Le harcèlement de rue, fléau du quotidien de nombreuses femmes, est désormais un sujet de société incontournable. Marlène Schiappa, actuelle Secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, est régulièrement interrogée dans les médias à ce sujet.
Je prends un instant pour apprécier ce constat, en me remémorant 2012, lorsque le concept même de harcèlement de rue était lunaire à toute une partie de la population.
La caméra cachée de Sofie Peeters à Bruxelles avait permis de mettre en lumière un phénomène que Jack Parker qualifiait d’épuisante banalité. L’expression m’est restée, tant elle décrivait à la perfection mon ressenti sur la question.
En 2017, cinq ans seulement après l’émergence de ce sujet dans le débat public, une loi faisait mention du phénomène de harcèlement dans les transports — une mention introduite par la députée Marie Le Vern, défendue par des associations et collectifs féministes, appuyée par des dizaines de milliers de signataires.
Cinq ans, soit un instant à l’échelle des politiques publiques: l’évolution culturelle a été rapide. Nous sommes passé de «ça n’existe pas» pour certains et «c’est relou mais c’est normal, c’est la vie» pour d’autres, à: «c’est du harcèlement, et ce n’est pas acceptable».
Tout ça, en à peine cinq ans.
Verbaliser le harcèlement de rue: l’étape suivante?
Mardi 12 septembre, face à Jean-Jacques Bourdin sur RMC, Marlène Schiappa avait annoncé sa volonté d’aboutir à une verbalisation prochaine du harcèlement de rue.
Cette nouvelle a beaucoup fait réagir. Verbaliser le harcèlement de rue, une fausse bonne idée? Est-ce faisable? Comment concrètement définir l’infraction «harcèlement de rue», comment, en pratique, l’établir et la sanctionner?
Quand on déplore encore le manque de formation des services de police à l’accueil des victimes d’agressions sexuelles, est-on vraiment en capacité de répondre efficacement aux victimes de harcèlement de rue?
Il est intéressant de remarquer que les objections, de part et d’autres, questionnent la forme de cette future loi, pas son intention. Que le harcèlement de rue doive être éradiqué n’est plus en débat, et ça vaut le coup, je pense, d’apprécier cette victoire idéologique.
Le temps où il fallait expliquer la différence entre harcèlement et compliment ne me manque pas, et en même temps, il n’est pas encore derrière nous.
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Un pas dans la lutte culturelle contre les violences sexistes
Mardi 19 septembre, Marlène Schiappa était l’invitée de Yann Barthès. Sur le plateau de Quotidien, la ministre a été interrogée à nouveau au sujet de son annonce.
À nouveau, ce sont les modalités techniques et pratiques qui ont été abordées, auxquelles Marlène Schiappa répond qu’un groupe de travail a été constitué, entre les ministères de la Justice, de l’Intérieur et des Droits des femmes.
Mais la Secrétaire d’État en charge de l’égalité a eu un autre commentaire, sur le plateau, qui recontextualise sa démarche:
«Il y a je pense une grosse valeur d’exemple, on est dans un combat culturel dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
C’est important de dire que non, ce n’est pas le droit de n’importe quel homme, les femmes qui marchent ne sont pas à la disposition du tout-venant et leurs corps ne sont pas des biens publics.
C’est important que la République française dise cela».
Pourquoi une loi contre le harcèlement de rue?
Verbaliser le harcèlement de rue n’a pas pour finalité de l’éradiquer par la punition et le découragement des harceleurs. C’est avant tout une mesure hautement symbolique, dans une lutte globale et éminemment culturelle contre les violences sexistes.
On l’a répété depuis le début, sur madmoiZelle: le harcèlement de rue n’est pas le fait de quelques uns, c’est un problème de société qui transcende les origines sociales et culturelles.
L’intérêt symbolique d’une loi républicaine, c’est justement de remettre sur le même plan le harcèlement de rue des «cols blancs», trop souvent passé sous silence, avec les flagrants «hé mademoiselle».
En clair, ce n’est pas parce qu’on se met à distribuer des amendes que ces hommes arrêteront de suivre, de siffler, d’humilier et d’insulter des femmes dans la rue. De la même manière que ce n’est pas en collant des amendes pour jet de déchets sur la voie publique que les gens arrêtent de balancer leurs mégots et leurs papiers de chewing gum dans la rue.
Il y a toujours des gens qui fument dans les gares et devant des panneaux «interdit de fumer» parce qu’ils n’ont aucun respect pour autrui, et qu’ils peuvent se permettre de raquer l’amende. Mais quiconque est témoin d’une telle scène le sait: cette personne contrevient à la loi républicaine, et affiche ainsi son mépris pour la société dans son ensemble.
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Peut-être en sera-t-il de même, dans quelques années, pour le harcèlement de rue. Lorsque:
- Le groupe de travail interministériel aura réussi à proposer une qualification pertinente et pragmatique du harcèlement de rue (ce qui devrait prendre de quelques semaines à plusieurs mois)
- Les deux Assemblées auront débattu et amendé le projet, jusqu’à en adopter une version définitive (en plusieurs mois)
- La loi aura été promulguée (plusieurs semaines)
- Des circulaires portant les modalités d’application de la loi auront été rédigées et publiées (plusieurs mois)
- Les forces de l’ordre auront été formées à l’application de cette loi (plusieurs mois)
- Les premières amendes auront été infligées (plusieurs mois).
La force du symbole, et le temps de l’action
Le temps médiatique est immédiat, mais le temps de l’action publique est long. Marlène Schiappa voudrait que cette verbalisation du harcèlement de rue devienne une réalité «avant la fin du quinquennat», mais ce sera juste.
J’ai l’espoir que lorsque cette loi produira ses effets, elle sera obsolète. Que ça nous paraîtra insensé, d’avoir eu besoin d’une loi pour se mettre d’accord, en tant que société, sur ce point: le harcèlement de rue n’est pas tolérable. La République Française ne le tolère pas, elle le condamne.
J’espère que ça nous paraîtra complètement anachronique. De la même manière que je m’étrangle, aujourd’hui, de savoir que le viol est un crime depuis 1980 seulement, on s’étonnera qu’il ait fallu attendre 2018 ou 2020 pour que le harcèlement de rue soit sanctionné par la loi.
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Peut-on mettre fin au harcèlement de rue? Oui, parce qu’on le doit
Peut-on vraiment mettre fin au harcèlement de rue ? titraient Les Inrocks, mercredi 20 septembre, leur article présentant une bonne synthèse des enjeux de cette verbalisation du harcèlement de rue.
Pourra-t-on y mettre fin? Pas à coup d’amendes, c’est certain. Mais là n’est pas la question: on doit mettre fin au harcèlement de rue.
Et la promesse d’une loi, à ce stade de la réflexion, n’a qu’une valeur symbolique, mais quel symbole: elle signe la mort des défenses profondément sexistes d’un «modèle de séduction à la française», qu’on n’a que trop entendues.
Cette loi, si elle voyait le jour, acterait la position de la République Française, un jalon déterminant dans la lutte culturelle contre les violences sexistes, justement: le harcèlement de rue n’est pas de la séduction. C’est une violence sexiste, une infraction sanctionnée par la loi.
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Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Ca fait du bien de lire ça.