Si nous réalisions un sondage IPSOS sur l’ambivalence des sentiments à l’approche des fêtes de fin d’année, je pense que le résultat serait évident : dans l’idée, tout le monde a envie d’aimer Noël.
Dans l’idée, tout le monde est contre la guerre, personne n’a le SIDA et les livres qu’on achète au hasard ne sont jamais décevants.
La différence fondamentale entre le monde des idées et le monde réel ne tient que dans cette potentialité d’emmerdements impossibles à mesurer par avance. Nous avançons donc quotidiennement sur des oeufs avec la certitude de finir tôt ou tard en omelette.
Moi, je me suis résignée, vous pensez bien. Fidèle à ma bonne humeur et à mon esprit festif légendaire j’ai récemment entrepris la lecture des contes de Noël de Charles Dickens et je trouve davantage de vraisemblance dans la Petite fille aux allumettes d’Andersen que dans l’histoire merveilleuse de Rudolph, le petit renne.
Vraiment, je me permet d’employer la première personne du pluriel pour oser cette affirmation, nous voudrions tous passer un Noël merveilleux et nous ambitionnons tous que les choses se passent au mieux.
Mais l’Histoire avec un grand H, l’expérience empirique, la psychologie sociale et sûrement la physique quantique nous apprennent l’impossibilité des miracles de Noël.
Tout d’abord, le problème majeur de ces festivités réside dans le fait qu’elles se passent en famille et qu’il existe peu de sujets aussi sensibles et délicat que la famille. Si vous en doutez encore, vous n’avez qu’a regarder un film d’Arnaud Desplechin pour vous convaincre de tous les drames inhérents aux liens du sang.
Même les familles les plus unies au monde ne sont pas exemptes de reproches et d’occasions de s’envoyer des marrons chauds à la tronche. Oh bien sûr, notre esprit sélectif s’emploie à ne retenir que les bons moments des Noëls précédents mais on sait tous que chaque vingt-cinq décembre était jalonné d’embûches (sans crème au beurre, fort heureusement).
Cessons donc de faire semblant : non, ce Noël ne sera pas parfait. Mais oui, c’est également ce qui fera son charme.
Il y aura toujours un invité pour renverser du vin et essuyer ses doigts gras sur la nappe immaculée achetée à crédit chez Maisons du monde, fort heureusement il y en aura évidemment d’autres qui ne renverseront pas une seule goutte de rouge ailleurs que dans leurs gosiers et qui plomberont l’ambiance à la quatrième blague graveleuse de la soirée.
Forcément, vous parlerez politique et vous serez confrontés à ce terrible dilemme entre les sentiments et la raison. Vous constaterez cette déchirure qui vous donnera des brûlures d’estomac (non ce n’est pas l’excès de foie gras mais bien la colère qui vous rendra malade) en entendant beau-papa ou gentil-tonton déclamer avec emphase des idées homophobes, xénophobes ou qui vous sont tout bonnement insupportables. C’est facile de s’indigner sur l’infamante bêtise des politiques et des personnalités médiatiques dont on se fiche éperdument, mais on souffre forcément lorsqu’on se confronte à la stupidité d’un être que l’on aime indépendamment de ses opinions.
Si des enfants sont présents à votre réveillon : ils seront insupportables. L’excitation dûe à l’événement couplé aux mises en garde de leurs parents et aux habits festifs inconfortables dont ils auront été affublés les rendra d’autant plus sujets à la désobéissance civile et aux caprices insensés.
Il y aura bien évidemment des accidents culinaires lors de la préparation de votre menu : il manquera forcément UN ingrédient, souvent celui que vous aurez placé en tête de liste pour ne pas l’oublier et qui est si essentiel qu’il vous semble impossible de passer à côté. Et puis nous ne ferons pas l’impasse sur le traditionnel gavage imposé, comme si la prohibition californienne allait débarquer en France dès le lendemain. On baffre sans même s’apercevoir que le bouton de notre nouveau jean à paillettes vient d’exploser dans l’oeil de notre voisin de table et lorsqu’on se dira «au revoir» après la troisième part de bûche on ne sera pas tout à fait certains de survivre à cette digestion difficile.
Noël en famille c’est forcément l’occasion d’évoquer le passif familial et les projets à venir. On apprend que la cousine perdue de vue depuis cinq ans est devenue ingénieur, que tout le monde a brillamment réussi tout ce qu’il a entrepris, et même lorsque quelqu’un a échoué, il en ressort mystérieusement grandi. C’est aisé de se sentir puissamment minable et de rêver d’abréger ses souffrances en s’étouffant avec les glaires d’une huître pour parer aux questions dérangeantes :
« Et toi tu deviens quoi ? Toujours célibataire et toujours étudiante à vingt-quatre ans telle une vermine sociale ? » « Et toi alors ? Le mariage, le crédit sur vingt-cinq ans, les enfants et l’aliénation à vie c’est prévu pour quand ? »
Je ne dis pas tout cela pour vous déprimer mais dans un souci pédagogique évident : il faut se préparer. Pour passer un bon Noël, un entraînement psychologique de fond est nécessaire car ces repas à répétition possèdent autant d’attraits qu’une boîte de chocolats pralinés – ils sont attirants mais écoeurent dès la troisième bouchée.
Leur seul véritable intérêt réside dans la préparation et les rêveries inhérentes à ces soirées messianiques; ces moments passés à composer le menu que l’on savoure bien mieux en imagination qu’au moment où on y goûte. La perspective des cadeaux qui rendront heureux et que l’on se plaît à imaginer alors qu’on traverse la France en train pour rejoindre notre terre natale.
Nous en revenons donc à cette certitude : le meilleur Noël, c’est celui auquel on rêve plutôt que celui que l’on va réellement vivre. Mais ce n’est pas tragique – ce qui pourrait l’être, ce serait de ne rêver à rien.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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