Le cinéma d’Alexis Langlois, bien qu’ultra-référencé, détonne dans le paysage du cinéma français actuel. À la fois engagé dans son propos et avec une imagerie pop léchée, il propose un cinéma queer assumé, sans concession.
Le jeune cinéaste en est à son cinquième film ! Dans le court-métrage Les Démons de Dorothy, dernier en date et déjà multi-récompensé au festival de Locarno, il met en scène la colère motivante ressentie face un milieu du cinéma qui s’est avéré être à plusieurs reprises transphobe.
Le pitch ? Dorothy (Justine Langlois) écrit un scénario de film porno queer mais on lui claque souvent la porte au nez pour avoir un financement. Ses idées ne seraient pas assez grand public… C’est aussi ce que lui dit sa mère (Lio) !
Tandis que sa némésis de toujours, Xena Lodan, au cinéma plus conventionnel, connaît la gloire et le succès, la jeune Dorothy, qui trouve du réconfort dans sa série doudou, voit alors débarquer des démons, dont elle se serait bien passée.
Comment ne pas reconnaître (ne serait-ce qu’un peu) dans cette histoire le réalisateur. On l’a rencontré.
Madmoizelle : T’as fait quoi avant Les Démons de Dorothy ? Quel est ton parcours ?
Alexis Langlois : J’ai étudié le cinéma à Paris 8. Puis je suis allé à la fac de Cergy en beaux-arts. On pouvait faire du cinéma de façon différente. Le scénario n’avait pas forcément une place centrale.
Pendant toutes mes études, j’ai fait des courts-métrages auto-produits et puis ensuite j’ai réalisé des films produits. C’est mon quatrième film produit !
Le premier film que j’ai fait s’appelle Fanfreluches et idées noires, à un moment où je sortais pas mal. C’est aussi à cette période-là que j’ai rencontré pas mal des actrices qui sont dans les autres films.
Pour les personnes avec qui je travaille habituellement, il y a notamment Carlotta Coco, avec qui j’écris, que j’ai rencontrée au lycée, ma sœur Justine Langlois, Nana Benamer et beaucoup de personnes que j’ai rencontrées en faisant la fête, comme Dustin Muchuvitz et Raya Martigny.
Ce film raconte comment on peut être quand on sort beaucoup, à la fois ultra dépendant de cette fête, il y a une sorte d’utopie ultra-joyeuse et quelque chose de déprimant dans les afters qui sont une sorte de fin. Je voulais montrer le paradoxe de cette grande joie et de cette mélancolie pendant les afters.
Ensuite, il y a eu À ton âge le chagrin c’est vite passé qui était une comédie musicale sur un chagrin d’amour. Et le récent De la terreur mes sœurs, une comédie revenge movie avec quatre copines trans, qui racontent des histoires pour se venger de la transphobie qu’elles vivent au quotidien. Et ensuite il y a eu Les Démons de Dorothy !
Pour tous ces films, l’esthétique, très originale, est assez kitsch, est-ce que ça te convient comme terme ?
Avec Carlotta Coca, avec qui je travaille, on a inventé le terme de « glittercore ». On pensait avoir fait une géniale invention mais ce mot existait. [rires] Il y a ce côté glitter, scintillant, avec les paillettes. Quelque chose d’à la fois enfantin, léger et aussi lié au maquillage, aux drag queens, avec de l’outrance. Et « core », qui fait penser à hardcore.
Il y a aussi un double sens des images. Pour moi, elles ont une dimension contestataire. C’est aussi politique d’utiliser des images qui paraissent frivoles, qu’on peut considérer comme kitsch, d’en faire autre chose !
Le cinéma que tu fais est très référencé, est-ce que tu peux parler de tes inspirations ?
Il y a des choses plus ou moins évidentes, Gregg Araki, John Waters, mais il y a d’autres cinéastes. J’aime beaucoup Chantal Akerman par exemple, qui est citée dans Les Démons de Dorothy. Brian de Palma, Tod Browning, Stanley Donen ou encore Frank Tashlin.
Et Buffy dans tout ça ?
Buffy, c’est ma série d’enfance, un peu doudou, et j’y reviens souvent. Je la trouve très bien écrite. C’est très drôle, il y a plein de genres qui s’entremêlent, entre l’horreur, le teen movie et la comédie. C’est ça aussi que j’aime, le mélange des genres.
