Récemment, Mymy a publié un article a propos du rappeur T.I, qui demande à sa fille de faire des examens gynécologiques pour vérifier l’état de son hymen et prouver sa « virginité ».
En commentaires de cet article, une lectrice a dit avoir vécu la même chose de la part de sa mère après une agression sexuelle. Je l’ai donc contactée pour creuser avec elle son histoire.
En parallèle, j’ai demandé son expertise au Dr Laura Berlingo, gynécologue et intervenante sur Coucou le Q, qui a fait ses retours sur quelques parties du témoignage que tu trouveras en encadrés.
J’ai 25 ans et j’ai subi une agression sexuelle quand j’avais 14 ans.
Le jour où j’ai été violée
Pendant les vacances d’hiver, des amis de mes parents nous ont rendu visite avec leurs fils, dont l’un d’eux qui avait mon âge.
C’est un garçon que je connaissais depuis quelques mois. Et je n’avais aucune envie de le voir.
Il était déjà venu chez moi avec ses parents quelques temps auparavant, il m’avait mise assez mal à l’aise et j’étais restée enfermée dans ma chambre toute la soirée.
Il avait insisté auprès de mon petit frère pendant tout le repas pour voir ma chambre ce jour-là, malgré mon refus clair et net.
Quand il est venu cette fois-ci je me suis donc enfermée dans la chambre de mon petit frère pour téléphoner à ma meilleure amie de l’époque qui était au courant qu’il devait venir.
Il est venu m’interrompre et me tourner autour. Ça me gênait énormément, mais ça faisait rire les adultes et mes frères.
À un moment on se retrouve seuls et il me force à retirer mon soutien-gorge et mon jean. J’avais beau dire non et le repousser, il ne m’écoutait pas du tout.
J’étais tétanisée et je n’arrivais pas à rationaliser, j’avais l’impression d’être paralysée mais je me rappelle clairement lui demander d’arrêter.
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J’avais envie de vomir.
Je me rappelle avoir abandonné la lutte et l’avoir laissé faire en me disant que ce serait vite terminé. J’étais incapable de réagir et j’essayais d’occulter son corps sur le mien.
Je me rappelle lui dire que si mon père nous voyait comme ça il allait nous tuer, dans une tentative pour qu’il arrête, mais ça ne lui a fait aucun effet.
Quand enfin il s’est arrêté je me suis sentie nauséeuse et honteuse. Je n’arrivais pas à réaliser ce qui s’était passé. J’ai passé le reste de la soirée dans ma chambre.
Parler de mon agression sexuelle à mes proches
Je savais que ce qui s’était passé n’était pas normal, mais je refusais d’en parler à mes parents parce que je me sentais honteuse, sale, et je savais qu’ils ne me croiraient pas.
Je ne me sentais pas capable d’en parler, alors que je n’arrivais pas à mettre des mots sur ce que j’avais vécu.
Quelques temps plus tôt, ils m’avaient forcée à lire des témoignages de viols après que mon père ait découvert que je parlais à un garçon sur MSN.
Je me souviens particulièrement d’un témoignage d’une jeune fille qui expliquait qu’avec son amie, elles avaient sympathisé avec deux garçons plus vieux qu’elles et qu’un jour, alors qu’elles les avaient suivis chez eux, ils les avaient violées.
Mes parents m’avaient clairement expliqué qu’elles étaient coupables de les avoir suivi, qu’elles étaient stupides et naïves. Qu’elles ne pouvaient pas s’attendre à autre chose en suivant ces garçons.
Ils m’ont dit que c’est ce qui m’attendait, à force de parler à des inconnus.
Ils ont toujours eu un comportement très anti-féministe…
Je ne compte pas le nombre de fois où je me suis fait réprimander parce que je portais un jupe ou que je parlais avec des garçons.
Mon père avait installé un logiciel espion sur mon ordinateur pour surveiller mes faits et gestes. Je savais donc que la plupart du temps, ils considéraient les victimes comme responsables.
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J’avais très peur de leur réaction et j’ai décidé de me taire.
