Que s’est-il passé lors de la manifestation du 23 mars dernier ? Cette journée de mobilisation record contre la réforme des retraites s’était soldée par 457 interpellations à travers la France. Les deux jours suivants, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté s’était rendu, avec ses équipes, dans « neuf commissariats parisiens pour contrôler les conditions de prise en charge des personnes interpellées ». Dans une lettre adressée au ministère de l’Intérieur le 17 avril, et rendue publique le 3 mai, elle dénonce « une instrumentalisation des mesures de garde à vue à des fins répressives ».
Des arrestations gratuites
Le rapport, joint à la lettre, est édifiant. La contrôleuse y décrit des « interpellations violentes », « des fouilles systématiques en sous-vêtements », « des conditions d’hygiène indignes », « des espaces individuels insuffisants en cellule collective » ou encore « des irrégularités dans les fiches d’interpellation ». Elle somme le ministère de l’Intérieur de « veiller au respect des dispositions législatives et réglementaires applicables à la procédure de garde à vue ».
Le caractère totalement arbitraire de certaines interpellations est souligné à maintes reprises : « Certaines personnes ont entendu des policiers décider au hasard, au terme de discussions triviales, des infractions à retenir contre elles. Des fiches d’interpellation pré-remplies ont été distribuées aux agents », peut-on lire dans le rapport.
Interrogés, les policiers sont d’ailleurs parfois incapables d’expliquer pourquoi ils ont procédé à telle ou telle arrestation. Comme le rapportent nos confrères de France Info, ils « évoquent seulement des ordres reçus pour interpeller de façon systématique dans certains secteurs de la capitale. Résultat : 80 % des personnes interpellées ont été relâchées sans aucune poursuite. Et les rares qui ont été jugées en comparution immédiate sont souvent ressorties libres du tribunal. La plupart après avoir passé 24 heures en garde à vue dans des conditions indignes, selon le rapport ».
Vers une « banalisation de l’enfermement »
La contrôleuse alerte sur une « banalisation de l’enfermement ». Selon l’experte, la multiplication des interpellations, les classements sans suite, les instructions obscures venant de plus haut, « révèlent un recours massif, à titre préventif, à la privation de liberté à des fins de maintien de l’ordre public. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, le droit français conditionne pourtant expressément le recours à une mesure de garde à vue à l’existence d’un soupçon caractérisé quant à la commission ou la tentative d’infraction ». Comment expliquer qu’elle soit ainsi utilisée à outrance ?
La réponse de Gérald Darmanin était officiellement attendue pour lundi 1er mai, au plus tard. Signe du peu de considération qu’il accorde à la question des violences policières, le ministre y a finalement répondu mardi 2 mai, tard dans la soirée, se dédouanant entièrement des accusations de la contrôleuse générale qui, selon lui, « excèdent ses compétences ». Pour le ministre, les classements sans suite relèvent uniquement d’une difficulté à prouver les infractions, ce qui, selon lui, n’indique nullement que celles-ci n’ont pas été commises.
Il promet par ailleurs « une réponse plus détaillée, une fois que la Préfecture de police de Paris aura eu le temps d’instruire le dossier », comme le relaie France Info. En espérant que rendre des comptes n’excède pas ses compétences.
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