Sa démarche et son ton enjoué sont les mêmes que lorsqu’elle s’avance sur un chemin gadouilleux à la rencontre d’un agriculteur en mal d’amour.
Mais nous sommes pourtant bien loin de la campagne quand Karine Le Marchand présente chacune des femmes politiques qu’elle a invité dans Une Ambition intime, son émission intronisée lors de l’élection présidentielle de 2017, dont un nouveau volet a été diffusé ce dimanche 7 novembre sur M6.
Cette fois, ce sont donc les ambitions intimes de cinq femmes politiques qui ont été dévoilées — celles de trois candidates pour 2022 (Marine Le Pen, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse) et de deux femmes en poste, une ministre (Marlène Schiappa) et une maire d’arrondissement (Rachida Dati).
L’objectif : trouver « la femme derrière la carapace ».
Karine Le Marchand, l’éternelle bonne copine
Son truc à Karine Le Marchand, avec les paysans de L’Amour est dans le pré comme avec les politiques, c’est la complicité.
Pas de chichis, on s’appelle par nos prénoms, on fait des « oh » et des « ah » quand l’anecdote est rigolote et on a les yeux qui brillent quand les souvenirs sont douloureux. Karine, c’est la bonne copine de tout le monde, celle qui vous tire les confidences comme personne.
Et entre copines, bien sûr, on ne parle pas des sujets qui fâchent.
Car comme il y a cinq ans, l’émission est critiquée pour sa complaisance envers les politiques. Au reproche de les faire apparaitre sous un jour favorable, Karine Lemarchand s’est agacée dans C à vous et défend son concept : « Oui mais c’est leur jour, leur quotidien », rétorque l’animatrice, qui ajoute :
« À vouloir déshumaniser [les politiques], les gens ne votent plus. »
Est-ce que les gens voteront davantage après avoir vu Marine Le Pen avec ses adorables chatons et sa colocataire Ingrid, ou bien en connaissant la passion de Valérie Pécresse pour le fromage ? On se permet d’en douter.
À travers ces cinq trajectoires politiques, il faut reconnaître que l’émission aborde aussi comment ces femmes ont accédé à leurs responsabilités malgré le sexisme inhérent au milieu dans lequel elles évoluent et comment elles ont bravé les réflexions misogynes et les difficultés à concilier la vie de famille avec leur carrière.
Il est peut-être là le véritable intérêt d’Une Ambition intime, même si ces séquences restent en surface… et tendent parfois à faire passer les invitées pour plus féministes qu’elles ne le sont réellement dans leurs actes et leurs engagements politiques.
Comment Une Ambition intime entretient le mythe de la neutralité
Des candidates qui se dévoilent, qui tombent le masque, c’est là la promesse d’Une Ambition intime.
À nous laisser croire que ces femmes se montrent enfin pour de vrai, telles qu’elles sont dans la vraie vie, on voudrait nous faire gober que ces interviews dans l’atmosphère douce et feutrée d’un bureau ou d’un salon ne seraient pas des exercices de communication savamment orchestrés.
Mais il n’y a rien de naturel dans la mise en scène de ces interviews, qui voudraient nous montrer que derrière ces personnages publiques, ce ne sont finalement que des êtres humains. Des gens comme vous et moi.
Or, c’est loin d’être le cas, comme l’explique très justement la journaliste Morgane Giuliani dans Marie Claire :
« Contrairement aux citoyen•nes lambda, les politiques sont des personnes de pouvoir rompu•es à la communication, au marketing, à la mise en scène de soi, puisqu’il en va de leur carrière. En tant qu’élu•es, ils•elles ont aussi des responsabilités publiques. Il est vain de vouloir l’oublier, comme le tente Une Ambition intime. »
Parler avec les politiques, sans faire de politique, c’est le propos que défend Karine Le Marchand :
« Moi, je n’ai pas de ligne éditoriale », explique-t-elle dans Le Point.
« J’ai pu faire cette émission, car M6 n’est pas politisée et que je suis mon propre patron avec ma société de production. C’est très difficile, ne serait-ce que dans l’écriture des commentaires de n’être que factuel. Pourtant, la neutralité en politique est nécessaire à la télévision. Elle est respectueuse des téléspectateurs. »
Passons outre le fait qu’une animatrice de télévision revendique de ne pas avoir de ligne éditoriale, ce qui est une très drôle de manière de concevoir son métier.
Croire que l’on est neutre parce qu’on ne parle pas de politique, c’est une illusion. Ne pas rebondir quand Marine Le Pen dit que son parti n’est pas d’extrême-droite, ne pas demander à Marlène Schiappa où disparaît sa cohérence féministe quand elle travaille main dans la main avec Gérald Darmanin, cela n’est pas de la neutralité. C’est un parti pris.
Toutes celles qui ont accepté la sollicitation de Karine Le Marchand ont quelque chose à gagner à l’exercice : montrer ses fragilités et ses failles et donc casser une image dure que les médias lui auraient accolé pour la présidente du RN, tenter d’inverser cette image froide de Versaillaise que se coltine la présidente de la région Ile de France en montrant comment elle a préservé sa famille du tumulte de la vie politique.
En cela, cette émission prétendument « neutre » ne peut se regarder sans garder une bonne distance critique.
Dans Une Ambition intime, on ne parle pas des mensonges, des contradictions, des affaires plus sensibles, parce que ce n’est pas ce que l’on fait entre copines. On est juste là pour passer un bon moment avec Karine.
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