Une femme d’exception est le titre du biopic consacré à Ruth Bader Ginsburg. Qui est-elle, et pourquoi son histoire méritait un film ?
Les quelques extraits de la bande-annonce plantent le décors dans l’Amérique des années 50 à 70, en pleine mutation de la société… qui laisse les femmes sur le carreau.
« You don’t get to tell me when to quit » j’en voudrais un t-shirt svp
L’Histoire d’Une femme d’exception
La bande-originale aura pu être This is a man’s world… But it would be nothing, nothing, without a woman or a girl. Et pourtant, à première vue, ce monde d’hommes tient très bien.
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes monochromes, où les étudiants se suivent et se ressemblent sur les bancs d’une université où le prestige, le succès, mais aussi la camaraderie, la solidarité et la gloire s’accordent au masculin.
Ils sont tous en costume bleu marine, légèrement rayé. Ils sont tous en chemise blanche, en cravate sombre sur laquelle certains osent une touche de fantaisie.
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Des femmes d’exception à la règle
En 1956, elles sont neuf seulement en première année, car c’est seulement – et déjà ! la sixième année que les femmes sont admises à la Harvard School of Law.
Une scène plus loin, Ruth hésite entre deux robes pour le dîner du doyen. Son mari, un an au-dessus du sien à Harvard, donne la potée à leur bébé, Jane.
Une scène plus loin, le doyen demande aux neuf femmes attablées quelle raison ont-elles chacune pour « avoir pris la place d’un homme à Harvard ? ».
C’est très sérieux. Ruth n’en croit ni ses oreilles ni ses yeux. Quand son tour vient, une voix insolente prend le relai de la sienne, dérobée par l’incrédulité.
T’as cru qu’entrer à Harvard serait la ligne d’arrivée ? Ma fille, la course n’a même pas encore commencé.
« Mon mari est en 2ème année à Harvard. Je me suis engagée dans les mêmes études que lui pour mieux comprendre ses soucis et mieux le seconder dans la vie », minaude celle qui deviendra l’une des plus brillantes avocates de l’Histoire.
La femme d’exception, un modèle de résistance
Ruth Bader Ginsburg a impulsé un revirement de jurisprudence majeur aux États-Unis. Je la refais : cette femme d’exception s’est battue pour que la discrimination basée sur le genre soit reconnue contraire à la Constitution des États-Unis d’Amérique.
Ça méritait bien un biopic.
Je sais que le sexisme existe, je sais aussi que c’était pire avant. C’est une chose de le savoir, c’en est une autre de revivre ces temps pas si reculés à travers les yeux d’un personnage qui a vraiment existé.
Ruth n’a pas les super-pouvoirs d’une héroïne de Comics. C’est une héroïne de la vraie vie, qui a changé le monde à la force de sa détermination.
Une femme d’exception dont l’histoire m’inspire
J’adore les films inspirés de faits réels lorsqu’ils me rappellent que ces héroïnes ont existé, et continuent d’exister parmi nous.
Et si je pouvais choisir, je crois que je préfèrerais combattre des aliens à mains nues, plutôt que d’affronter la discrimination de plein fouet. Parce que les aliens hurlants et dégoulinants de tripes humaines scandalisent tout le monde. Toute personne qui se soulève aurait le soutien de ses pairs. Évidemment.
Mais se lever contre la discrimination genrée dans les années 50, 60, 70, c’est dénoncer l’injustice que d’autres vivent et défendent comme une évidence.
Ruth Bader Ginsburg vit dans une société et à une époque où la place d’une femme n’est pas sur les bancs d’Harvard, n’est pas dans les prétoires, n’est pas dans l’antichambre du pouvoir.
La place des femmes est là où les lois sexistes l’ont décidée : à la maison, à la cuisine, dans les écoles, dans les coulisses, derrière les machines à écrire.
Merci au cinéma de 2018 de permettre à ces héroïnes de prendre enfin la lumière. Et qu’est-ce qu’elle brille, cette petite femme et son regard d’acier, sur le grand écran des salles obscures.
Quelle force faut-il avoir pour démanteler des injustices ?
Quand je parle de féminisme, quand j’essaie d’expliquer le sexisme autour de moi, j’utilise souvent la métaphore du bâton dans les roues : les remarques sexistes, les piques, les doutes, tous ces rappels et ces renvois permanents à « la condition de femme » sont autant de bâtons mis dans les roues de celles qui refusent l’assignation aux rôles stéréotypés de leur genre.
Ruth Bader Ginsburg, héroïne hors-pair
Une heure et demie durant, j’assiste au déroulé de la vie de Ruth Bader Ginsburg, et je me rends compte que ma métaphore est loin de la réalité. Pour moi, à mon époque, peut-être que ce sexisme ordinaire ne se traduit que par quelques bâtons dans mes roues. Mais à l’époque de Ruth Bader Ginsburg, ce sont des coups de poignard.