Une semaine plus tard à la rentrée, je me confie à ma meilleure amie qui met des mots sur ce qui m’est arrivé. Mais je n’arrive pas à accepter l’idée.
Elle me convainc d’aller voir l’infirmière scolaire. Je raconte ce qu’il s’est passé, avec difficultés. Je sais que mon récit est décousu et je suis effrayée à l’idée qu’elle ne me croit pas.
À la fin, je la supplie, en larmes, de ne surtout rien dire à mes parents. Elle acquiesce, et je retourne en cours. Sans recommandation particulière, ni indication sur ce que je devais faire.
J’ai la sensation de m’être confiée pour rien, puisque je ressors de son bureau sans avoir obtenu d’aide.
La réaction de mes parents face à mon agression sexuelle
Mais quand je rentre le soir, mes parents m’attendent dans ma chambre. L’infirmière les a appelés et a prévenu la gendarmerie. Elle ne m’a pas crue, et eux non plus ne me croient pas.
Elle avait transmis une retranscription de notre conversation à mes parents en leur disant qu’elle avait prévenu la gendarmerie parce que c’était la procédure.
Mais qu’elle ne me croyait pas parce que je ne m’étais mise à pleurer qu’à la fin de mon récit, lorsque je lui avait demandé de ne rien dire à mes parents.
Mes parents ont appelé les parents du garçon devant moi, il nie les faits.
Ils me poussent à bout et me traitent de menteuse. Ils me disent que je vais devoir subir des examens et tout raconter en détails aux gendarmes.
Ils me font volontairement peur. Ils me demandent des détails que je suis incapable de donner. Ma mère, alors en fin de grossesse, me dit que je vais tuer ma sœur à cause du stress que je lui cause.
Je m’effondre. Sous la pression, la peur, je leur dis que j’étais consentante.
Mais ma mère a tout de même pris rendez-vous avec sa gynécologue sans me demander mon avis, pour savoir si j’étais encore vierge.
Je ne sais pas ce qui l’a motivée, ni si mon père était au courant de l’initiative — mais j’imagine que oui.
Je n’avais jamais eu de rendez-vous chez un gynécologue avant et je ne savais pas à quoi m’attendre. Ma mère ne m’a mise au courant que le jour-même.
Le jour du rendez-vous gynéco pour vérifier ma « virginité »
Le jour du rendez vous chez la gynécologue arrive. C’est une femme grande et austère qui m’intimide beaucoup, moi la gamine de 14 ans très timide au quotidien.
Elle nous fait asseoir en face d’elle, et ma mère lui explique que j’ai eu une relation sexuelle non-protégée, et qu’elle veut savoir si je suis encore vierge.
À aucun moment elle ne parle d’une agression. À aucun moment la gynécologue ne remet en question la demande de ma mère.
Je ne me rappelle pas que la gynéco m’a demandé mon avis quant à la situation non plus… Et quand bien même, ma mère ne m’aurait pas laissée refuser.
Le Dr Laura Berlingo explique :
L’hymen est une membrane à l’entrée du vagin, qui est perforée dès l’enfance, bien avant un quelconque premier rapport sexuel.
Les rapports sexuels ne font que l’agrandir et l’assouplir.
Ça n’a donc pas de sens de vérifier la « virginité » en examinant l’hymen d’une jeune femme. D’autant plus qu’il existe d’autres pratiques sexuelles qui n’incluent pas une pénétration vaginale.
La gynécologue aurait dû réagir en expliquant cela, en expliquant que le problème des rapports sexuels non-protégés c’est le risque de grossesse non-désirée et d’IST, et que c’est ça qu’il faut évaluer.
Elle aurait aussi dû expliquer que sa fille ne serait examinée que si elle est d’accord.
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La gynéco me demande de me déshabiller entièrement et de m’allonger sur la table. Ma mère m’attend de l’autre côté du rideau.
Je me sens déjà extrêmement mal et diminuée, mais je fais ce qu’on me demande. Je m’allonge et mets les pieds dans les étriers, toujours aussi mal à l’aise.