Pour Les Démons de Dorothy, l’idée est vraiment venue de Buffy. Je me suis dit que j’avais envie de raconter mes démons et mes angoisses. Je me suis dit, il faut faire comme Buffy (notamment dans les premières saisons), chaque angoisse est incarnée par de véritables démons. L’idée est partie là !
En parlant de l’origine des Démons de Dorothy ? Est-ce que c’est aussi un film inspiré par tes actrices fétiches, comme pour De la Terreur mes sœurs où elles ont joué un grand rôle dans le scénario ?
Pour ce film-là, j’ai créé des personnages, des silhouettes, que j’avais en tête mais qui n’étaient pas directement liées aux actrices. Pour la première fois, j’ai fait un casting ! Pour le personnage de Pétula, en choisissant Nana Benamer, c’est elle qui a amené quelque chose de burlesque et de touchant, qui a amené sa fantaisie.
Pour le personnage de Lio, la mère, je ne pensais pas à elle. Je l’ai rencontrée et ça s’est fait comme ça [rires]. Il existait avant la rencontre.
Le film a été motivé par une certaine colère à l’égard du milieu du cinéma. Il y a donc des échos avec ton parcours ?
Dorothy, c’est complètement un alter ego et le film a été pensé comme ça. Pour mes premiers films, on arrivait toujours à se débrouiller, même si on avait pas les aides. Mais pour De la terreur mes sœurs !, un projet ambitieux, on s’est confronté à la bêtise, la transphobie.
Il y a des gens qui n’ont pas arrêté de répéter que ça ne devrait pas exister. Ils m’ont dit que sur ces filles-là, je devrais faire des documentaires et pas de la fiction. Il y a cette colère-là de se dire qu’une comédie militante avec des meufs trans, ça les fait complètement exploser. Ces personnes ne comprenaient pas. C’était douloureux d’être confronté à cette violence.
Et pendant ces moments de commissions [pour des demandes de subventions et de financements], certaines personnes essaient de te marginaliser, en disant : « tes petits films comme ça, tu peux les faire sans argent. » On vient tous d’un milieu précaire, ça fait dix ans qu’on fait des films sans être payés. C’est aussi important de demander de l’argent. Et c’était normal pour moi aussi de récompenser la fidélité des gens avec qui je travaille.
Il y a aussi une colère de ça, des gens qui n’ont pas conscience du privilège qu’ils ont de pouvoir faire des films auto-produits. Quand un cinéaste dit : « En faisant son premier film, il faut économiser 150 000 euros. » Il faut vraiment être dans un monde à part, qui peut économiser 150 000 euros ? En tout cas, pas moi [rires].
Il y a un côté très lutte des classes dans le film aussi. Le mythe du mérite, je n’y crois pas du tout. Quand on regarde les gens qui font des films, au-delà de leur talent, ils ont très souvent été aidés par leur milieu.
Mais j’avais envie d’en faire quelque chose de joyeux, avec des monstresses.
De la Terreur mes sœurs ! a donc été difficile à produire mais les réactions après la sortie ont été très enthousiastes, non ? Le film a eu des prix, etc.
Il y a eu un peu de tout mais c’est vrai que j’ai été un peu étonné de constater que dès les premières diffusions, il y a eu un prix au FIFIB [Grand Prix court-métrage au Festival international du film de Bordeaux] par exemple.
Il y a eu au début un public queer qui était ultra heureux de découvrir ce cinéma. Et c’est là aussi où je me suis dit qu’il y avait un vrai écart entre les gens qui choisissent les projets à l’aide du scénario – qui disent que ces films n’intéressent personne – et le public. Il y a un public pour ces films ! Il y avait quelque chose de très réconfortant.
J’avais envie de raconter cette histoire dans Dorothy. Il y a cette histoire de cuisine interne au cinéma. J’ai entendu beaucoup de choses très choquantes et j’avais envie de les raconter. Je me disais que les personnes qui vivent la même chose, même en dehors du milieu du cinéma auraient envie de savoir le chemin de croix, les coulisses.
