On ne le dira jamais assez, Mubi est une mine d’or pour qui souhaite sortir des sentiers battus par Netflix et découvrir des pépites du cinéma indépendant, camp et queer.
Ce vendredi 31 mars, on a découvert un petit OVNI réalisé par la cinéaste féministe américaine Amanda Kramer. Dans Please Baby Please elle revisite les comédies musicales des années 1960 à la sauce queer. Aussi inventif qu’amusant et profond, le film est notre coup de cœur de la semaine. Quoi de plus propice à un questionnement des normes de genre pesant sur l’identité et l’orientation sexuelle de chacun que le milieu des gangs, où la course à la virilité n’a pas de limite ?
À l’occasion de la sortie du film, la réalisatrice nous a parlé de son amour pour la danse, de son envie de dépoussiérer les comédies musicales et de l’importance dans l’histoire du féminisme de l’actrice française Jean Seberg.
L’histoire et la bande-annnonce de Please Baby Please
Porté par Harry Melling, Andrea Riseborough, Karl Glusman et Demi Moore, le film raconte l’histoire de Suze et Arthur, un couple témoin d’un meurtre commis par un gang de blousons noirs.
Tombés sous l’emprise de ces délinquants, ils vont remettre en question une sexualité longtemps réprimée.
Arthur est particulièrement troublé par leur leader, un sosie androgyne de Marlon Brando.
Entretien avec la réalisatrice, Amanda Kramer
Madmoizelle. Comment vous est venue l’idée et l’envie de réaliser Please Baby Please ?
Amanda Kramer. Je crois que les idées viennent dans les moments les plus improbables, quand vous marchez dans la rue, quand vous lisez, que vous parlez à quelqu’un, quand vous regardez des films… C’est souvent de là que vient mon inspiration. Mais pour être plus précise, j’ai écrit ce film à une époque où je regardais énormément de films du début du XXème siècle, des films où les hommes étaient des hommes et les femmes des femmes. Ces films étaient tellement codifiés, il n’y avait qu’une seule façon d’être sexy, d’être fort, beau ou belle, en fonction de ton genre. Ces imaginaires très normés m’ont amenée à imaginer un couple qui traversait un moment de sa vie où il s’interrogeait sur la forme que pourrait prendre leur relation.
Selon vous, le cinéma est-il déterminant dans la construction mais aussi le bouleversement de ces normes de genre très binaires ?
Oui ! Je pense que cette approche du cinéma comme créateur et vecteur de stétéotypes de genre est vraiment intéressante, en particulier dans le cas du cinéma français. Quand on pense à une actrice comme Jean Seberg, qui avait les cheveux à la garçonne à une époque où ce n’était pas du tout populaire d’avoir les cheveux très courts. Ça semble anodin aujourd’hui mais à l’époque, c’était tellement considéré comme masculin. Jean Seberg a bouleversé les normes de ce qui est considéré comme sexy. Elle a ouvert une voie autre que le modèle de la blonde plantureuse avec du rouge à lèvres, de longues jambes et des talons hauts. Pour moi, ces petites évolutions ne cessent d’avoir lieu, et c’est la même chose pour les hommes : la sexualité des hommes évolue également.
Selon vous, qui êtes féministe, quels sont les liens entre la queerness et le féminisme ?
Je pense que lorsqu’on est féministe, il faut penser la masculinité. Il faut parler des femmes, bien sûr, de la vie et de l’histoire des femmes. Mais il faut aussi réfléchir à ce qui fait les hommes, ce que font les hommes, comment ils se traitent les uns les autres parce que la façon dont ils se traitent les uns les autres est finalement l’histoire de la violence dont nous souffrons. Nous les femmes, nous sommes en quelque sorte en bas de cette pyramide de violence qui constitue la sociabilisation masculine.
Et c’est la même chose pour la queerness. Les féministes et la communauté queer sont profondément liées parce qu’elles luttent pour les mêmes choses en fin de compte, à savoir l’égalité, le respect et la dignité. ll faut que nous soyons des alliés, plutôt que penser que chacun fait partie d’une niche, qui ne peut pas communiquer, échanger, avancer ensemble. Nous avons les mêmes préoccupations, nous voulons être pris au sérieux. Nous voulons être vus et non pas cachés.
Malgré la profondeur des sujets abordés par le film, la violence de certaines situations, il y a beaucoup de situations, de personnages ou de personnages très drôles. Selon vous, l’humour est-il aussi un moyen de briser toutes ces règles ?
Je pense que pour que les gens entrent dans votre univers, il faut être un peu ironique. Si vous criez sur quelqu’un dans votre film, si vous commandez quelqu’un, que vous avez un ton sévère, les gens se ferment ; les féministes y sont confrontées tout le temps. Lorsque les gens se sentent amusés et qu’ils ne sont plus sur leurs gardes, ils peuvent mieux entendre les idées, s’identifier aux personnages.
D’ailleurs, de nombreuses personnes ont regardé le film et m’ont dit qu’elles s’étaient reconnues dans un personnage qui n’était pas de leur genre. Et c’est très réjouissant parce que cela signifie que grâce à l’humour et à ces personnages, tout le monde peut en quelque sorte comprendre les idées philosophiques et féministes transmises par le film.
La danse a une place centrale dans votre mise en scène, elle extériorise ce que les personnages ont parfois du mal à exprimer.
Je pense que l’un des plus grands cadeaux que nous fait le cinéma est que ses images sont éternelles. Les acteurs vivent à l’intérieur de l’écran pour toujours, et nous pouvons voir leurs corps, leurs expressions et leurs mouvements. Je regarde beaucoup de films avec Fred Astaire ou Gene Kelly, par exemple. Des films de danse des années 40, 50 et 60. Pour moi, ces films, c’est de la magie. On a presque l’impression qu’ils flottent. J’aimerais recréer cela dans tout mon travail. Des corps magnifiques de toutes formes, tailles et âges.
La danse guérit, fait sourire, nous réchauffe et nous calme. Et je pense que c’est un art qui se perd d’une certaine manière. Culturellement, nous ne dansons plus vraiment. C’est sûrement le cas ailleurs dans le monde, mais certainement pas en Amérique. Il est donc merveilleux de réintroduire la danse et la chanson dans les films, mais sans en faire la rigidité de la comédie musicale, qui rebute beaucoup de gens. Il faut dire que ce n’est ni ringard ni mielleux, c’est comme le rythme de la vie !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.