Sans m’expliquer quoi que ce soit, elle m’enfonce un spéculum et j’ai envie de vomir. Je me sens humiliée et sale. J’ai l’impression de revivre mon agression.
Laura Berlingo remet les points sur les i :
Ça n’a pas de sens d’introduire un spéculum pour observer l’hymen. Il se voit juste en écartant les lèvres, c’est à l’entrée du vagin.
De plus, on n’examine jamais quelqu’un au spéculum qui dit n’avoir jamais eu de rapport sexuel.
Là effectivement la mère présente les faits comme des « rapports sexuels non-protégés », donc la seule justification possible pour cet examen c’est si la jeune femme a des pertes anormales et nauséabondes qui pourraient évoquer une IST.
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La gynécologue explique à ma mère que mon hymen est abîmé, mais pas déchiré et que je suis donc toujours vierge.
Cependant elle confirme qu’il y a bien eu pénétration, d’où les éraflures dans mon vagin.
Pour moi qui avais occulté les détails, c’est un coup de massue. J’avais espéré que ce ne soit « que » ses doigts, et je m’étais trompée.
Deux choses :
- La « virginité » : un parent ne peut pas demander à un médecin de vérifier la virginité de son enfant, comme dit plus tôt, ça n’a pas de sens, puisque l’hymen n’est pas un indicateur de « virginité ».
Dans ce cas-là il faut refuser l’examen en expliquant cela.
- La suspicion d’agression sexuelle : un examen peut être réalisé à la demande de la victime (pas de ses parents ni autre tierce personne), ou au mieux dans le cadre d’une réquisition.
Le mieux est de porter plainte pour effectuer un examen gynécologique par un expert ou par un gynécologue réquisitionné pour ça, avec prélèvements à la recherche de sperme, d’IST, de grossesse, et certificat médical constatant les lésions éventuelles.
Il faut toujours l’accord de la victime pour l’examiner.
À propos de l’infirmière de l’établissement de la jeune femme qui témoigne : l’agression sexuelle sur mineure est une des dérogations au secret professionnel.
Mais elle aurait dû lui en parler avant d’en parler à quiconque, et essayer de la persuader d’en parler à ses parents ou de porter plainte.
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Je ne saurais expliquer pourquoi mais aux yeux de ma mère, je deviens donc officiellement une petite allumeuse et une menteuse.
J’aurai le droit à des humiliations dans la voiture sur le fait d’avoir des rapports à un si jeune âge et sur la honte que je lui inspire.
Ma reconstruction difficile après ces évènements
Après ce rendez-vous, j’ai eu le droit à une prise de sang, pour déterminer si j’étais enceinte. Le signalement fait par l’infirmière a été classé sans suite et je n’ai jamais eu de nouvelles.
Je sais seulement que ma mère a été convoquée à la gendarmerie mais je ne sais rien de cet entretien.
Aujourd’hui j’en veux toujours à mes parents de leur réaction, j’en veux aussi à cette gynécologue de ne pas avoir posé plus de questions quant à mon consentement.
J’en veux à cette infirmière scolaire qui n’a pas respecté ma demande de garder le secret.
Ont suivi des années de haine de mon corps, de troubles alimentaires, de relations complexes avec les hommes qui m’ont amenée à m’engager dans une relation toxique pendant plusieurs mois, avant de m’en sortir.
Je n’ai reparlé de cet épisode qu’avec mon père qu’il y a deux ans, après une violente dispute. Il n’accepte pas de reconnaître ses torts et rejette la faute sur moi.
J’ai donc abandonné tout espoir de mettre les choses à plat avec mes parents.
Aujourd’hui si nos relations sont cordiales, je ne leur parle jamais de sujets profonds. Je n’ai pas confiance en eux. Et j’espère pour mes sœurs qu’elles ne vivront jamais la situation que j’ai vécue.
En dehors de mes parents, de ma meilleure amie et mon mari, personne n’est au courant de cet épisode de ma vie.
Mais grâce à madmoiZelle, j’ai compris que rien de tout cela n’était de ma faute et que je n’avais pas à avoir honte.
Merci de m’avoir ouvert les yeux.
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