années plus tard, j’ai regardé la série féministe I may destroy you, créée par la Britannique Michaela Coel. Elle m’a ouvert les yeux sur d’autres violences sexuelles que j’avais subies les années précédentes. J’ai alors pensé qu’une plainte dissuaderait les agresseurs de faire d’autres victimes. En février 2021, j’ai porté plainte contre quatre hommes différents, au commissariat d’Alençon (Orne).
Le policier qui m’a reçue m’a humiliée à plusieurs reprises. Le dépôt de plainte a duré deux jours. J’ai dû lui expliquer la définition du harcèlement sexuel au travail, qu’il ignorait. Mes quatre plaintes – pour viol, violences conjugales, agression sexuelle et harcèlement au travail – n’ont rien donné.
Ah si ! Un an après, j’ai dû me « confronter » à l’un des hommes visés, celui qui m’avait harcelée sexuellement sur mon premier lieu de travail. Je me suis présentée seule à la confrontation. Elle a duré une heure. Le policier a tenté d’obtenir des aveux de mon ancien collègue, en vain. J’en suis ressortie re-traumatisée par la présence de l’agresseur et par ses mensonges.
Depuis lors, je n’ai reçu aucune nouvelle des enquêtes. Sont-elles en cours ? Les hommes incriminés ont-ils été convoqués et interrogés ? Je l’ignore. Aucun ne m’a contactée pour reconnaître les violences qu’il m’a infligées, me présenter des excuses, me proposer une réparation ou m’informer d’un travail féministe qu’il aurait entrepris. C’est pourtant ce que j’attends. Mais la police et la justice françaises sont répressives. Elles n’accompagnent ni ne réparent les victimes. Les agresseurs sont eux aussi délaissés. En revanche, elles sanctionnent et violentent les hommes qu’elles jugent nuisibles : vendeurs de drogue, personnes pauvres ou racisées.
En août 2021, j’ai déposé une sixième plainte contre un homme qui me harcelait alors que je marchais sur le littoral breton, à l’occasion de mon tour de France à pied. Pourquoi faire ? J’ai choisi cette option car il me collait et me menaçait depuis des jours. Dès l’instant où j’ai porté plainte, il a repris le train pour rentrer chez lui. J’ai pu reprendre ma route.
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Des répercussions psychologiques et financières
Trois ans après, je n’ai plus aucun contact avec les hommes qui m’ont agressée. Je me sens en sécurité. Après de longues démarches, j’ai obtenu l’aide juridictionnelle pour l’une des affaires, celle d’un viol subi en 2017. Elle m’a permis de prendre une avocate, payée par l’État. Mais l’enquête n’avance pas. Je dois moi-même relancer les commissariats et les tribunaux pour obtenir des nouvelles de mes plaintes.
En parallèle, j’ai dû soigner mes traumatismes physiques et psychologiques, à mes frais. J’ai dépensé des milliers d’euros en soins divers. J’ai perdu mon travail après avoir dénoncé le collègue harceleur. Je me suis retrouvée au chômage, puis au RSA (Revenu de solidarité active : environ 500 euros par mois). À un moment, j’ai même quitté mon appartement parisien pour retourner vivre chez mes parents, eux-mêmes violents.
J’ai alors réclamé une réparation financière à la justice française. En France, il existe un Fonds de garantie des victimes qui peut verser une indemnisation après une agression via une saisine de la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (Civi). Je l’ai sollicitée plusieurs années après la tentative de viol dans la bibliothèque parisienne. Pendant deux ans, j’ai bataillé avec la Civi : audiences au tribunal, expertise psychiatrique, consultations d’avocat dans une association, courriers divers… En juillet 2023, j’ai obtenu plus de 17 000 euros d’indemnisation, directement versés sur mon compte bancaire.
Dans cette affaire, j’ai joué la « bonne victime ». J’ai répondu à toutes les convocations, j’ai préparé mon discours pour répondre aux attentes des professionnel·les (expert psychiatre, juge) et j’ai attendu bien sagement.
Mais qu’arrive-t-il aux autres victimes ? Celles qui ne me ressemblent pas ? Qui ne sont pas blanches et valides comme moi ? Qui n’ont pas grandi dans un milieu bourgeois ? Qui n’ont ni les connaissances ni la patience nécessaires ?
« Portez plainte », qu’ils disent aux personnes victimes de violences sexuelles. En France, 80 % de ces plaintes sont classées sans suite par la justice. La victime obtient rarement la reconnaissance et la réparation du préjudice subi.
Si j’ai obtenu une indemnisation dans un cas sur six, je refuse aujourd’hui de porter plainte. Je refuse de jouer le jeu des institutions françaises qui ignorent, humilient et répriment au lieu d’accompagner et de soigner. Leur organisation raciste et classiste bloque tout changement de société. Seules une justice restaurative et transformative, théorisée et appliquée par des communautés racisées et queer depuis des décennies sur d’autres continents, peut aider les victimes et changer les personnes violentes.
J’estime que la société dans son ensemble est responsable des violences sexistes et sexuelles. Sans une révolution féministe, antiraciste et anticapitaliste, nous ne pourrons les faire cesser. Je lutte désormais dans ce sens et pratique l’autodéfense dans ma vie intime. C’est ainsi que je me sens en sécurité.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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Les Commentaires
L'accueil n'est pas bon, évidemment! Bravo pour le courage de cette jeune femme ! J'ai beaucoup d'admiration pour elle! La bonne "victime" ca n'existe pas . Celleux qui font de la merde, c'est celleux qui ne savent pas protéger. La justice, les flics, l'Etat. Tu as été parfaite
Tu as raison , bravo d'avoir parlé de la justice restauratrice ! Oui, elle seule peut nous aider! <3