À chaque scène relatant une nouvelle occurrence de sexisme flagrant, je fixais mon regard dans celui de Felicity Jones, qui prête ses traits à la jeune Ruth Bader Ginsburg. Mais au fond de ses yeux, ce n’était pas sa douleur que je voyais, mais le reflet de la mienne.
Ses obstacles, ses défaites et ses luttes me semblent insupportables. Sa persévérance, d’autant plus incroyable.
Et cet ensemble rend ses accomplissements encore plus admirable.
J’ai parlé avec Felicity Jones, l’interprète de Ruth Bader Ginsburg, de sa colère et de la rage qu’on sent bouillir en permanence, pendant le film.
Ruth Bader Ginsburg est une femme d’exception
Ruth Bader Ginsburg est une femme d’exception, son biopic le démontre, et j’ose espérer que son témoignage rend d’autant plus obsolète et ridicule les relents de discours machistes et rétrogrades dont on entend encore parfois l’écho lorsque l’on tend l’oreille vers l’arrière-garde.
Ruth Bader Ginsburg est une femme d’exception, et je suis tellement, tellement désolée qu’il ait fallu être exceptionnelle pour être simplement juste et rationnelle.
Ruth Bader Ginsburg est une femme d’exception, et je suis infiniment reconnaissante pour sa persévérance, et ce qu’elle a produit. Je sais que je ne serais pas la femme que je suis aujourd’hui si les Ruth Bader Ginsburg d’hier n’avaient pas ouvert les voies que j’emprunte désormais facilement.
Mes évidences sont leurs luttes, mes acquis sont leurs trophées, mes droits sont leur héritage, mes combats sont ceux que je passerai à nos filles.
Mes ambitions sont leurs rêves, et je crois que c’est le plus bel hommage que l’on pouvait leur rendre : en repoussant les horizons, les plafonds, les frontières encore plus loin qu’elles ne l’avaient rêvé.
Mon syndrome de l’imposteur est un écho du passé
Le film est jalonné de répliques cinglantes mais jamais caricaturales : elles sont fidèles à l’époque, au contexte, aux idées reçues et communément acceptées de la place de chacun et de chacune au sein de la société. Certains stéréotypes sont désormais si grossiers qu’ils provoquent un éclat de rire parmi l’assemblée. Chez moi, il est resté coincé dans la gorge, que j’avais serrée.
Devant ce film, j’ai compris d’où venait le syndrome de l’imposteur, cette petite voix sournoise qui me commande souvent de douter de moi, de mes idées, de mes capacités.
Pourtant, ni mes parents ni mes professeurs, ni personne de mon entourage ne m’a tenu ce discours décourageant, injuste, souvent insultant.
- Tu n’y arriveras pas.
- Tu n’es pas faite pour ça.
- Pourquoi tu t’acharnes, alors que tu pourrais abandonner, ta vie serait plus simple.
- Tu vois bien que ça te tient trop à coeur, donc autant laisser tomber, tu vas échouer.
- Si tu paniques maintenant, t’es sûre de te planter demain.
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J’ai enfin compris d’où venait cette voix, que je continue d’entendre, parfois. C’est tout simplement l’écho des injonctions d’hier. Toutes ces phrases et bien pire, Ruth Bader Ginsburg les a entendues de la bouche de ses estimés professeurs, doyens, collègues, amis.
Ce n’était pas suggéré, ce n’était pas subtil, c’était dit comme on le pensait dans un monde où une jeune femme déterminée devrait sourire plutôt que convaincre par ses arguments. Et puis on n’appelait pas ça de la détermination : c’était de l’entêtement, de l’obstination.
Ces odieuses voix du passé, on se les est transmises de mère en fille, de prof en élève, de soeurs en cousines, au sein des familles, des classes et des fratries. Ces odieuses voix résonnent encore aujourd’hui, comme un écho lointain mais toujours bien présent, qui rebondit, persistant, surtout lorsque le silence se fait.
Pourtant, tu sais quel est le meilleur moyen d’étouffer un écho, n’est-ce pas ? C’est de donner de la voix. À chaque fois qu’une nouvelle voix s’élève, elle recouvre en partie les échos mourrants du monde d’hier.
Merci pour tout, Ruth
Une Femme d’Exception m’a replongée dans une époque que je suis heureuse de ne pas avoir connue. Et ça m’a glacé le sang, de comprendre à quel point cette époque est proche de la mienne.
Ruth Bader Ginsburg a l’âge de ma grand-mère, et ma grand-mère est toujours en vie. Ruth Bader Ginsburg aussi.
Ruth Bader Ginsburg est toujours en vie, et les discriminations basées sur le genre aussi. Sans doute que Ruth ne verra pas l’égalité de son vivant. Mais j’espère qu’elle retiendra à quel point nous avons toutes gagné du terrain dans cette guerre qu’elle aura eu tant de mal à déclarer.
J’espère que quelqu’un se chargera de lui traduire, en résumé, toutes les retombées du film, qui sortira en France le 2 janvier 2019. Même si j’ai beaucoup écrit, mon message tiendra en un seul mot : merci.
Merci pour tout. Et ne t’inquiète pas : on prend le relais.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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