« Le talent n’a pas de sexe, même si les chiffres disent le contraire, n’en finissant pas de se conjuguer au masculin. »
Ces mots sont signés Aurore Evain, actrice, autrice et dramaturge dans une tribune saisissante, publiée le 5 juillet 2022 dans les colonnes de Libération. Elle appelle à la parité dans l’accès professionnel aux secteurs des arts et de la culture en France, en vue du premier Forum sur l’inclusion économique dans le milieu. Ce dernier, organisé par l’Afdas, en partenariat avec le festival d’Avignon et Avignon Université, aura lieu le 12 juillet prochain.
Et comme elle le rappelle, les chiffres, que l’on retrouve dans les rapports 2021 et 2019 du Ministère de la Culture, parlent d’eux-mêmes : « deux tiers des spectacles sont créés par des hommes et joués devant deux tiers de spectatrices. »
Pour le tiers de créatrices chanceuses, la route n’est pas moins facile et égalitaire : elles sont majoritairement programmées dans des salles plus modestes, aux jauges réduites, avec des budgets et des productions moindres. Et leurs spectacles sont présentés à « 2,5 fois moins de public que les hommes », souligne Aurore Evain.
En 2022, « les évaporées se rebiffent » et plaident pour un « matrimoine »
« Les évaporées se rebiffent », « Les muses entrent en guérilla » et plaident pour un « matrimoine ». L’actrice incante les « voix oubliées (…) ces sœurs de Molière, Corneille, Racine ». Car oui, pourquoi ne pas jouer les chefs-d’œuvre d’Olympe de Gouge ou de Marguerite Duras ? Et pourquoi ne pas les enseigner à l’école ?
Pour Aurore Évain, les créatrices contemporaines doivent elles-mêmes revendiquer ce « matrimoine » pour lutter contre « l’amnésie de l’Éducation nationale ». Elle va même jusqu’à dénoncer « une culture patriarcale qui continue d’ensemencer les jeunes esprits, dans les programmes scolaires, sur les bancs des universités, aux concours d’entrée ».
En effet, d’après le bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale, sur le programme semi-renouvelé des œuvres proposées au bac de français 2021, seuls trois textes sur seize ont été écrits par des femmes (Madame de La Fayette, Marguerite Yourcenar et Nathalie Sarraute). Et des manuels scolaires aux programmes d’examens, en passant par le Capes ou l’agrégation, l’absence d’autrices de la sphère éducative est institutionnalisée. Une étude menée par le centre Hubertine Auclert sur 17 manuels en 2013 n’est pas parvenue à démontrer un quelconque progrès.
#MetooThéâtre, sexisme et âgisme
Et la dramaturge d’appeler et de souligner, quand même, un sursaut qui semble s’être enclenché ces derniers mois dans le monde du théâtre : « pour que le silence cesse, que la honte change de camp. Pour que les Marilyn ne soient plus transformées en blondes idiotes », écrit Aurore Evain.
Enfin, le monde des planches a son #Metoo, pour lequel la cérémonie des Molières, entre autres, n’a eu aucune considération. Car sans surprise, l’omerta règne encore malgré les vagues de dénonciations d’abus et de violences sexuelles, comme au sein du Cours Florent en 2021.
« Parce que l’intime est politique, et que la révolution passera aussi par les corps », revendique la dramaturge. Car elle veut tout dire, et elle ne veut oublier aucune d’entre elles. Car il y a aussi la date de péremption des femmes, prônée par les hommes du milieu. Mais « les femmes mûres, les ridées, les grisonnantes, les ménopausées, bref les vieilles belles, exigent de sortir de l’ombre ». Aurore Evain est catégorique : « sexisme et âgisme vont de pair ».
Et les faits sont là pour corroborer ses propos : sur tous les films français sortis en 2015, seulement 8% des rôles sont joués par des actrices de plus de 50 ans. En 2016, le chiffre chute à 6%, d’après la commission du Tunnel de la comédienne de 50 ans (AAFA).
Le théâtre et la violence sous toutes ses formes
« Violence physique, psychique, économique, sexiste, sexuelle, symbolique, épistémique… ». C’est par cette nouvelle énumération lyrique et dramatique qu’Aurore Evain conclut son monologue. La violence règne en coulisse, c’est une chose. Mais elle appelle au soutien, à l’espoir, et à la mobilisation de tous.
Politiciens, médias et même spectateurs… Il y a urgence. Braquons sur elles la lumière que méritent sur « Ces évaporées, ces guérillas girls, ces belles vieilles et leurs alliés ». Un dernier mot ? « Il en va du bien de nos représentations imaginaires. Ce sont elles qui façonnent le monde de demain. Et demain s’annonce orageux. » Tout est dit.
À lire aussi : Au Japon, #MeToo débarque dans l’industrie du cinéma avec du retard
Image en Une : © Cottonbro – Pexels
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires