Comme un goût d’injustice. Lundi 19 juin, nos confrères du Parisien ont révélé l’histoire d’un livreur philippin, violemment renversé fin mai par un employé d’ambassade ivre. Ce dernier a brandi son immunité diplomatique et ne sera a priori pas tenu responsable civilement, ni poursuivi pénalement. Le livreur de 30 ans, en revanche, a été convoqué par les enquêteurs la semaine dernière, à la sortie de l’hôpital, et risque l’expulsion. En plus d’avoir perdu son scooter, détruit dans l’accident, et donc, a fortiori, son travail de livreur.
Le conducteur a d’abord voulu prendre la fuite
Les faits remontent au 18 mai dernier. Interrogé par Le Parisien, Kamel, chauffeur de taxi, témoin de la scène, revient sur cet accident spectaculaire, survenue dans le VIIe arrondissement de Paris, à deux pas de l’Ambassade de Chine, où travaille le conducteur fautif en tant que cuisinier :
Au feu vert, la voiture noire « redémarre en trombe », raconte Kamel. Son conducteur perd alors le contrôle, « défonce le feu tricolore, tourne comme une toupie, fait un tonneau et, sur son passage, projette le livreur sur son scooter avec son sac Uber Eats ». La voiture termine retournée sur le toit. « C’était comme dans un film », se souvient le témoin.
Le Parisien, « Paris : renversé par un employé d’ambassade ivre, le livreur sans papiers risque d’être expulsé »
Kamel se précipite pour aider le livreur, qui git au sol. Ce dernier ne veut pas que les secours viennent, n’ayant pas la sécurité sociale, et craignant pour son statut. Il est finalement transporté à l’hôpital, sous l’insistance des pompiers. Puis Kamel se tourne vers la voiture du cuisinier pour lui porter assistance :
« Ça puait l’alcool à l’intérieur ! J’aide le mec à sortir mais son premier réflexe est de prendre son sac et de partir ! Là, je dis, Non, coco ! Tu ne vas pas partir comme ça. » Kamel le retient de force et attend la police.
Le Parisien, « Paris : renversé par un employé d’ambassade ivre, le livreur sans papiers risque d’être expulsé »
Deux poids deux mesures
Selon les informations du Parisien, il faut six équipages de police pour « figer la situation et empêcher le chauffard de partir ». Après deux heures de négociation, et l’intervention d’un représentant de l’ambassade de Chine, le conducteur récalcitrant est enfin soumis à un test d’alcoolémie : il est à 0,56 g/litre de sang. « Ce qui laisse présumer le taux au moment du choc, deux heures plus tôt », commente une source policière, agacée.
Le chauffard repart finalement libre, tandis que le livreur repart sur un brancard.
Jusqu’où va l’immunité diplomatique ?
Comment expliquer que le chauffard, qui roulait à plus de 60 km/h et aurait pu tuer le livreur sur son scooter, reparte librement ? La question de l’immunité diplomatique est épineuse. Définie par La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, elle est justifiée ainsi sur le site de Vie Publique : « Les agents du corps diplomatique bénéficient des privilèges et immunités nécessaires à l’accomplissement de leurs fonctions dans l’État accréditaire (l’État hôte) ». Son degré d’application (partiel ou total) dépend du degré d’immunité de l’agent concerné et convoque notamment les principes suivants :
- « l’inviolabilité personnelle : l’État accréditaire (État hôte) doit assurer la sécurité de l’agent diplomatique. Il ne doit donc pas porter atteinte à sa personne, à sa liberté ou à sa dignité, ce qui exclut toute mesure d’arrestation ou de détention.
- l’immunité de juridiction : elle est à la fois pénale, civile et administrative. Sur le plan pénal, cela concerne même les actes extérieurs à l’exercice des fonctions diplomatiques. La seule exception concerne les crimes internationaux. Le bénéfice des immunités civile et administrative ne souffre que de peu d’exceptions »
Comme le rappelle Le Parisien, « un magistrat peut néanmoins envisager des poursuites et étudier comment traiter les dossiers de ce type en fonction du pays concerné ». Mais, cela relève des rapports diplomatiques entre pays et chaque affaire impliquant ce principe devient d’office éminemment politique :
« On marche sur des œufs, poursuit une source au ministère de la justice. Dans les faits, ça se termine souvent par ce qu’on appelle une dénonciation officielle auprès du pays concerné. Une sorte de Circulez, y a rien à voir, qui revient à se débarrasser du dossier encombrant pour ne pas fâcher le pays concerné, en lui disant C’est aussi une infraction chez vous. Jugez-le si vous en avez envie ! »
Le Parisien, « Paris : renversé par un employé d’ambassade ivre, le livreur sans papiers risque d’être expulsé »
Cet accident est tristement symbolique (et révoltant) dans ce qu’il oppose : d’un côté, un chauffeur qui bénéficie d’une immunité privilégiée, ici utilisée à mauvais escient, et de l’autre un livreur dans une situation de précarité intense, qui ne bénéficie d’aucune protection, légitimité ou indemnité. Et qui, pour avoir tenté de gagner sa croûte, se voit aujourd’hui menacé d’un ticket retour. « Cet accident met en lumière la vulnérabilité de ces livreurs dont beaucoup sont sans-papiers, éclaire Étienne Deschamps, juriste et membre de la Confédération nationale des travailleurs (CNT), à nos confrères du Parisien. Ils travaillent sous des alias, louent des comptes et gagnent près de 2 euros de l’heure. C’est un système hypocrite qui arrange bien les plates-formes, et ce depuis des années. »
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