Ce que vit Dorothy peut être transposé à plein de milieux, et même d’autres minorités peuvent s’identifier, qui peuvent vivre des choses compliquées. Cette impression d’être seul contre tous, plein de gens peuvent s’identifier à elle. Ça parle du cinéma car c’est ce que je connais.
Est-ce que depuis peu, tu n’as pas un peu plus de portes ouvertes, Les Démons de Dorothy a été diffusé sur Arte par exemple. C’est peut-être un peu moins difficile qu’il y a quelques années ?
Je ne sais pas. Ça n’a pas été si facile de produire Dorothy, ça a duré deux ans. Pour un court, c’est quand même long.
Peut-être que si j’avais fait De la terreur mes sœurs aujourd’hui, les gens auraient autant détesté, mais ils ne se seraient pas permis de critiquer comme ils l’ont fait à l’époque.
Il y a sans doute plus de gens que ça intéresse dans les commissions, c’est peut-être ça qui change. Il y a des personnes qui arrivent à prendre la parole alors qu’on ne les entendait pas avant. C’est ça qui est génial.
Dans un mouvement inverse, il y a beaucoup de transphobes, dont la parole s’est libérée, même dans les mouvements féministes.
C’est comme au moment du Mariage pour tous, les fachos se sont réveillés parce qu’on devenait visibles. Là, du coup il y a une parole qui se libère… Moi, j’ai un peu peur à chaque fois que mes films passent à la télé. L’exposition peut aussi apporter une vague de haine. De toute façon, les actrices sont très exposées sur les réseaux.
Je pense qu’il peut y avoir les deux. Dans Dorothy et De la Terreur, il y a quelque chose de mélancolique, mais il y a aussi quelque chose de l’ordre de la célébration d’être ensemble, du groupe, qu’on puisse affirmer ce que l’ont est sans une honte.
D’ailleurs, tu travailles souvent avec les mêmes personnes, Carlotta Coco, ta sœur Justine Langlois, certaines actrices. Vous êtes un peu comme une troupe ?
Ce n’est pas une vraie troupe dans le sens où on ne travaille pas tous ensemble tout le temps mais c’est un groupe de cinéma. Je me rends compte de plus en plus que c’est important d’être liés sur un plateau aux gens, même avec l’équipe technique.
Le tournage peut être vu comme une fête, même si c’est assez dur un tournage.
Ma sœur Justine, je la fais jouer depuis que je suis petit. Ça me paraît naturel, on a évolué ensemble. À chaque fois que je fais un projet, je fais appel à elle. Elle aime à chaque fois relever des défis. Et je ne m’imagine jamais dans des personnages masculins et c’est vrai que quand les personnages sont mes alter ego, ça me va bien que tout soit transposé à travers elle.
Pour Carlotta Coco, avec qui j’écris, c’est une relation encore plus particulière, on a fait nos premiers films ensemble. On a beaucoup écrit ensemble, on a fait du théâtre. Elle a joué dans pas mal de films, là elle joue Spike dans Les Démons de Dorothy. J’écris avec elle, mais on discute aussi beaucoup. Les films, on les pense ensemble ! Là, on écrit un long-métrage qui s’appelle Les Reines du drame. Elle est une relation centrale dans mon travail.
Comme Nana Benamer, qui écrit la musique des films et qui joue !
Ce cercle amical nourrit le travail. Les films n’auraient pas été pareils, voire n’auraient pas existé sans eux. Ça crée une ambiance safe où on peut faire tout ce que l’on a envie de faire car on est ensemble !
La réalité a dépassé la fiction, tu vas pouvoir faire un long-métrage en ayant des aides ?
C’est un film que j’écris avec Carlotta Coco et Thomas Colineau. C’est une histoire d’amour entre deux chanteuses, une pop star des années 2000 et une punkette. On les suit de 2005 à 2055, leur histoire suit les hauts et les bas de leur carrière et de leur amour. Ça s’appelle Les Reines du drame !
Merci beaucoup à Alexis Langlois d’avoir répondu à nos questions !
Le film est disponible en DVD collector et en VOD sur le site de Shellac. Une projection aura lieu à Paris vendredi 4 février à 20 heures au cinéma Saint André des Arts, en présence de l’équipe du film !
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Image une : © Shellac Distribution
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