Alexandre Soljenitsyne, né en 1918 et mort le cette année en août, a marqué la littérature russe de ses nombreuses œuvres. Avant de parler d’Une journée d’Ivan Denissovitch, il m’a semblé important d’évoquer l’histoire de son auteur.
L’homme, un emblème de la résistance au système soviétique
Après une enfance heureuse dans le sud de la Russie, Soljenitsyne entame des études de sciences et de lettres avant d’être mobilisé pour toute la durée de la deuxième guerre mondiale au sein de l’armée rouge où il devient capitaine.
Quelques années plus tard, en 1945, il est arrêté et jugé en tant que traître. Il est accusé « d’activité contre-révolutionnaire » après avoir émis, dans une lettre privée, des réserves sur la politique de Staline et sur ses compétences guerrières à une époque où peu de personnes encore critiquaient ouvertement son régime. Il sera condamné à huit ans de « redressement » dans un camp pour complot antisoviétique. C’est cette expérience qui est relatée dans Une journée d’Ivan Dennisovitch. Un roman qu’il a écrit principalement dans sa mémoire au cours de ses années de détention, avant de le rédiger en deux mois en 1959.
A sa sortie du camp, en 1953, il est relégué pour trois ans dans un village du Kazakhstan, c’est une période durant laquelle on lui décèle un cancer qui se guérira de lui même. Il est réhabilité en 1957 et devient professeur de physique, activité qu’il exerce toujours en parallèle de l’écriture.
En 1962, neuf ans après que Soljenitsyne soit sorti du camp, Khrouchtchev autorise la parution d’Une journée d’Ivan Dennisovitch en en censurant préalablement certains passages. La publication fait sensation et lui permet d’acquérir une renommée immédiate. Cependant, à partir de 1965, tous ses écrits sont interdits en Union Soviétique et Soljenitsyne est obligé de ruser pour dissimuler ses manuscrits qui seront exportés clandestinement à l’étranger où ils sont traduits en plusieurs langues avant d’être publiés (Le premier cercle, Le pavillon des cancéreux, L’archipel du goulag…). Suite à la traduction de L’archipel du goulag, il est arrêté en 1974 avant d’être déchu de la citoyenneté soviétique et expulsé.
Soljenitsyne a alors vécu vingt ans aux Etats-Unis où il a achevé la rédaction de son immense fresque historique commencé en 1936 : La roue rouge. Prix Nobel de la littérature en 1970, il ne regagnera sa patrie qu’en mai 1994. Il s’installe alors à Moscou où il meurt en août dernier.
« Une journée d’Ivan Dennisovitch », une oeuvre qui lui a valu RECONNAISSANCE et renommée
Le roman commence par un coup de rail suspendu dans la cour qui marque le levé. Moins 28 degré, le soleil n’est pas encore levé, c’est à cinq heures du matin que commence la journée d’un « sek » (détenu). Nous voilà plongé au cœur d’un camp de travail de la steppe kazakhe.
On y suit les activités à travers les yeux d’Ivan Dennisovitch Choukhov, archétype du paysan russe moyen, du début à la fin de la journée, soit pendant 17 heures.
Ivan a été condamné à dix ans de camp pour avoir été fait prisonnier lors de la Deuxième Guerre mondiale. Bien qu’il ait déjà effectué huit de ses dix années, il sait qu’il a peu de chances d’en sortir vivant, tous comme les autres détenus.
Il se résigne donc à la vie de prisonnier en se rapetissant et en acceptant les codes institués, presque stoïque mais honnête. La banalité de son malheur au sein du camp fait toute la force du roman.
Les passages très durs, comme la mort au cachot ou les évadés qu’on abat, ne sont qu’évoqués, afin de laisser une grande place à la véritable horreur du camp tel que le conçoit Soljenitsyne : un interminable quotidien.
De surcroît, les quelques deux cent pages de ce roman s’enchaînent d’une traite. Aucun chapitre ne vient interférer le déroulement de la journée, de telle façon que le lecteur, comme le détenu, n’a droit à aucune pose. Tout est passé en revue avec quelques longues descriptions : les repas et ses rites au réfectoire, les procédures de comptage, la peur des fouilles, la hiérarchie du camp, les liens entre les détenus, les travaux de maçonnerie par un froid glacial, le coucher…
Ivan qui a adopté une « discipline de renoncement » au sein de camp et ne tient plus qu’à sa dignité humaine et à son quignon de pain. S’il a réussi à en grappiller deux morceaux, s’il n’a pas fini au trou, ou s’il a pu dissimuler une petite lame pour s’en faire un couteau, alors c’est une bonne journée, alors Choukhov est pleinement satisfait, c‘est « une journée de passé. Sans seulement un nuage. Presque de bonheur ».
C’est le portrait d’un homme humble et débrouillard qui parvient à résister à la dépersonnalisation que la vie en camp entraîne chez la plupart des détenus. Le bien s’accroche en Ivan et continue d’œuvrer dans son quotidien. Prisonnier physiquement entre les barbelés du camp, il est parvenu à se libérer intérieurement. A chaque jour suffit sa peine. Le but est de passer une journée de plus en se contentant du strict minimum.
La journée de ce sek nous est racontée dans un style particulier, bourré d’argot de bagnards, de parler paysan, avec une syntaxe parfois déroutante. Mais l’ensemble forme une belle unité largement abordable qui offre au récit une dimension très expressive.
L’effet est également ressenti à travers l’ambiguïté narrative. Le narrateur, qui parle à la troisième personne, s’exprime exactement de la même façon que le protagoniste, si bien que cela donne l’impression d’un dialogue continu.
Bien qu’inspiré de sa propre expérience, on ne retrouve rien de Soljenitsyne dans Ivan qui est « fabriqué » de toutes pièces. Un choix délibéré de l’auteur qui « repousse la tentation de l’autobiographie comme de la revanche ».
A travers cette nouvelle noire mais pas dénuée d’espoir voire d’humour, on retrouve la lutte de l’homme contre le régime soviétique, un thème cher à Soljenitsyne.
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